Le Grand Paris a-t-il un avenir? Les incertitudes sont encore nombreuses et les intérêts divergent. D'autant que l'agglomération parisienne s'est réveillée à droite au lendemain des municipales, alors que la gauche y pesait jusqu'ici 60%. "Nous entrons dans une période de préfiguration [2014-2015]. Des décrets et des ordonnances doivent être pris pour éclaircir de nombreux points sur lesquels la loi est floue, imprécise ou mal ficelée", indique le géographe Gérard Lacoste, directeur général adjoint de l'Institut d'aménagement et d'urbanisme (IAU) d'Île-de-France. Une mission de préfiguration co-présidée par le préfet de région, Jean Daubigny, et le président de Paris Métropole, Daniel Guiraud – composée des maires, des présidents des intercommunalités, des départements, du conseil régional, de deux députés et deux sénateurs – établira un diagnostic et rédigera un projet métropolitain. Un décret doit l'installer incessamment. Les inconnues auxquelles cette mission devra répondre ne manquent pas.
"Les collectivités locales vont perdre le contrôle des cinq compétences stratégiques qui seront de la responsabilité de la Métropole", explique Gérard Lacoste. À savoir : logement ; politique de la ville ; aménagement de l'espace ; lutte contre la pollution ; création et gestion de zones d'activité économique, culturelle, éducative ou sportive. Quant aux compétences des 19 intercommunalités – vouées à disparaître purement et simplement –, la MGP en héritera. On se retrouvera donc avec des communes isolées, amputées de ces cinq compétences stratégiques, et des communes membres d'intercommunalités qui se verront dessaisies aussi des compétences – et des ressources – qu'elles avaient déléguées. Quid des compétences dites "orphelines" qui n'ont pas un "intérêt métropolitain"? La MGP pourrait les rétrocéder aux communes. Problème : que deviennent les contrats signés entre des prestataires et des intercommunalités? Par exemple, le ramassage des ordures ménagères, l'aménagement de la voirie, la gestion d'une navette intercommunale… "Là, ça devient extrêmement complexe", soupire le géographe-économiste.
Les législateurs ont imaginé une nouvelle entité qui pourrait répondre – partiellement – aux questions posées ci-dessus : le territoire, qui devra rassembler au minimum 300.000 habitants. Le préfet est chargé d'en fixer les limites géographiques, en s'inspirant des frontières des intercommunalités existantes. Il pourra aussi tenir compte des contrats de développement territorial (CDT) signés en petite couronne. À l'issue de ce redécoupage, la Métropole pourrait compter une douzaine de territoires, dont Paris, le plus imposant. "Pour l'instant, les futurs territoires n'ont pas de statut juridique, ils ne sont pas en situation de prendre de grosses responsabilités. Or, la plupart des maires demandent qu'ils soient dotés d'une autonomie financière et de gestion", précise Gérard Lacoste. Le gouvernement voudra-t-il confier une fiscalité et des pouvoirs forts à ces territoires? Cela les ferait beaucoup ressembler aux intercommunalités actuelles. Tout en rajoutant une épaisseur au millefeuille administratif. Mais alors que faire des prestataires communs à plusieurs communes évoqués plus haut? La question cruciale de la marge de manœuvre de ces conseils de territoire devra être tranchée par voie d'ordonnances par le gouvernement.
La Métropole sera administrée par une assemblée de 340 élus métropolitains, qui siégeront à la fois dans leur conseil municipal, dans leur conseil de territoire et à la MGP. Chacune des 124 communes du Grand Paris enverra au moins un représentant à la MGP. Ainsi qu'un représentant supplémentaire pour chaque ville, par tranche de 25.000 habitants. La capitale, avec ses 2,27 millions de Parisiens, totalisera 90 conseillers métropolitains, puisés parmi ses 163 conseillers de Paris. D'ailleurs, elle pourrait bien être la seule ville à présenter une diversité politique au sein de la MGP. Une délibération doit être adoptée pour que chaque formation soit représentée à proportion de son poids politique. Le groupe Europe Écologie-Les Verts, par exemple, qui compte 16 membres sur 163 conseillers de Paris, disposerait de 10% des sièges parisiens à la MGP. Pour les communes de la petite couronne n'envoyant que deux ou trois conseillers métropolitains, c'est simple : compte tenu du mode de scrutin aux municipales, ils seront de la même couleur politique. La question commencera à se poser pour les villes de plus de 75.000 âmes, qui auront donc droit à 4 représentants à la MGP. Elles sont au nombre de 14 : Boulogne, Montreuil, Saint-Denis, Créteil, Nanterre, Courbevoie, Vitry, Colombes, Asnières, Aulnay, Rueil-Malmaison, Champigny-sur-Marne, Aubervilliers et Saint-Maur-des-Fossés. On pourrait ajouter Argenteuil et Versailles, si ces deux villes choisissent de rejoindre la MGP. Pour elles, la loi ne dit rien : le quatrième conseiller métropolitain devra-t-il être de la majorité ou de l'opposition? Personne ne sait. Sans parler de la parité, impossible à mettre en œuvre…
"Pour l'instant, la loi prévoit qu'on mette dans une caisse commune tout l'argent qui va aujourd'hui aux communes et aux intercommunalités pour financer les cinq compétences dites d'intérêt métropolitain", rappelle le responsable de l'IAU-ÎDF. Les recettes de ces collectivités locales – la fiscalité professionnelle et les dotations de l'État – doivent être intégralement versées à la MGP. Problème : "Cet argent sert aujourd'hui à quelque chose, comme le ramassage des ordures ménagères ou le fonctionnement des équipements sportifs mis en commun dans les intercommunalités. La Ville de Paris aussi va perdre de l'argent qui lui sert aujourd'hui à financer ses écoles, ses crèches, sa voirie, tous ses services…" Certes, la MGP devrait restituer les sommes correspondantes à toutes les compétences non-métropolitaines : "Il y aura un système de vases communicants entre l'argent qui va remonter à la Métropole avant de redescendre vers les communes." Mais la question financière risque de se transformer en casse-tête. Car un grand flou demeure.
La gauche espérait présider la future Métropole. Claude Bartolone, Anne Hidalgo, Jean-Marie Le Guen lorgnaient le fauteuil de président. La vague bleue des municipales a refroidi la gauche. Mais la droite, qui s'était farouchement opposée au projet – à l'exception notable du sénateur-maire UMP du 93, Philippe Dallier –, est potentiellement à la tête d'un important instrument de pouvoir, dont elle ne voulait pas. Que faire de ce dilemme? Si le Sénat rebascule à droite en septembre 2014, la donne en sera-t-elle changée? Les débats risquent d'être vifs au sein de l'UMP et de l'UDI, qui peuvent espérer plus de 55% des sièges de conseillers métropolitains. Et la présidence. Au final, malgré son hostilité au projet, la droite pourrait trouver un avantage à ne pas saborder cette MGP.
Qui alors, à droite, pour piloter ce mastodonte? Ni Valérie Pécresse, ni Patrick Devedjian, ni Roger Karoutchi – qui demande au nouveau gouvernement de "geler" la loi – ne peuvent y prétendre, puisqu'ils n'ont pas été élus conseillers municipaux. En revanche, Philippe Dallier et Patrick Ollier s'y intéressent. D'autres ténors pourraient y prétendre, comme Nathalie Kosciusko- Morizet, André Santini, ou le maire de Sceaux, Philippe Laurent. Mais comment réagira Anne Hidalgo, pour qui la MGP ne peut se concevoir sans la capitale? La nouvelle maire PS de Paris aura forcément son mot à dire. Par ailleurs, quels impacts auront les annonces récentes du nouveau Premier ministre, Manuel Valls – il entend supprimer les départements, fusionner des régions et faire disparaître la clause de compétence générale de ces collectivités – sur cette Métropole en devenir? L'avenir du Grand Paris est encore pavé de mystères.
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