8 Mars 2011
un article du Monde
Le prix de la mémoire de Maurice Audin
| 07.03.11 | 17h21 • Mis à jour le 07.03.11 | 17h21
Combien seront-ils, mardi 8 mars, à assister à la remise du prix de mathématiques Maurice-Audin à l'hôtel de ville de Paris ? Seront-ils aussi nombreux qu'à la Sorbonne, un demi-siècle plus tôt, pour la soutenance de thèse de Maurice Audin ? Assistant de mathématiques à l'université d'Alger, il n'avait pu se présenter devant son jury le 2 décembre 1957. Le professeur Laurent Schwartz, rapporteur de sa thèse, salua les "idées originales" du chercheur français, âgé de 25 ans, disparu depuis six mois. Il avait été arraché à son foyer, le 11 juin 1957, par les parachutistes du général Massu. Son corps n'a jamais été retrouvé.
En dépit du témoignage du journaliste Henri Alleg (La Question, éd. de Minuit, 1 958), qui l'a vu vivant, le 12 juin, au centre de torture d'El-Biar, sur les hauteurs d'Alger, et est l'un des derniers témoins du drame, la version donnée par l'armée reste la seule officiellement admise : ce militant du Parti communiste algérien, interdit durant les "événements", s'est enfui lors d'un transfert en Jeep, le 21 juin. Enquêtes et instructions judiciaires n'ont pas abouti.
"Il est temps de mettre un terme au mensonge d'Etat, pour reconnaître que Maurice Audin a été torturé et assassiné", s'indigne Gérard Tronel, trésorier de l'association Maurice-Audin, qui décerne le prix de mathématiques. Présidée par Pierre Mansat, adjoint (PCF) au maire de Paris, l'association se veut l'héritière du comité Maurice-Audin, animé de 1957 à 1962 par des intellectuels. Ce comité eut notamment pour secrétaires Pierre Vidal-Naquet et Jacques Panigel. Le premier signa en 1958 L'Affaire Audin (éd. de Minuit), qui met à mal, page après page, le scénario de l'évasion. Le second réalisa un documentaire, Octobre à Paris, sur la répression de la manifestation du 17 octobre 1961.
Gérard Tronel oeuvre dans deux directions : la recherche de nouveaux témoins et la quête d'un document compromettant l'armée. "Les archives publiques de la guerre d'Algérie seront consultables en 2012, rappelle l'historienne Raphaëlle Branche. Mais je ne pense pas qu'on y trouve grand-chose sur cette affaire. La piste des témoins me semble plus intéressante : le fait qu'un Européen soit tué à Alger, en 1957, a nécessairement frappé les esprits."
"Une figure"
Qui se souvient aujourd'hui de Maurice Audin ? Emmanuel Trélat, 36 ans, le lauréat français du prix Audin, professeur à l'université d'Orléans, confie qu'il "connaissait assez mal l'affaire avant de s'intéresser au prix". Boumediene Abdellaoui, 35 ans, le lauréat algérien, enseignant à l'université de Tlemcen, dit y avoir été sensibilisé dès le lycée. "Une figure en Algérie", soutient-il. Alger a une place Maurice-Audin depuis les années 1970. Paris a attendu jusqu'en 2004.
Josette Audin assistera à la cérémonie du 8 mars. Le 11 juin 1957, les hommes venus arrêter son mari lui avaient promis : "S'il est raisonnable, il sera là dans une heure"...
Mattea Battaglia Article paru dans l'édition du 08.03.11