La volonté suffit-elle pour faire avancer le Grand Paris ? Lundi 13 octobre, à l’issue d’un comité interministériel consacré au sujet et lors d’une visite à Créteil (Val-de-Marne), Manuel Valls en a déployé une quantité considérable. Tant sur la construction de logements, en panne, que sur le futur métro automatique Grand Paris Express, il promettait qu’il allait accélérer le tempo. Sacré risque. Il arrive que la réalité résiste aux élans.

Jeudi, c’est arrivé. La RATP a reconnu que le prolongement nord de la ligne 14 vers la mairie de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), première pierre du Grand Paris Express, aurait deux ans de retard. Acquisitions des sous-sols trop lentes, mauvaise coordination des travaux avec ceux d’autres opérateurs de réseaux, recours de riverains : la 14 rencontre sur son chemin la routine de ces grands chantiers. Les retards (et les dépassements de budgets) sont l’ordinaire. Il n’empêche, le signal est malheureux.

Liaison. Car dans le plan Grand Paris du Premier ministre, intitulé «le temps des réalisations», la promesse la plus audacieuse concernait les transports. «Nous nous donnons un objectif : que les aéroports d’Orly et de Roissy soient desservis dès 2024 par les nouvelles lignes de métro du Grand Paris Express», avait-il dit à Créteil. Idem pour le pôle de Saclay (Essonne), «relié à Orly à cette même échéance» : 2024, soit trois ans avant le calendrier initial, déjà très optimiste avec un objectif à 2027.

Même volontarisme pour CDG-Express, liaison spéciale vers l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle que Manuel Valls a promis pour 2023, alors qu’elle est dans les sables depuis des années.

En s’avançant ainsi sur les délais qu’il raccourcit d’un coup de menton, le chef du gouvernement fait un pari politique osé. Car rien ne garantit que l’accélération des chantiers du métro soit possible.

Publication spécialisée dans les transports, la newsletter Mobilettre signale par exemple que les experts ne voient pas comment la Société du Grand Paris, qui doit construire le reste du réseau, va parvenir techniquement à réaliser, en six ans, 33 kilomètres de tunnels et six gares pour son premier chantier sur la ligne 15 sud. Manuel Valls, qui a pris le dossier Grand Paris en main personnellement, joue une part de sa crédibilité quand il affirme accélérer la cadence. D’autant plus qu’il ajoute une contrainte : l’exposition universelle de 2025, à laquelle le Grand Paris va présenter sa candidature. Pas question de ne pas être prêt.

vitrines. Mais ce n’est pas le seul acte de grand volontarisme que Manuel Valls a posé lors de son discours de Créteil. En concentrant les efforts de relance de construction de logements sur cinq grands sites (pour commencer), le Premier ministre s’offrira, si tout se passe bien, cinq vitrines bien visibles de son action. Et cinq échecs tout aussi visibles si tout s’encalmine. Autour du canal de l’Ourcq (Seine-Saint-Denis), de la cité Descartes de Marne-la-Vallée (Seine-et-Marne), à Villejuif (Val-de-Marne), Gennevilliers (Hauts-de-Seine) et Louvres-Puiseux (Val-d’Oise), les situations et les problématiques sont variées.

Là encore, le nouveau patron du Grand Paris ose, avec ce qui ressemble à une insulte à la décentralisation : remettre l’Etat dans le jeu. Alors que certains nouveaux maires ont carrément annulé des chantiers de logement dès leur arrivée, Manuel Valls charge un organisme d’Etat, l’Agence foncière et technique d’aménagement de la région parisienne; de piloter une opération d’intérêt national (OIN) sur ces cinq premiers sites. «On peut être dans une République décentralisée […] et en même temps voir l’Etat assumer ses responsabilités», a-t-il affirmé à Créteil. A droite, Valérie Pécresse, présidente du groupe UMP au conseil régional d’Ile-de-France, a immédiatement prédit «un retour à la politique immobilière des grands ensembles».

Valls remet l’Etat dans le jeu, mais il ne compte quand même pas enlever les permis de construire aux maires pour les donner au préfet. Le pilotage par l’Etat consistera surtout à réunir les élus et les acteurs du logement d’un même secteur autour d’une table pour les convaincre d’agir dans le même sens et tenter de démêler les nœuds. Parmi les cinq sites, celui de Villejuif montrera si la méthode Valls fonctionne : le nouveau maire, l’UMP Franck Le Bohellec, a fait campagne contre les constructions prévues par son prédécesseur.

Mais, en reprenant la main sur le Grand Paris, le Premier ministre tente surtout d’être celui qui réussira l’objectif de départ : en faire une machine à redémarrer la croissance. «Sur l’accélération, les milieux économiques applaudissent des deux mains. Le projet a repris une tournure économique», constate Etienne Guyot, directeur général de la chambre de commerce et d’industrie Paris-Ile-de-France. Utiliser le Grand Paris pour relancer la croissance ? Le voilà, le vrai pari.

Sibylle VINCENDON