6 Mai 2008
SIBYLLE VINCENDON
QUOTIDIEN : mardi 6 mai 2008
«Je ne revendique pas le poste de maire de Paris Métropole»
Interview
Réélu maire (PS) de Paris en mars, Bertrand Delanoë évoque le Grand Paris pour la première fois.
De quoi allons-nous parler : du Grand Paris ou de Paris Métropole?
Ne nous querellons pas sur les mots, attachons-nous plutôt au fond. Je préfère l'expression Paris Métropole à celle de Grand Paris, car ce qui doit naître devra impliquer autant les autres villes que la capitale. Souligner que la métropole est bien notre appartenance commune est donc plus adroit et plus juste, car ce n'est pas Paris qui s'agrandit. Nos voisins tiennent d'ailleurs à leur identité, et je les comprends.
A quoi cela sert-il de constituer une métropole?
Lors du précédent mandat, nous avons mesuré les effets de décennies d'arrogance et de mépris de Paris à l'égard de ses voisins. C'est pourquoi avec mon adjoint, Pierre Mansat, nous avons veillé à tisser des liens bilatéraux, à lancer des projets communs, avant que ne se crée la Conférence métropolitaine [en juillet 2006, ndlr]. Deuxièmement, nos collectivités partagent de nombreux défis, mais nos instruments sont insuffisants pour répondre notamment aux enjeux du logement, de l'attractivité économique ou des déplacements. Prenez ce dernier exemple : grâce au Syndicat des transports d'Ile-de-France (Stif), nous sommes moins en retard que dans d'autres domaines. Même si son pilotage par les élus est récent - il date de 2006 -, nous avons là un outil de gouvernance efficace. Il est vrai que demeure une problématique spécifique des déplacements en zone dense mais, selon moi, la plus grande urgence est celle du logement. Quelle est la situation actuelle ? D'un côté le volontarisme de certaines collectivités locales - dont Paris - pour diversifier l'offre de logement, sans oublier l'hébergement des exclus. Et de l'autre, l'égoïsme structurel de plusieurs communes de l'agglomération : dès lors, comment s'en sortir, sans une coordination commune ? Et je veux être honnête, en reconnaissant que Christine Boutin, ministre du Logement, n'est pas la dernière à dire que les Hauts-de-Seine et les Yvelines doivent faire leur part du chemin. Or, aujourd'hui, des élus préfèrent cyniquement payer des amendes plutôt que de réaliser des logements sociaux. J'ajoute que Paris assume plus de 65 % de l'hébergement d'urgence de toute l'Ile-de-France. Une instance de pilotage commun créerait nécessairement une dynamique qui porterait en elle une forme de contrainte.
Comment répartir les ressources financières, très inégales aujourd'hui?
Les moyens, c'est la solidarité. Le Val-de-Marne et la Seine-Saint-Denis ont moins de ressources fiscales, Paris et les Hauts-de-Seine en ont plus. Nous n'avons cessé de le dire depuis des mois : Paris sera solidaire en termes de partage des ressources. J'attends vainement le même engagement des Hauts-de-Seine. Sur l'attractivité économique, Paris a commencé à construire des projets dédiés à l'économie de l'intelligence avec Ivry ou avec Plaine Commune... Dans le même temps, comment La Défense pourrait-elle rester en dehors d'une ambition partagée pour le développement économique de notre métropole ?
Roger Karoutchi, chef de file de l'UMP au conseil régional, affirme que Paris ne met sur la table que la taxe professionnelle et pas les droits de mutation...
Sur le sujet, j'observe surtout que Roger Karoutchi a beaucoup fluctué. Je me réjouis même de certaines de ses fluctuations, puisque, après avoir tenu les propos les plus durs, il semble qu'il reconnaisse aujourd'hui les vertus de la Conférence métropolitaine. Très bien ! Mais d'où tire-t-il que Paris ne serait disposé à mettre en commun que la taxe professionnelle ? Nous n'avons pas précisé sous quelle forme et à partir de quelle source s'exprimerait cette solidarité. Car il faut décider ensemble et déterminer comment tout cela sera géré, pour quels objectifs.
Comment jugez-vous les premiers temps - discrets - de Christian Blanc, secrétaire d'Etat à la Région capitale?
Je le connais bien, j'apprécie ses compétences et je suis ouvert à un dialogue constructif. Il peut y avoir quelque chose d'insolite à charger un membre du gouvernement de s'occuper d'une région et je comprends que les élus locaux se montrent méfiants. Mais sans faire injure à Christian Blanc, je constate quand même que le gouvernement auquel il appartient réussit le tour de force d'organiser un Grenelle de l'environnement sans mobiliser de moyens budgétaires pour les transports en Ile-de-France. Ou encore que le président de la RATP, entreprise publique, promeut à juste titre une liaison interbanlieue par métro [le projet Métrophérique, ndlr] sans le début d'un financement de l'Etat. Et cela alors que les collectivités locales, dont Paris, se sont déjà engagées à y contribuer.
Le chef de l'Etat s'est-il trop avancé sur le Grand Paris ?
Il a eu l'intuition d'une question pertinente. Reste qu'il a été pendant plusieurs années président du conseil général des Hauts-de-Seine, sans jamais consacrer la moindre attention à la solidarité au sein de la métropole. De plus, il donne lui aussi l'impression de varier dans son approche du problème et de ne pas toujours déconnecter notre recherche commune de considérations tactiques ou électoralistes.
Comment interprétez-vous l'attitude réticente de Jean-Paul Huchon, le président (PS) de la région?
Jean-Paul Huchon a raison de défendre l'institution régionale et la légitimité des élus locaux. Quand j'ai souhaité avec d'autres, créer la Conférence métropolitaine, j'ai voulu absolument que la région Ile-de-France y joue un rôle central. Jean-Paul ne veut pas, et il a raison, que les enjeux électoraux de court terme - les élections régionales sont dans deux ans - servent de prétexte à de mauvais coups politiques. Le rapport qu'il a commandé à Jean-Paul Planchou a débouché sur un travail d'analyse remarquable. Il distingue plusieurs scénarios, parlons-en. Il est vrai que l'un ne me convainc pas - celui dit «de la marguerite» [des intercommunalités autour de la capitale] - puisqu'il conduit à isoler Paris. Mais pour le reste, je m'inscris pleinement dans cette démarche exigeante et constructive. D'autant que la dynamique de la zone dense doit profiter aussi à celle de territoires plus éloignés, notamment l'Essonne, la Seine-et-Marne, le Val-d'Oise ou les Yvelines.
Et le rapport Dallier, qui propose de fusionner les quatre départements centraux?
C'est assez créatif. Mais cela présente l'inconvénient de n'avoir aucune chance d'aboutir à court terme. Le sénateur Dallier est venu présenter son analyse devant la Conférence métropolitaine. Je ne dis pas que ses propositions sont vaines, mais encore une fois, elles ne sont absolument pas opérationnelles à brève échéance.
Ne pourrait-il pas y avoir un jour un maire du Grand Paris?
D'abord, ce n'est pas pour demain ni même pour après-demain. Ensuite, avec tous mes collègues de la Conférence métropolitaine, nous voulons sincèrement aboutir en faisant vivre un vrai processus démocratique. Nous proposons de tenir en juin des Assises de la métropole, en y associant tous les élus des différentes familles politiques concernées, la société civile, c'est-à-dire les acteurs économiques et associatifs, et à titre personnel, je trouverais très judicieux que l'Etat soit également présent. Je veux ajouter ceci : dans cette nécessité de créer une gouvernance commune, souple, performante, sur les sujets identifiés que nous venons d'évoquer, je souhaite que Paris donne de l'énergie, du savoir-faire, des moyens, mais je pense totalement inopportun que son maire en soit l'animateur principal. Disant cela, je veux évacuer la crainte selon laquelle Paris voudrait dominer. Clairement, je ne revendique pas de devenir le dirigeant de Paris Métropole, mais Paris y tiendra évidemment toute sa place.