19 Août 2013
La simultanéité des faits, sans cause commune apparente, donne toujours un sens à l'histoire. Au moment même où l'Assemblée nationale adoptait solennellement la loi sur la métropole parisienne, éclatait à Trappes, à la suite d'un simple contrôle de police d'une femme en niqab, une des plus graves émeutes urbaines que la France ait eu à connaître au cours des dernières années.
Il faut admettre pour les deux évènements la force du témoignage. Il revient à la présidence de François Hollande d'avoir rompu le tabou instauré en dogme par Nicolas Sarkozy en 2009, lors de l'inauguration de l'exposition sur le Grand Paris à Chaillot, de renvoyer sine die la réforme institutionnelle dans la capitale. Prévoir un pouvoir métropolitain géré à terme par des conseillers territoriaux élus au suffrage universel répond au vœu de tous les observateurs, qui s'accordaient à souligner que sans transformation démocratique de la "gouvernance" parisienne, aucune vision d'urbanisme d'ampleur n'était réalisable. Le champ du possible est donc désormais ouvert.
L'interprétation des violences de Trappes est plus délicate, car elle pose des questions d'éthique sociale. Où s'arrêtent la liberté de culte que la France reconnaît à toutes ses communautés et le respect de la loi républicaine qui s'impose à tous ses résidents, nationaux et étrangers ? Où finit le combat légitime contre les manifestations d'un islamisme provocateur et où commencent des conduites condamnables d'islamophobie agressive ? Comment défendre la police dans l'exercice difficile de ses tâches régaliennes imprescriptibles et ne pas l'exonérer d'abus d'autorité parfois indéniables à l'encontre de certains groupes? La réponse à ces interrogations est d'autant plus indécise que l'on surdétermine la dimension ethnique et religieuse des actes au détriment d'une analyse de la détresse sociale, économique, éducative, de beaucoup des habitants des quartiers difficiles. La crise d'identité culturelle rejoint ici la crise urbaine globale. Elle ne peut pas se résoudre par une simple rénovation locale du bâti, dont Trappes montre à l'envi les limites. Elle pose à l'échelle globale de la métropole le problème structurel de l'intégration de toutes les populations aux valeurs nationales par l'école laïque, l'emploi régulier, l'accessibilité géographique. A cet égard, Trappes n'est pas séparable des défis de l'ensemble de l'agglomération capitale.
Mais Trappes, dans les Yvelines, ne fait pas partie du territoire métropolitain, limité initialement par la loi à Paris et aux trois départements de la petite couronne (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val de Marne). Par quelle aberration le législateur a-t-il pu s'arrêter à une frontière aussi peu fondée historiquement (le découpage parisien date de 1964) que fonctionnellement ? Toute la stratégie parisienne en matière d'activité, de logement, de transport, d'environnement, intéresse à l'évidence l'ensemble de l'agglomération continue, de ville nouvelle à ville nouvelle, et pas seulement le cœur du dispositif dense. Beaucoup plus que la suppression des intercommunalités et la limitation du pouvoir des maires dans la nouvelle institution, c'est cette amputation arbitraire de la réalité qui apparaît un déni d'efficacité et d'équité démocratique. Le texte peut bien prévoir à l'intérieur de la structure des "conseils de territoire" de quelque 300 000 habitants (l'idée reprend curieusement la proposition du grand sociologue Paul-Henri Chombart de Lauwe dans un ouvrage plus que trentenaire ; les auteurs de la loi l'auraient-ils lu ?), et des demandes d'adhésions volontaires d'entités municipales situées en grande couronne. C'est bien mal régler les problèmes fondamentaux d'articulation entre démocratie métropolitaine et appartenance locale, et surtout de pertinence globale de l'unité urbaine. Trappes attendra encore longtemps que son handicap d'enclavement géographique, économique et social, soit affronté à la juste dimension de la métropole.
A côté de ce grief majeur, l'autre faute du nouveau texte semble presque vénielle. Pour ménager sans doute la Région, on lui a laissé la gestion et la prospective des transports franciliens. On a assez dit ici pour ne pas se répéter combien la segmentation des objectifs urbains -efficacité économique, abondance du logement de qualité, amélioration de la mobilité - était préjudiciable à la réussite d'ensemble de la politique de la ville. On s'étonne plus encore de cette disjonction quand on se rappelle que toutes les équipes d'architectes -urbanistes du Grand Paris avaient mis l'accent sur les transports comme moteur de leurs propositions. Voilà donc un embryon d'institution privée de son principe même d'évolution. Quand on connaît les retards chroniques sur la branche C du RER desservant Trappes, les embouteillages périodiques sur la nationale 10 et l'autoroute A 12, qui irriguent la zone, on craint fortement que les nouvelles divisions et superpositions des pouvoirs dans la capitale soient une raison supplémentaire de déception. Une fois de plus, les troubles urbains sont un révélateur des maux profonds de la ville.
Le dessein pharaonique de Nicolas Sarkozy sur la région capitale avait échoué sur l'excès de manœuvre politicienne. A l'étranger, la première question de tous les interlocuteurs porte sur le bilan de la première année de François Hollande. On ne voudrait pas que sur la métropole parisienne la réponse bute sur un défaut de lucidité et d'engagement politique complet. Il est encore temps : l'émeute de Trappes doit être un détonateur pour une avancée plus large et plus efficace de l'institution du Grand Paris.