3 Juillet 2014
INTERVIEW. Deuxième partie de notre entretien avec Pierre Mansat. Au programme : projet métropolitain, citoyenneté, Atelier international du Grand Paris, engagement et idéal.
Après tous les retards sur le projet de loi et l’installation de la mission de préfiguration, pensez-vous que la Métropole du Grand Paris peut encore être créée le 1er janvier 2016 ?
Nous devrons être très exigeants avec nous-mêmes, mais il faut tenir le calendrier. Tous les sujets qui ont fait le besoin de métropole sont encore là, et même de plus en plus présents, qu’il s’agisse de logement, de pollution, d’attractivité ou de solidarité. Ces urgences doivent être traitées le plus tôt possible. On vient de passer 13 ans à débattre, on ne va donc perdre des années. La situation est mûre, la métropole doit naître.
Avec comme premier enjeu le logement ?
C’est autour du logement qu’elle s’est effectivement créée. Mais dans un cadre général qui est celui de la solidarité/attractivité. Cela veut dire que l’on ne parviendra pas à produire du logement si on ne se met pas d’accord sur un projet qui fasse de cette métropole un lieu attractif pour les entreprises tout en améliorant la qualité de vie de ses habitants dans tous les domaines (social, environnement, mobilité…).
Justement, à propos des habitants : la mission de préfiguration ira-t-elle les consulter ?
Je le souhaite. Le premier travail de la préfiguration doit être d’instaurer au moins un débat dans chaque commune. Mise à part la tentative de Paris Métropole en 2012 d’instaurer un cycle de débats qui a réuni 3 000 personnes, le citoyen est pour l’instant exclu de la construction de la Métropole. Il faut un travail d’éducation populaire politique, donner aux citoyens les éléments clef de compréhension, de façon à ce qu’en 2020, lorsqu’ils devront désigner les élus métropolitains au suffrage universel, ils aient conscience des enjeux, des compétences et de l’impact de la nouvelle administration sur les collectivités existantes. La mission de préfiguration doit s’occuper activement de leur participation.
D’autant que les citoyens sont bien plus avertis qu’on ne le croit.
Oui, toutes les enquêtes que l’on a pu faire montrent un véritable appétit des gens pour ces questions. Ils vivent une réalité métropolitaine et ont besoin de s’exprimer aux échelles pertinentes. Beaucoup en sont conscients, beaucoup l’attendent.
Il y a des choses à inventer sur la participation citoyenne, on peut s’inspirer des autres, regarder ce qui se fait à Stuttgart ou à Montréal où ils ont créé l’agora métropolitaine de manière à ce que les questions soient posées à l’échelle métropolitaine.
Depuis quelques temps, vous évoquez un « projet métropolitain » à construire. Les 12 clefs, données par l’Atelier international du Grand Paris (AIGP) dont vous êtes les président, sont-elles la base de ce projet ?
C’est un très gros sujet.
Nous avons dorénavant une institution prévue par la loi. Nous avons des éléments de programme : 70 000 logements à construire par an à l’échelle régionale, un grand métro automatique, la lutte contre la pollution de l’air… Mais tout ça ne constitue pas un projet, cela ne dit pas aux gens quelle est la nature de cette métropole que l’on veut construire, quelle est la nature du lien social que l’on souhaite voir s’établir.
C’est une vraie question de société qui se pose. Travailler sur ce sujet implique de travailler sur les définitions, les objectifs, et donc de posséder une vision politique car cela aura des implications très importantes.
C’est dans ce sens que l’AIGP a versé certains points de vue à un débat qui nourrira l’année qui vient, afin que, le moment venu, le Conseil métropolitain puisse voter ce projet. On a peu de temps pour le faire émerger, et donc les citoyens sont d’autant plus indispensables, ainsi que les expertises de l’AIGP, de l’IAU, de l’APUR et de l’AFTRP, pour aider à poser les bases qui permettront aux élus de le définir. Je pense que c’est vraiment à ces derniers que revient cette mission de l’édification du projet politique, projet au sens noble mais fondamental du terme.
Une sorte de constitution ?
En tout cas quelque chose qui dirait ce qu’est la nature profonde de cette métropole. L’une des clefs établies par l’AIGP dit qu’il faut penser la métropole de façon raisonnée. On ne fera pas une métropole de type nord américain ou sud américain, les villes européennes ont une histoire et des valeurs particulières sur lesquelles il faut s’appuyer. On sait que la métropolisation peut avoir des conséquences négatives, qu’elle entraîne parfois la spécialisation à outrance, la ségrégation, l’exclusion territoriale. Nous devons dire que ce n’est pas ce que nous voulons, que nous voulons une métropole équilibrée, solidaire, inclusive, qui soit en même temps une métropole dynamique et connectée au système mondial des échanges matériels et immatériels. Nous devons le dire et le mettre noir sur blanc.
Quelle forme pourront avoir ces débats sur le projet ?
J’ai suggéré à Paris Métropole que l’on crée un atelier du projet métropolitain, un lieu permanent, mobile, où se rencontrent des experts de toute nature, pas seulement les urbanistes, géographes et économistes, mais les experts du quotidien, citoyens, artistes, associations…
Il y a de beaux exemples. Berlin après la chute du mur avait mis en place un comité sur l’avenir urbain de la ville qui se réunissait tous les samedis dans un théâtre avec une scène ouverte.
Je rêve d’un système qui aille dans ce sens, où, dans le même temps que se réalise un travail d’éducation populaire sur les éléments de compréhension et d’organisation, ait lieu un débat sur l’objectif politique que l’on poursuit.
Ce projet métropolitain est-il conciliable avec le SDRIF ou les CDT ?
Sans vouloir être désobligeant avec le SDRIF ou les CDT, j’appelerai plutôt ça un programme qu’un projet. Le SDRIF ne fait pas projet de société, il ne règle pas les questions du lien social, il est plus technique. C’est un document très important, qu’il convient de valoriser, mais il ne représente pas le caractère politique que j’aimerais voir donner au projet métropolitain.
D’après l’économiste Frédéric Gilli, les habitants ont tendance à voir le Grand Paris à la fois comme une bénédiction, parce que facilitateur de développement, et comme une malédiction, parce qu’excluant. Un projet politique pourrait-il être le serment que cette malédiction n’aura pas lieu ?
C’est le défi principal, ce que j’appelle métropole des habitants / métropole mondiale. Les deux peuvent effectivement avoir des aspects contradictoires, et notre travail va être de faire un projet qui permette de réconcilier ces deux objectifs. Il faut à tout prix éviter tous les mécanismes de centrifugeuse qui excluent les habitants.
Ce projet n’est-il pas aussi le moyen de doter l’AIGP d’un avenir, alors qu’il semblait assoupi depuis quelques mois ?
Nous sommes rentrés, selon moi, dans la phase 3 de l’AIGP.
La première était celle de la consultation de 2008 qui fut foisonnante et qui a connu beaucoup de répercussions médiatiques, avec une exposition à la cité de l’architecture.
Un AIGP 2 s’est ensuite mis en place sur la base d’un nouvel appel d’offre avec 14 équipes, dont certaines nouvelles. Elles ont travaillé très sérieusement, mais n’ont pas connu le même écho médiatique, avec leurs études sur les systèmes métropolitains et « Habiter le Grand Paris ». Ce n’était pas très grand public.
Aujourd’hui, s’ouvre une phase 3. Un conseil d’administration est convoqué pour le 11 juillet. Il devra désigner un nouveau président, poste pour lequel je suis candidat, et nommer un directeur.
L’affaire du projet, c’est effectivement une chance pour l’AIGP de renouveler ses lettres de commande, mais l’AIGP est aussi une chance pour le projet. Qu’il s’agisse de l’APUR ou de l’IAU, ces agences pourront apporter leurs données, leur expérience pour établir un diagnostic de la métropole. L’AIGP est un électron libre complémentaire. Ses 14 équipes ne subissant aucune autorité, il peut interpeller et produire du mouvement. J’en espère beaucoup.
D’où vient votre engagement métropolitain ?
Cela date surtout la fin des années 1990. J’ai éé élu pour la première fois au Conseil de Paris en 1995, et en 1999 j’avais créé un petit réseau qui s’appelait Paris métropole ouverte où je m’interessais aux questions du rapport Paris-banlieue. C’était peut être ma forme de militantisme. Je voyais bien qu’il y avait une distance entre les Parisiens et les « banlieusards », comme on disait à l’époque, des différences de conception aussi sur la place de Paris dans ce système. J’avais suivi les travaux sur la préparation de la candidature aux Jeux olympiques qui avaient beaucoup ouvert les questions d’aménagement urbain et pensaient différemment le rapport Paris-banlieue., l’aménagement de la Plaine-Saint-Denis aussi… Quand Bertrand Delanoë a proposé une délégation dans ce sens en 2001, je me suis qu’il fallait y aller. On s’est mis d’accord, il m’a donné une feuille de route, et c’est parti comme ça.
En 1988, un groupe d’urbanistes appelé 75021 avait lancé un « Appel pour une métropole nommée Paris ». 25 ans plus tard, les thèmes qu’ils auscultaient n’ont guère changé.
25 ans après, oui, il a fallu ce temps-là. Quelques-uns de ce groupe sont encore des acteurs du débat métropolitain d’ailleurs : Yves Lion, Christian de Portzamparc, François Leclercq… Il y a eu des précurseurs dans le monde de la ville qui posaient les bonnes questions, comme Roland Castro et Michel Cantal-Dupart avec Banlieues 89. Mais il n’y avait pas de réponse au niveau politique. Nous sommes parvenus à faire prendre la mayonnaise politique parce que nous avons commencé sans nous fixer d’objectif institutionnel. Avec Bertrand Delanoë, on s’est dit : si on pose la question métropolitaine en termes d’institution, le débat n’aura pas lieu, car chacun se positionnera vis-à-vis de cette institution. Il s’agissait de bien autre chose, comme de poser la place de Paris dans l’agglomération, de penser l’agglomération en tant que systèmes imbriqués. Cela ne se faisait pas, alors.
Le Grand Paris peut-il être porteur d’un idéal ?
J’y crois très fort. C’est pour ça qu’il faut qu’on le dé-technocratise. Nous avons besoin de technos bien sûr, mais il faut que ce soit les élus et les citoyens qui aient la main sur le projet pour en faire un vrai projet appropriable et mobilisateur. Il ne s’agit pas d’un mécano institutionnel, mais du besoin de croire en quelque chose, de la nécessité d’ouvrir un chemin. En cela, je trouve la perspective métropolitaine exaltante.