« Banlieues » : terme fourre-tout dont les pires synonymes glanés çà et là parlent d’eux-mêmes : alentours, environs, extension… Comme une fourmilière vue d’en haut, qui reste une tache noire pour qui ne trouve pas le courage de se baisser. « Rien qu’ici, à Nanterre, il y en a deux, trois, dix, des banlieues », écrit Patrick Pécherot dans la nouvelle « Le jour où Johnny est mort ». Sous la direction d’Hervé Delouche, spécialiste de littérature noire, les treize auteurs du recueil Banlieues parisiennes Noir ont arpenté le bitume au-delà du périphérique parisien. Ivry, Pantin, Arcueil, Fleury… Ils ont saisi sur le vif le portrait de ces villes en perpétuelle mutation, trop souvent associées à une somme de clichés et de polémiques. « Le quartier, il a pas besoin de ça, on va encore stigmatiser la banlieue », déplore Karim Madani lorsqu’il évoque le Morillon, à Montreuil, une place où l’on naît et où l’on crève parce qu’il n’y a pas d’autre endroit où aller.
Qu’on ne se méprenne pas : il ne s’agit pas là d’embellir la banlieue. Le choix du genre « noir » exclut le fard et les artifices. De ces territoires émergent en premier lieu la tristesse ordinaire des oubliés, les destins brisés, les cités-prisons offrant parfois le pire comme moyen de s’en sortir. Voilà treize textes qui finissent souvent mal, comme dans la vie. Une existence avec du crack qui crame les cervelles et des dérives criminelles à foison.
Là où la révolte incube
Mais pas que. Les banlieues sont aussi les laboratoires de ce qu’est et de ce que devient notre monde : un organisme où les frontières cèdent, les populations se brassent, les religions se mélangent et la révolte incube. Christian Roux touche en plein cœur quand il écrit, au sujet de Mantes-la-Jolie : « Qu’est-ce qu’on a, nous, les monstres, à rester parqués dans nos cités alors que, de fait, on a le droit de marcher où on veut ? » Insa Sané déplore l’abandon de la jeunesse et de la culture dans le Sarcelles où il a grandi. Anne Secret évoque avec nostalgie l’histoire sociale de Boulogne-Billancourt, au temps des bébés Renault de l’île Seguin, quand la ceinture rouge étranglait Paris de ses usines.
Chaque écrivain, acteur local ou piéton de banlieue, a choisi son temps, ses acteurs, son franc-parler pour défaire les a priori et nous emmener au plus près de ces espaces kaléidoscopiques qui ne se résument pas à un labyrinthe de barres et de centres commerciaux. Portés par une alternance de voix confirmées ou moins connues du noir, ces textes tendus dressent un portrait sans concession de notre société. Mais jamais noir ou blanc. Les banlieues ne se résument pas à un duel entre le bien et le mal. Comme le souligne Marc Fernandez, « les bourges aussi sniffent de la blanche. Plus chère que le prix du marché mais après tout, ils ont les moyens ».
Ces courtes tranches de vie, par leur diversité, leurs nuances, heurtent une large palette de nos sensibilités. C’est tout l’avantage de la nouvelle, encore injustement boudée en France : proposer, l’espace d’une dizaine de pages, un concentré d’émotion et de tension où les mots et les idées sont à l’os. Elles sont aussi l’occasion de découvrir des auteurs, et il y a fort à parier que, après la lecture de Banlieues parisiennes Noir, votre bibliothèque s’agrandisse encore un peu.
Barbara Cassin, Alexandre Jollien, Catherine Malabou et Franck Thilliez tiennent ici à tour de rôle une chronique.
Banlieues parisiennes Noir,
sous la direction d’Hervé Delouche,
Asphalte, « Noir », 272 p., 20 €.