C'est une partie d'échecs dans laquelle 226 élus franciliens avancent leurs pions dans tous les sens. Difficile de s'y retrouver au sein de la mission de préfiguration de la future Métropole du Grand Paris (MGP), qui doit rendre un rapport au Premier ministre le 30 septembre. Il y a ceux qui veulent plus de Grand Paris et ceux qui en veulent moins, ceux qui souhaitent s'en tenir à la loi Maptam* et ceux qui espèrent la détricoter, ceux qui défendent une métropole toute-puissante et ceux qui rêvent de lui faire la peau. Avec parfois des arrière-pensées politiciennes. Manuel Valls a admis début juillet que la loi était imparfaite et qu'il fallait réécrire son article 12. Ce à quoi travaillent les 226 membres du conseil des élus. Mais les discussions semblent s'enliser. La MGP y survivra-t-elle? Une poignée d'élus, de droite et de gauche, emmenés par Patrick Ollier, maire UMP de Rueil-Malmaison (92), et la maire PS de Paris Anne Hidalgo, ont décidé de prendre les choses en main. Ils entendent défendre ensemble une "proposition de consensus". Le JDD en dévoile la teneur.
Pour l'instant, le rapport sur lequel planchent les élus prévoit quatre scénarios : 1) un quasi statu quo, c'est-à-dire une métropole ayant tous les pouvoirs, chapeautant des "territoires" – ces nouvelles entités géographiques de 300.000 habitants – de peu de poids ; 2) des territoires plus forts sans fiscalité propre ; 3) des territoires transformés en établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre ; 4) une métropole "light", très fédérée, qui se contenterait d'enregistrer les décisions des territoires.
"À ce stade, une majorité d'élus penchent plutôt pour les solutions 3 et 4", explique Daniel Guiraud (PS), le président du syndicat Paris Métropole. Manuel Valls, lui, préférerait le scénario 1, voire le 2. "Le Premier ministre n'acceptera jamais de concéder une autonomie fiscale aux territoires. La Métropole doit être la seule à lever l'impôt", soutient le député PS Alexis Bachelay, l'un des principaux artisans de la loi actuelle.
Donner, ou pas, à la Métropole un pouvoir fiscal…
Les 226 représentants de la mission de préfiguration voteront le 8 octobre pour l'un des scénarios. "Nous devons absolument faire preuve de pragmatisme et de sens de l'intérêt général, au-delà des clivages politiques", estime Patrick Ollier. L'ancien président UMP de l'Assemblée nationale (2007) appelle les élus à choisir "à une large majorité" une solution "de compromis", soufflée par le député UMP Gilles Carrez (président de la commission des finances). Il s'agit de conférer à la Métropole comme aux territoires le statut d'EPCI. Pour cela, il faudra aussi changer la loi de 1999, qui interdit à une commune d'appartenir à deux EPCI à fiscalité directe. Le Grand Paris deviendrait une "fédération de communes" dotée de "compétences stratégiques, d'harmonisation et de coordination (Plan local de l'habitat, politique de la ville, aménagement, compétences économiques…)".
Cette formule est défendue conjointement par Anne Hidalgo, mais aussi par Daniel Breuiller (maire EELV d'Arcueil), Patrick Jarry (maire PCF de Nanterre), Laurent Lafon (maire UDI de Vincennes), Philippe Laurent (maire UDI de Sceaux), Jacques J.P. Martin (maire UMP de Nogent-sur-Marne) et même Patrick Braouezec (président PCF de Plaine Commune). "Anne Hidalgo plaide pour une métropole forte avec des territoires forts. Elle souhaite qu'elle soit adoptée par un vote très largement majoritaire, à gauche comme à droite", précise Pierre Mansat, adjoint à la maire de Paris chargé de Paris Métropole. Selon ce scénario, chaque échelon – y compris les communes – aurait une capacité financière autonome : les deux impôts économiques locaux (qui ont remplacé la taxe professionnelle) seraient répartis équitablement entre la Métropole et les territoires : la cotisation sur la valeur ajoutée (CVAE) pour la première, la cotisation foncière des entreprises (CFE) pour les seconds ; environ un milliard d'euros chacune. En même temps, un fonds d'investissement métropolitain serait créé pour répondre à la demande de solidarité territoriale.
"Il n'y a qu'à Paris et à Marseille qu'on n'arrive pas à s'entendre"
Cette proposition pourrait séduire les défenseurs d'une métropole puissante. "On est bien parvenus à un accord pour le Grand Paris des transports", note Daniel Guiraud, également maire des Lilas. "Il n'y a qu'à Paris et à Marseille qu'on n'arrive pas à s'entendre, alors qu'à Lyon, Lille, Nantes, Rennes… les métropoles sortent de terre", ajoute Alexis Bachelay.
Mais tous les grands élus franciliens ne sont pas prêts au compromis. Patrick Devedjian, le président UMP du conseil général des Hauts-de-Seine, se situe sur une tout autre ligne : "Je suis favorable à une métropole qui exerce des compétences stratégiques – transport, gestion des grandes voiries (périphériques, autoroutes), aéroports, fluvial… – et non des compétences de proximité. Les territoires doivent avoir le pouvoir de lever l'impôt pour gérer les crèches, les ordures ménagères, les piscines ou les conservatoires de musique. Le gouvernement ignore complètement les réalités." Qui aura le dernier mot, des sceptiques ou des pro-Métropole du Grand Paris? La partie d'échecs ne fait que commencer.
* La loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (Maptam) du 27 janvier 2014 prévoit la création de la Métropole du Grand Paris (MGP) au 1er janvier 2016. Cette nouvelle instance doit regrouper la capitale et les 124 communes de la petite couronne (92, 93 et 94) ; 46 autres communes limitrophes de grande couronne (77, 78, 91 et 95) peuvent s'y rattacher sur la base du volontariat.