12 Janvier 2008
Auteur du palais de justice de Lyon (1995) et de 'ambassade de France à Beyrouth, (2003), Yves Lion a reçu, mardi 18 décembre, à 62 ans, le Grand Prix de l'urbanisme 2007, décerné par le ministère de l'écologie, de l'aménagement et du développement durable. Il est devenu une figure de l'aménagement urbain, depuis son travail sur le projet de la Plaine-Saint-Denis dans les années 1990 jusqu'à la définition d'EuroMéditerranée, à Marseille, aujourd'hui.
Que pensez-vous de l'intervention du président de la République, Nicolas Sarkozy, en faveur d'un Grand Paris, dont il fait une priorité ? Que le plus haut représentant de l'Etat intervienne sur ce sujet brûlant ne me choque pas. Il faut réunir toutes les forces pour que cette difficile mutation se fasse. Mon obsession, c'est d'en finir avec la limite du boulevard périphérique, qui n'est plus le "fond", le bout de la ville, mais le véritable centre de l'agglomération parisienne. Et, pour "effacer" la coupure du périphérique, toutes les interventions, à tous les niveaux politiques et administratifs, sont nécessaires. A Marseille, l'opération EuroMéditerranée, capitale pour l'avenir de la cité et du port, n'a démarré que lorsque l'Etat, la région et la ville se sont mis d'accord. Pour le "Grand Paris", il est indispensable d'organiser un grand débat public destiné à mettre au point un projet fédérateur. Après les élections municipales, le temps de la discussion doit venir. Avec, au menu, l'utilisation des espaces publics et l'arrêt du mitage du territoire.
Economiser le territoire, c'est construire en hauteur. Vous avez étudié, pour la Ville, la création de tours à Paris, dans le quartier Masséna. Est-ce possible ? Le débat et la concertation sur la question de la grande hauteur à Paris ont été passionnants. Les architectes se sont attachés à définir une tour "parisienne", et non à reproduire les mêmes gratte-ciel que dans le monde entier, mais il y a encore beaucoup de travail. Les tours peuvent être une solution pour faire le lien entre Paris et les villes voisines. A Masséna, sur un terrain difficile, au bord du périphérique, la grande hauteur est une bonne réponse architecturale et urbaine. On ne considère pas assez ce rapport d'échelle entre infrastructures et architecture. Il faut sortir de la morale du peu, du petit, qui aboutit à un étalement urbain plus important en France qu'ailleurs.
Le sujet est pourtant très polémique, notamment parce que les quartiers de tours ont souvent été ratés à Paris... La question de la tour, c'est celle du pied, pas du sommet. Pour qu'une tour soit réussie, il faut que le bas soit de plain-pied avec l'espace public, et non sur dalle, comme cela a été fait à Paris, à Beaugrenelle (dans le 15e arrondissement) ou aux Olympiades (dans le 13e). A New York, quand vous poussez une porte, vous ne savez pas si vous entrez dans une tour ou non. Il faut accompagner ces bâtiments hauts d'un espace public de qualité et éviter de poser des tours solitaires comme des monuments, mais au contraire les grouper pour doper la silhouette de la ville. De ces deux points de vue, la tour Montparnasse est un ratage complet.
Vous avez participé aux travaux du Grenelle de l'environnement, où il a beaucoup été question d'"architecture durable". Un effet de mode ? Depuis la nuit des temps, l'architecture est faite pour durer. Le souci de l'orientation des édifices, de l'efficacité des formes, on les trouve déjà chez les architectes de Rome ou de la Renaissance, Vitruve, Alberti ou Palladio. Il faut attendre le XXe siècle pour envisager une architecture qui tourne le dos à son environnement ! On cherche désormais à redonner aux bâtiments leur valeur thermique, à dépenser le moins d'énergie possible. Mais, dans le fond, ce qui doit changer, c'est l'éthique plutôt que la technique.
A quoi servira de limiter la consommation énergétique des logements si leurs habitants vont travailler en voiture ? La construction et l'urbanisme sont liés. Il faut éviter la dispersion des bâtiments sur de vastes territoires. Cela dit, je ne suis pas sûr que le monde de l'architecture se passionne pour ces problèmes pourtant essentiels.
Vous critiquez une architecture qui se borne à produire des "objets extraordinaires". Pourquoi ? L'architecture aujourd'hui a du mal à exprimer autre chose qu'elle-même, à manifester un intérêt collectif. La discipline se replie sur elle-même parce que beaucoup de professionnels ont l'impression que les phénomènes urbains leur échappent. On ne s'intéresse qu'aux objets architecturaux, et non à l'espace qui les relie. Or le vide appartient autant que le plein à l'architecture. Regardez la place dessinée par Bernin face à Saint-Pierre de Rome ! Quels édifices majeurs aujourd'hui construisent avec eux leur espace public majeur ? Les architectes semblent avoir oublié ce qui les rattache au monde.
Comment l'urbanisme peut-il jouer ce rôle ? L'urbanisme doit trouver les moyens d'exprimer l'intérêt collectif et s'attacher en priorité à définir l'espace public. Dans n'importe quel projet, il faut au minimum que l'espace public soit honorable. Je défends un urbanisme opportuniste. Je travaille en fonction du projet, de l'environnement, avec les moyens du bord. L'urbanisme doit composer avec tous les éléments, y compris les plus ordinaires. Il doit mettre en place les conditions pour que la ville puisse fonctionner même avec ses éléments moyens, vulgaires, ratés. Le monde n'est pas harmonieux. La cité idéale n'existe pas. Voyez ce qu'est devenu le grand ensemble du Mirail, à Toulouse, qui devait selon son architecte, Georges Candilis, être un modèle...
L'urbanisme de ces grands ensembles est souvent dénoncé. Qu'est-ce qui ne va pas dans ces quartiers ? L'espace public, justement ! Les rues sont évacuées sous les immeubles, sous les dalles, voire supprimées. Dans le quartier sensible du Neuhof, à Strasbourg, sur lequel je travaille, il y a peu de rues. C'est le résultat d'une des grosses erreurs de Le Corbusier : la volonté d'en finir avec la rue, alors que ce modèle fonctionne depuis la nuit des temps ! Avec cette autre absurdité : la "libération du sol", qui conduit à séparer les bâtiments par de grands espaces indéfinis qui tournent vite au terrain vague. L'avantage, c'est que ces quartiers sont très peu denses. On peut donc considérer les grands ensembles comme une formidable réserve foncière. Sans forcément chercher à reproduire la ville haussmannienne, on peut construire de nouveaux bâtiments dans les vides. La priorité, c'est de respecter et de rénover les édifices existants, sans s'interdire les démolitions. La ville s'est toujours constituée par addition et transformation. Ces grands ensembles ne sont pas la fin, mais le début de quelque chose.
Propos recueillis par Grégoire Allix et Emmanuel de Roux Article paru dans l'édition du 13.01.08.
Yves Lion sur RFI
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