Conférence de presse au Sénat à 8 h 30 hier, contre-conférence de presse de Jean-Paul Huchon à la région dans la foulée : la guerre du Grand Paris a commencé. Très en verve, requinqué par sa réélection à la tête de la région, Jean-Paul Huchon (PS) a décerné un « triple zéro » à la version sénatoriale du projet de loi du Grand Paris.
Avant l’examen, mardi au Sénat, du projet (qui prévoit de créer, d’ici à 2025,un super métro automatique de 130km autour de la capitale reliant les pôles de développement économique,) le sénateur UMP Jean-Pierre Fourcade a présenté hier les travaux de la commission sénatoriale. Pour l’élu de Boulogne-Billancourt, ce projet est vital car la région Ile-de-France « se fait distancer dans la compétition mondiale par Londres, les capitales asiatiques et bientôt Berlin ». Il a ensuite détaillé les amendements apportés au texte, dont certains ont provoqué l’ire de Jean-Paul Huchon. « La perle de cette version, c’est l’abandon autoritaire du processus de concertation sur notre projet Arc Express ! » s’est emporté Jean-Paul Huchon. A la demande du sénateur NC de Paris Yves Pozzo di Borgo, le Sénat demande en effet l’arrêt de la concertation sur le projet de métro de la région autour de Paris, Arc Express, « puisqu’une grande partie de son tracé est commune à celui de Christian Blanc », histoire de faire des économies.
Les sénateurs évasifs sur les taxes
« C’est faux et, en plus, nous sommes prêts. Le débat sur Arc Express peut être lancé dès juin », explique Jean- Paul Huchon, qui estime son métro plus efficace et surtout moins cher que celui de Christian Blanc (10 à 12 milliards d’euros contre 21 milliards d’euros).En outre, les élus de la région dénoncent la création de trois nouvelles taxes et, surtout, le grand flou sur le financement des 21 milliards du super métro. « On nous dit que l’Etat va avancer 4 milliards d’euros pour amorcer ensuite des emprunts. Moi, je ne sais pas comment ils font21avec4, il faudra qu’ils m’expliquent ! » ironise Jean-Paul Huchon. Les sénateurs sont restés évasifs hier matin sur le produit attendu de ces taxes, notamment celles sur la plus-value foncière issue de la valorisation des terrains qui seront aménagés autour des futures gares du super métro. Surtout, Jean- Pierre Fourcade n’a pas précisé comment sera financé le fonctionnement de ce super métro. Hier, la gauche, qui pilote la région a été claire : elle fera tout pour s’opposer au projet de loi Grand-Paris.
Les sénateurs s'emparent du Grand Paris
publié le 01 avril 2010
Les premiers travaux du Grand Paris, et plus précisément la construction de la double boucle de métro automatique autour de la capitale, qui représente un investissement de 21,4 milliards d'euros, pourraient commencer "début 2012", a assuré Jean-Pierre Fourcade, rapporteur de la commission spéciale du Sénat sur le projet de loi Grand Paris, au cours d'un point presse le 31 mars. Le projet de loi, voté à l'Assemblée nationale en décembre dernier a été adopté par la commission spéciale du Sénat le 25 mars et sera examiné en séance à partir du 6 avril. Le gouvernement ayant engagé la procédure accélérée, une seule lecture est prévue par chambre, avant, le cas échéant, examen en commission mixte paritaire.
Selon Jean-Pierre Fourcade, si le texte était voté à l'été 2010, le projet global pourrait être présenté à la rentrée en "septembre-octobre" et les travaux pourraient démarrer "début 2012" et non "fin 2013" comme l'avait annoncé en décembre dernier le secrétaire d'Etat au développement de la région-capitale, Christian Blanc. Une fois le texte voté, le projet sera établi par la future société du Grand Paris puis soumis à "la région, au Stif (Syndicat des transports d'Ile-de-France), à Paris Métropole et à l'atelier international d'architecture, qui ont quatre mois pour donner leur avis, a précisé le rapporteur. Ensuite, le débat public s'ouvrira et il y aura un délai de quelques mois pour arriver à trouver le projet définitif".
Jean-Pierre Fourcade a en outre souligné que "l'Etat assurera le financement de la double boucle de métro du Grand Paris via la SGP (Société du Grand Paris)" et ajouté que Christian Blanc annoncera le 6 avril une dotation "de l'ordre de 4 milliards d'euros". "Cette somme qui provient en grande partie de l'argent que l'Etat a investi pour soutenir le marché bancaire et qu'il va récupérer permettra à la SGP d'emprunter à long terme les montants nécessaires à la réalisation de l'infrastructure", a encore précisé le sénateur.
Coup d'arrêt au projet Arc Express
Lors de l'examen du texte en commission spéciale, plusieurs amendements importants ont été adoptés. Sur le volet transports, la principale modification concerne l'arrêt de la consultation publique sur le projet de rocade Arc Express, porté par le conseil régional Ile-de-France (voir notre article ci-contre). Une disposition qualifiée de "déclaration de guerre" par Jean-Pierre Caffet, sénateur PS de Paris, qui a souligné "l'hostilité des élus locaux et en particulier de la région Ile-de-France" à cet amendement qui condamne de facto le projet Arc Express.
La commission a aussi largement remanié l'article 1er du texte qui définit les grands principes devant guider le schéma de transport du Grand Paris. Un amendement du rapporteur a notamment introduit un objectif chiffré en matière de construction de logements. Il est ainsi précisé que "le réseau de métro du grand Paris s'articule autour de CDT (contrats de développement territorial) définis et réalisés conjointement par l'Etat, les communes et leurs groupements. Ces contrats participent à l'objectif de construire chaque année 70.000 logements géographiquement et socialement adaptés en Ile-de-France et contribuent à la maîtrise de l'étalement urbain".
A l'article 2, qui précise l'élaboration et les outils de mise en œuvre du réseau de transport public du Grand Paris, un amendement du rapporteur a ajouté "la nécessité de connecter la double boucle avec le réseau ferroviaire à grande vitesse et d'intégrer la préoccupation des parkings relais". Deux amendements de Charles Revet, sénateur UMP de Seine-Maritime, renforcent par ailleurs l'axe Paris-Rouen-Le Havre via d'une part une déclaration d'objectif d'intérêt général pour la mise en place d'un réseau prioritaire orienté fret entre la Normandie et le Grand Paris et d'autre part la demande d'un rapport au Parlement sur la possibilité de créer de nouvelles installations portuaires autour de l'embouchure de la Seine.
A l'article 7 relatif à la création, aux missions et aux prérogatives de la SGP, un amendement de Christian Cambon (UMP, Val-de-Marne) confère à la SGP une compétence pour "veiller au maillage cohérent du territoire" dans le respect des compétences reconnues au Stif.
Création d'une taxe dédiée pour la SGP
Autre nouveauté importante, à l'article 9 bis : la création d'une "taxe forfaitaire sur le produit de la valorisation des terrains nus et des immeubles bâtis résultant, sur le territoire de la région d'Ile-de-France, des projets d'infrastructures du réseau de transport public du Grand Paris". Cette taxe est exigible pendant quinze ans à compter de la date de publication ou d'affichage de la déclaration d'utilité publique de ces projets et est affectée au budget de l'établissement public Société du Grand Paris. La taxe ne peut être perçue sur les projets situés au-delà de 1.500 mètres d'une entrée de gare. Elle ne peut pas non plus s'appliquer aux ventes de terrains aménagés dans le cadre d'une ZAC, d'un permis d'aménager ou d'une association foncière urbaine, aux transferts de propriété opérées dans le cadre d'une expropriation pour cause d'utilité publique et aux terrains et bâtiments vendus par RFF (Réseau ferré de France).
La taxe est assise sur "un montant égal à 80% de la différence entre, d'une part, le prix de vente stipulé dans l'acte de cession et, d'autre part, le prix d'achat stipulé dans l'acte d'acquisition augmenté des coûts, supportés par le vendeur, des travaux de construction autorisés, ainsi que des travaux ayant pour objet l'amélioration de la performance thermique de l'immeuble. Le taux de la taxe est de 15% et le montant exigible ne peut excéder 5% du prix de cession".
Jean-Pierre Fourcade, citant des travaux de l'Iaurif (Institut d'aménagement et d'urbanisme de la région Ile-de-France), a estimé que le montant des recettes liées à cette taxe pourrait atteindre "un milliard d'euros par an, pendant plusieurs années".
La commission spéciale du Sénat a aussi voté plusieurs modifications relatives aux CDT, parmi lesquelles la possibilité pour le préfet d'arrêter, pour une période de trois ans, des objectifs annuels territorialisés de production de nouveaux logements afin d'atteindre l'objectif inscrit à l'article 1er de 70.000 nouveaux logements par an. Le même amendement prévoit la présentation chaque année au Conseil régional de l'habitat (CRH) d'un rapport sur l'état de réalisation de cet objectif. Les sénateurs ont également inscrit dans le texte une obligation de consultation des départements et de la région pour tous les CDT. Ils ont aussi voté plusieurs amendements concernant l'établissement public Paris-Saclay, notamment une dérogation à la limite d'âge de 65 ans pour son président-directeur général et la création d'une zone de protection comprenant au moins 2.300 hectares de terres agricoles sur le plateau de Saclay. L'établissement public se voit également doté de compétences pour le déploiement de l'internet à très haut débit et la préservation du patrimoine hydraulique.
Au cours d'une conférence de presse le 31 mars, le président du conseil régional d'Ile-de-France, Jean-Paul Huchon, a demandé une nouvelle fois le retrait du projet de loi sur le Grand Paris. Dénonçant le manque de concertation et la mise hors jeu de la région, il a appelé à la mobilisation des parlementaires et des élus locaux pour obtenir ce retrait et défendre le projet de rocade Arc Express qui reste selon lui "la meilleure solution pour répondre aux inégalités territoriales et soulager le réseau existant".
Le Grand Paris comme un New New York ?
Par Denis Dessus, Isabelle Coste, David Orbach architectes urbanistes, ingénieur.
Comme prévu le Grand Paris se résorbe inexorablement dans de sombres questions de transports dont nous ne doutons pas qu'elles vont absorber les budgets, puis rapidement dissoudre les projets. On aurait tort de le reprocher, comment pourrait-il en être autrement? A cette échelle du territoire et quelque soient les discours, seuls les transports déterminent l'urbanisme -on ne construit que près d'une voie- et comme les routes contemporaines n'empruntent en définitive jamais autre chose que les anciennes voies gauloises -pas forcément dans le détail, mais toujours dans leur destination- on comprend très vite que tout ce "foisonnement d'idées innovantes" des débats sur le Grand Paris ne résistera pas bien longtemps au principe de réalité : La vallée conduit la route comme une boule de flipper, en se riant des conférences. On ne déplace pas une voie ferrée avec des mots, même bons, même assisté par photoshop. Gageons que les réseaux de transport qui se construiront seront ceux prévus finalement de longue date par le Ministère de l'Équipement, et qu'il aurait construit même sans le Grand Paris. Pour impressionnants que soient donc ces investissements, la véritable nouveauté ne peut pas venir de ce coté là.
La consultation du Grand Paris nous satisfait, un peu, car c'est l'ébauche d'un intérêt pour un urbanisme de projet et non réglementaire, une reconnaissance de la capacité à imaginer d'une profession, mais elle nous hérisse, beaucoup, car les architectes et leurs projets ne sont que de la pub pas très chère pour une opération de communication, la volonté de remplir le vide intersidéral de la politique d'aménagement du territoire par un coût médiatique. La décentralisation a explosé toute vision d'ensemble, et toute volonté d'en avoir. La France n'est plus capable de grands réseaux d'infrastructure, n'arrive pas à faire le montage du canal seine-nord Europe, met des décennies à faire une ligne TGV quand parallèlement sont supprimés toutes les voies ferrées pénétrantes "vertes" et vertueuses. La France se désertifie, au grand bonheur des sangliers, chevreuils et lapins, tout en se faisant gangréner par une consommation d'espace délirante en lotissements et zone artisanales et commerciales indigentes, l'équivalent d'un département part chaque année en espaces "urbanisés".
Aucune réflexion face à un phénomène aux conséquences économiques, environnementales, sociologiques lourdes. Nous avons une gouvernance du verbe, pas de la réflexion ni de l'action. L'architecture est un enjeu de civilisation a dit N. Sarkozy, mais on est dans les faits très loin des années ou culture et réflexion avaient une signification... Rappelons que les lois de l'architecture datent de 1977 et 1985, nul doute que de telles lois seraient de la science-fiction aujourd'hui, comme le démontrent la dégradation constante du rôle des concepteurs dans les textes réglementaires (CMP) et, globalement, dans le processus de production du bâti et du cadre de vie. A quand un nouveau souffle, la reconnaissance de l'intelligence, la création d'un grand ministère de l'architecture et du cadre de vie ?
Nous regardons la Consultation internationale sur l'avenir de la métropole parisienne. Que le Grand Paris est américain! D'abord dans le discours du Président de la République bien entendu, qui nous livre sans surprise son imaginaire amoureux dans lequel on peine à trouver dans ses mots quelque chose de grand qui soit français: "New York", "Londres", "le film Avatar", "une grande entreprise américaine". Et si un jour notre président, lassé, nous quittait pour les États-unis? Nous divaguons.
Puisque ce rêve baigne le souhait présidentiel, personne ne s'étonnera de retrouver ce désir étasunien dans les images des équipes d'urbanisme du Grand Paris. On les a retenues pour cela. Citons en vrac :
- un Central-parc bordé de gratte-ciels, au lieu d'être simplement vert et beau comme le parc de Versailles.
- des gratte-ciels américains comme s'il en pleuvait. Disséminés n'importe où et particulièrement là où personne n'en veut. Choquer fait évidemment partie intégrante de la stratégie, mais dans quel but ?
- la disparition des clôtures : les anglo-saxons ne clôturent pas, les latins si; la clôture est donc ringarde.
- des aérotrains monorail de Disneyworld,
- La liaison de la Capitale avec la mer, comme Londres, comme New York.
- et partout du nomadisme, du nomadisme, du nomadisme. Un bâtiment touchant le sol est visiblement une horreur. L'avenir est d'habiter un container.
Copier les États-Unis n'est plus signe de vulgarité, mais de grandeur. La ligne bleue des Vosges a maintenant la silhouette de grosses maisons de banlieue d'un film américain crétin. La culture française s'est longtemps demandée: "qui nous délivrera des grecs et des romains ?" Et bien aujourd'hui c'est fait. Notre antique et leste Périclès est désormais obèse, porte un jeans, un tee-shirt, et joue au casino. La messe (valant Paris) est dite: nous sommes gallo-américains.
Le plus effrayant dans tout cela est que jamais la singularité de Paris n'est traitée. Son unicité. Sa spécificité. A aucun moment il n'a été recherché et montré sa précieuse distinction architecturale et urbaine, afin de la protéger face à cette mondialisation qui aplatit tout, afin de l'affirmer pour un projet convenable. Ce Grand Paris aurait pu être tout aussi bien un Grand Sao Paulo, un Grand Toronto. Dès que l'on parle du Paris historique et tant aimé, on nous répond que l'on veut le muséifier. Il s'agit bien de cela ! Un écrivain qui n'a jamais lu aucun livre ne sera jamais un bon écrivain. Une ville qui ne s'intéresse pas à sa propre architecture n'en construira jamais une nouvelle. Comme le dit cette publicité d'une radio - si tu n'as pas de nostalgie, tu n'as pas d'avenir -et comme nous le dit aussi à chaque page et bien mieux que nous l'écrivain le plus grand: l'art véritablement novateur recherche le temps perdu. Si nous voulons véritablement relancer la Capitale vers un avenir désirable, nous avons d'abord besoin de comprendre l'architecture parisienne (et des autres régions), identifier la qualité d'un ouvrage, la typicité de son origine géographique, un savoir-faire de nos entreprises reconnu et apprécié. Il ne faut pas craindre que cela bridera la création. Paris n'est pas New-York, Shanghai ou Dubaï, ne cédons pas aux clichés internationaux, tartinés de salade sur le toit pour être "vert". La qualité de l'architecture ne se mesure pas à des objets isolés emblématiques, qui flattent ego et médias, et qui sont le reflet de modes datées.
Osons l'innovation, donc, mais sans oublier l'histoire, et l'homme. La ville n'est en fait que le reflet de la société qui la produit. Elle devrait être belle, douce, écologique et solidaire, et non seulement générée par des intérêts économiques spéculatifs. Pour cela il nous faut une culture et une volonté partagées, une conscience des enjeux de société sur le long terme, une mise en chantier d'une politique urbaine à l'échelle des territoires.
Nous verrons alors éclore une architecture réellement novatrice et spécifique, poétique et romantique, exégèse d'une société apaisée, l'avènement d'un nouveau style typiquement français?
Denis Dessus, Isabelle Coste, David Orbach architectes urbanistes, ingénieur.
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