1 Juillet 2014
INTERVIEW. S’il n’est plus élu à son Conseil, Pierre Mansat demeure l’interlocuteur incontournable de la Mairie de Paris sur les questions de la métropole et de sa gouvernance. Initiateur du syndicat d’élus Paris Métropole, il commente ici son actualité et sa première grande tâche politique : préfigurer le Grand Paris.
Quelle est votre nouvelle fonction à la Mairie de Paris ?
Je suis passé du côté de l’administration, au sein des cadres de la fonction publique parisienne. La maire de Paris m’a confié une mission permanente de conseil et de suivi de la mise en place de la métropole du Grand Paris. Au sein du secrétatriat général de la ville, nous sommes en train de mettre en place une « mission métropole » qui reprendra une partie de l’ancienne Délégation à Paris Métropole et aux coopérations (DPMC) et sera chargée de la métropolisation de l’action parisienne.
Quelle coopération avec Jean-Louis Missika qui est aussi en charge du Grand Paris ?
Jean-Louis s’occupe des projets très concrets : l’axe Seine, la plaine de Pierrelaye, les coopérations ponctuelles avec les collectivités, l’exposition universelle si nous y entrons… De son côté, la maire a conservé dans son portefeuille la gestion de la gouvernance du Grand Paris ainsi que sa construction politique. Je la réprésente lorsqu’il le faut.
Entre Expo universelle et JO, Anne Hidalgo a donc fait son choix ?
Elle s’est prononcé assez clairement contre les Jeux olympiques. À l’inverse, elle est très intéressée pour travailler sur l’hypothèse d’une exposition universelle. C’est vrai que le projet a un côté très dynamique, très moderne. Il annonce peu ou pas d’investissement des collectivités locales puisqu’il réutiliserait le patrimoine existant. Il a aussi une dimension numérique très forte. Anne Hidalgo n’a pas encore dit qu’elle irait, mais Jean-Louis Missika rencontrait Jean-Christophe Fromantin (maire UMP de Neully-sur-Seine et porteur du projet de l’expo universelle, NDLR) cet après-midi (jeudi 26 juin) et a donné des signes d’un engagement qui va dans ce sens.
On ne sent plus trop de dynamisme de la part de la Ville de Paris sur la question métropolitaine. Changement de politique ou effet de flottement ?
Je pense que c’était lié à la période électorale. Anne Hidalgo est très impliquée sur la dimension métropolitaine. Elle l’a évoquée dans la conférence sur le logement du lundi 23 juin. Elle défend l’idée que Paris doit assumer un rôle de leadership dans cette construction, et elle a bien l’intention de s’exprimer sur ce sujet.
En recherchant le consensus plutôt qu’en se basant sur une affrontement majorité/opposition, Paris Métropole a-t-il inventé une autre manière de faire de la politique en France ? Un peu à la façon du Parlement européen…
Je suis assez étonné par la résilience de Paris Métropole. On l’annonce chaque fois mort, chaque fois proche de disparaître. Et pas du tout. On a su trouver un mode de travail et d’échanges qui ne nie pas les oppositions politiques ou idéologiques (on l’a vu sur le logement, par exemple) mais qui s’appuie sur la culture du dialogue et la construction des solutions. Effectivement, cela peut se rapprocher du fonctionnement du Parlement européen.
Plutôt que de chercher ce qui nous divise, on part de ce qui nous rapproche et on essaye de construire des points de vue et des stratégies. On a acquis une force qui est assez étonnante dans le paysage politique actuel : on se parle sans s’invectiver, on écoute les arguments des uns et des autres, on sait se rapprocher ou évoluer dans le débat…
Cette reconnaissance de Paris Métropole ne lui confère-t-elle pas, à rebours, le danger d’être instrumentalisé, de devenir le lieu des luttes d’influence de la Métropole.
Il est certain que ce que l’on a su faire s’est construit dans un lieu dépourvu d’enjeu de pouvoir. La présidence tournante, par exemple, manifeste une ambition collective qui évite de s’enquyster dans une position de pouvoir. Le fait que Paris Métropole s’institutionnalise peut faire émerger des désirs de pouvoir. Je pense toutefois que cela a peu de chance d’aboutir. Si naissaient des vélléités de s’emparer du pouvoir de Paris Métropole et d’agir en ce sens, ce serait tellement contradictoire avec la culture acquise que cela serait voué à l’échec. Ne peuvent réussir à Paris Métropole que ceux qui sont imprégnés de la culture du travail en commun et de l’absence d’enjeux de pouvoir.
Comment voyez-vous alors l’étonnante primaire UMP qui a porté Patrick Devedjan comme candidat à la future présidence du syndicat ?
Ça les regarde. Je ne vais pas commenter ce qu’une formation politique croit bon de faire. Ce qui est certain c’est que celui qui présidera Paris Métropole à partir de décembre 2014 sera issu de l’UMP, mais devra travailler dans l’esprit de Paris Métropole. Sinon, on ira vers des difficultés.
Paris Métropole est-il fidèle à ce que vous imaginiez ?
Assez fidèle. Au départ, nous avions formulé l’idée que parmi tous les problèmes de la métropole, le principal était qu’il n’existait aucun lieu pour discuter, échanger de façon pérenne, suivant un agenda. Cela a mis du temps, trop à mon goût, mais on a su le construire. Il y a eu des oppositions, des réticences, des gens à convaincre, mais ce qui existe correspond assez à ce que j’avais rêvé comme mode de fonctionnement et comme scène politique nouvelle.
Cette scène nouvelle doit-elle évoluer ?
Elle doit se renouveler. Elle va se retrouver en situation de pouvoir différente, d’institutionnalisation, avec une mission de préfiguration qui va occuper une grande part de son champ de réflexion. Il va falloir que Paris Métropole s’interroge sur son avenir, mais je reste persuadé de la nécessité d’une instance politique durable à distance de l’État. Les élus doivent pouvoir conserver leur autonomie de pensée, un esprit critique par rapport à ce qui continue de s’organiser.
Anne Hidalgo soumettra des idées à Paris Métropole afin qu’on envisage la suite. On voit à peu près comment ça peut fonctionner jusqu’en 2016 et la mise en place de la Métropole, au-delà, il faudra peut-être inventer autre chose.
En s’ouvrant un peu plus à la grande couronne ? Certaines communes se demandent ce qu’elles font encore dans ce syndicat ?
Oui, c’est vrai qu’elles se demandent ce qu’elles font là. C’est la suituation qui veut ça. Aujourd’hui, elles ont peu d’espace pour exprimer les enjeux qui les concernent directement, comme l’affaire des intercos de 200 000 habitants ou le lien avec la métropole. Mais je pense que ça va venir. Paris Métropole a tout intérêt à avoir des communes adhérentes de grande couronne. Notre opinion est unanime là-dessus : il ne peut pas y avoir de projet métropolitain sans une réflexion sur le lien entre métropole et grande couronne. Même si elles ne font pas partie de la mission de préfiguration.
Il n’y aura aucun élu de grande couronne dans la mission de préfiguration ?
Il y aura la région et les présidents de Conseils généraux, ainsi que les maires des 45 communes qui accepteraient d’intégrer la métropole, pas les autres communes ni les intercos.
Est-ce que la mission discutera tout de même avec eux, et aussi pourquoi pas avec les villes du bassin parisien qui sont forcément impactées par cette métropole ?
Ce n’est pas dans la loi, mais je pense que dans le travail de la mission, il faudra inventer des rencontres de cette nature, avec, bien sûr, les intercos de grande couronne mais aussi avec le grand bassin parisien.
On ne peut pas réfléchir à une métropole resserée dans des limites institutionnelles, étroites, qui ne correspondent pas aux réalités de la métropole fonctionnelle. La métropole respire à une échelle qui va bien au-delà de l’échelle régionale. Cela sera très exigeant, parce qu’on n’a pas beaucoup de temps, mais il faudra bien inventer des moments pour évoquer ces questions.
Lorsque l’on s’était vu déjà pour un entretien il y a deux ans, nous avions évoqué les contributions de Paris Métropole pour son Livre Vert sur la gouvernance. À l’époque, vous m’aviez dit voir se dessiner trois grandes familles de pensée : la métropole contractuelle, la métropole intégrée et la métropole fédérée. A priori, il ne reste plus que les deux dernières. Qu’est devenue la métropole contractuelle ?
Elle se confondait un peu avec le statu quo, et les partisans du statu quo ont été battus, ils ne se sont pas beaucoup manifesté, ni exprimé. On s’aperçoit que la métropole qui émerge sera une métropole intégrée avec de fortes composantes fédératives.
Dans ce cadre, on peut se poser la question du contrat et la façon dont on envisage les relations des collectivités entre elles. Je pense, par exemple, aux relations entre Métropole et Région. Je suis partisan d’un pacte stratégique entre les deux. Il ne suffit pas de dire qu’il y a un SDRIF (Schéma directeur régional de l’Île-de-France, NDLR). Bien sûr, la Métropole sera subordonnée aux objectifs du SDRIF, mais cela ne fait ni un projet ni une stratégie politique. Il faudra un accord. Dans ce cas, les tenants de la métropole contractuelle pourront déployer leurs propositions.
Selon Patrick Devedjian, la Métropole est une « usine à gaz ». Pour Patrick Braouezec, c’est une « bombe à retardement ». Quelle est votre opinion ?
Ces propos sont excessifs. Certes, il y a beacoup de travail à faire car il y a beaucoup d’imprécisions dans la loi, notamment sur les fameux territoires. Il ne peut y avoir d’un côté une Métropole très puissante et de l’autre les seules communes. Cela ne fonctionnera pas, il faut des plaques intermédiaires. Ces plaques, ce sont les territoires. Reste à identifier le rôle qu’ils peuvent jouer dans cette organisation. Je ne pense pas que ce soit une usine à gaz, c’est même assez clair. Et ce n’est pas une bombe à retardement dans la mesure où nous allons travailler sur les modifications nécessaires à la loi.
Vous pensez que le gouvernement est prêt à franchir la ligne rouge qu’il a décrété ?
Ligne rouge qui porte sur les aspects financiers et fiscaux des territoires. Je pense, en tout cas, que l’on peut discuter.
Il est clair que les territoires ont besoin d’une forme de retour de leurs capacités créatives et de leur dynamisme. Il y a de la marge pour travailler sur ces questions sans aller jusqu’à à dépasser la ligne rouge.
Les territoires veulent à la fois être métropolitains et garder leur identité ?
Ils peuvent être les deux, à la fois l’échelon déconcentré de la métropole, son organisation locale, et être le lieu de la mobilisation de ses forces à une échelle de 300 ou 400 000 habitants. Ce double rôle me semble une façon de voir les choses.
Tout de même, c’est assez biscornu cette affaire. En 2012, Paris Métropole ne parvient pas à composer un Livre Blanc de la gouvernance, mais le premier projet de loi reprend ses recommandations. Il est retoqué, remplacé par un autre projet de loi qui va totalement à l’inverse. Puis finalement, cette loi votée va être repatouillée par Paris Métropole qui, sans doute, y réinstillera des éléments du premier projet de loi…
Il y a eu des couacs à plusieurs reprises.
Premier couac : l’impossibilité pour Paris Métropole de se mettre d’accord sur une proposition claire et consensuelle. Nous ne sommes pas parvenus à faire un Livre Blanc qui soit le fondement de la loi à venir. C’étais assez filendreux. D’ou un projet gouvernemental qui était lui même peu clair.
Deuxième couac : l’echec complet au Sénat, avec cette convergence dans les faits entre élus UMP et élus communistes qui é créé une majorité d’opposition. Et on se retrouve avec une page blanche.
Troisième couac : pour écrire sur cette page blanche, les députés n’écoutent pas du tout les élus locaux. Paris Métropole est déconsidéré, vu comme l’empêcheur de faire la Métropole, alors qu’il ne peut pas y avoir de Métropole sans les élus locaux. Ce sont eux qui vont la faire, leur opinion doit être prise en compte.
Ces trois couacs successifs font que la situation est un peu « branquignol ». J’espère que la porte ouverte par Manuel Valls permettra de récupérer pas mal d’anomalies ou de dysfonctionnements de l’article 12 de la loi.
Le premier objectif de la mission de préfiguration est de refaire la loi ?
Elle doit tout faire en même temps. La pression va être énorme. Elle devra être en mesure de produire les textes et les rapports que la loi prévoit, et en même temps travailler sur le statut des territoires afin de parvenir en septembre à trouver une porte de sortie qui satisfasse tout le monde