Ce jeudi, Gérard Tronel et Pierre -Louis Lions remettaient les prix a des mathématiciens algériens et français.
Organisé par l'Association " Prix Maurice Audin de mathématiques", la cérémonie se déroulait a la BNF, en présence de son président.
Une table ronde reunissait acteurs et historiens . J'en rendrais compte prochainement.
Gérard Tronel a relancé le prix Maurice-Audin de mathématiques.
Le prix Audin a été décerné entre 1957 et 1963. Gérard Tronel, ancien mathématicien à l’université Paris-VI, l’a relancé en 2004. Ce prix récompense deux jeunes scientifiques, l’un en France, l’autre - en Algérie, sous le patronage la - Société mathématique de France et de la Société de mathématiques appliquées et - industrielle.
Pourquoi avoir relancé ce prix ?
Gérard Tronel. Lorsqu’il a été question de baptiser une rue de - Paris Maurice-Audin, j’ai été contacté par l’adjoint au maire Pierre Mansat. Un comité s’est mis en place, dans lequel figurait le mathématicien Laurent Schwarz. Je lui ai proposé de relancer ce prix. Le but était de faire reparler de l’affaire Audin et de participer à la réconciliation entre l’Algérie et la France. Des collègues m’ont aidé, d’autres ont refusé.
La communauté scientifique, et en particulier les mathématiciens, sont-ils sensibles à ce prix ?
Gérard Tronel. La génération des 35-40 ans y est moins sensible que la précédente. Mais il faut reconnaître que le prix Maurice-Audin a relancé un certain intérêt pour cette histoire. Je reçois des coups de téléphone de jeunes gens qui ont découvert cette époque, lisent la Question d’Henri Alleg. Mais, dans la communauté mathématique, je ne vois guère d’engouement. En Algérie, c’est le seul prix de mathématiques. Les médias en parlent beaucoup mais ne s’attardent pas sur le problème des disparus de la guerre d’Algérie.
Entretien réalisé par Vincent Defait
L'Humanité 21 juin 2007
Une lettre Sadek Hadjerès
Chers amis et membres du « Comité d’Attribution du Prix Maurice Audin de Mathématiques »
Cinquante déjà et l’imposture est toujours là ! Maurice Audin assassiné en juin 1957 est resté sans sépulture ni lieu de recueillement pour sa famille et ses amis. Je fus à partir de 1951 un ami et compagnon de lutte de Maurice Audin dans les rangs du Parti où il a lutté au péril de sa liberté et de sa vie pour débarrasser l’Algérie du joug colonial. Comme tel, je me réjouis de la remise d’un prix qui porte son nom à deux jeunes mathématiciens méritants de mon pays. Ce geste, bien dans la tradition du Comité Maurice Audin d’il y a un demi-siècle, est à l’honneur d’une France généreuse et ouverte aux souffrances d’autrui. Il souligne un peu plus l’obstination honteuse d’institutions pour qui Maurice reste encore un évadé, un fugitif ! Cet évènement symbolique est aussi à l’honneur de la recherche universitaire Mon plus grand réconfort vient de ce qu’il est apprécié bien au-delà de ceux qui furent idéologiquement et politiquement les plus proches de Maurice Audin. Il réjouit l’ensemble des Français et des Algériens soucieux de préserver et renforcer des espoirs fondés et raisonnables de coopération et de solidarité entre nos deux peuples dans tous les domaines de la vie. Nous avons ensemble deux raisons au moins de saluer cet évènement : En premier lieu, les tortionnaires du jeune mathématicien fauché à la fleur de l’âge et au seuil de brillantes découvertes, ont échoué dans l’appréciation particulière qu’ils avaient de leurs tâches « civilisatrices ». Ils croyaient qu’en l’assassinant, ils avaient fermé à jamais aux « bougnoules » la passation du savoir scientifique et pédagogique universel. La circulation du savoir sans barrières racistes ou de classe, Maurice en rêvait et il y oeuvrait de toutes ses forces. A la fois par ses activités inlassables de militant syndical dans l’enseignement supérieur, et en coopérant chaleureusement comme militant communiste aux activités associatives nationales des étudiants algériens, AEMAN d’abord puis UGEMA à partir de 1956. Une autre raison de réconfort nous est commune. L’esprit de coopération continue à se développer par mille canaux pratiques et de solidarité humaine entre les deux rives de la Méditerranée, en dépit des obstacles directement assumés ou inavoués. Maurice oeuvrait de tout son cœur et son intelligence à surmonter les difficultés dressées sur cette voie tant par les mentalités de domination colonialiste que par les tendances à des replis étroits et xénophobes, qu’ils soient à devanture ethnique ou linguistique, laïciste ou théocratique. Avec mes compatriotes, je voudrais dire grand merci aux artisans et organisateurs de cette initiative de vraie civilisation, de réconciliation et de construction algéro-française. Elle nous donne de nouvelles raisons d’espérer en des prolongements souhaités par les courants les plus sains de nos deux peuples. Dr Sadek Hadjerès,
un des secrétaires du Parti communiste algérien et responsable national adjoint de son organisation armée les CDL durant la guerre de libération,
Premier Secrétaire du PAGS clandestin (Parti de l’avant-garde socialiste) de 1966 à 1990
REFLEXIONS SUR Maurice AUDIN ET LA TORTURE (à l’occasion de l’inauguration d’une place Maurice Audin à Paris le 26 05 04) Par Sadek Hadjerès ( membre de la direction du PCA 1952-65, premier secrétaire du PAGS, 1966 –1990)
Il est lourd de sens que Maurice Audin soit à ce jour honoré des deux côtés de la Méditerranée. Deux peuples lui rendent hommage, qui s’étaient livrés une guerre dont les suites encore vivaces habitent les cœurs et les esprits. Il y a quarante deux ans, l’Algérie devenue indépendante a donné le nom du mathématicien à la place en contrebas des Facultés d’Alger où Maurice menait de brillantes recherches. L’hommage signifiait que les Algériens les plus conscients jugeaient les européens et les français sur leurs actes et non sur leur origine. A Paris, au cours même de la guerre, le jury universitaire présidé par le regretté Laurent Schwartz, avait décerné une consécration posthume aux travaux scientifiques de Maurice. Ce geste sauvait l’honneur du peuple français, il jetait une passerelle de plus vers un avenir de fraternité et de solidarité entre les peuples. Patriote algérien d’origine européenne, pourtant fils de gendarme, Maurice Audin milita pour la cause de l’indépendance nationale en même temps qu’il animait dans les milieux français d’Alger la lutte pour une sortie politique négociée du conflit engendré par la colonisation. En plus de ses activités de chercheur, il était omniprésent dans les secteurs où basculait l’avenir du pays et de la société. Membre de l’ancienne cellule Langevin des étudiants communistes, il était un habitué de la « Robertsau », le foyer des étudiants musulmans et de leur association (AEMAN, devenue en juillet 1955 UGEMA). Il y retrouvait ses camarades de l’autre cellule d’étudiants communistes qui portait le nom de Fahd (dirigeant communiste irakien assassiné par les sbires du roi Fayçal). Il était assidu aux réunions des syndicats d’enseignants et autres lieux d’initiatives combatives pour la Paix. Ses interventions étaient appréciées même par ses contradicteurs, tant il y mettait d’affabilité et de profondeur. On retenait de lui le sourire et l‘esprit d’écoute. Où qu’il se trouvât, plus d’un se souvient de la tendresse du couple qu’il formait avec Josette, son épouse, au point que quand on apercevait l’un, on cherchait l’autre du regard. Lorsque le 13 septembre 1955 tomba sans surprise l’interdiction du PCA (Parti Communiste Algérien), je débarquai dans la matinée chez lui, pour réévaluer avec lui les tâches clandestines entamées depuis des mois. Le tortionnaire Aussaresse, pour justifier ses crimes, a prétendu que Audin faisait partie du secteur « Action » (armée). Un mensonge de plus, comme si par ailleurs la barbarie était légitime envers des combattants en armes. Maurice était pleinement solidaire de la résistance armée patriotique dans laquelle nous étions déjà engagés. Il était néanmoins de par son profil plus efficace dans le secteur politique et de la propagande. Ce matin là, j’étais encore une fois frappé par son calme. Je le quittai peu après avec un petit serrement au cœur, les voyant Josette et lui se pencher attendris sur le berceau couvert de tulle de leur dernier né. Ils pressentaient sans doute comme moi que les temps allaient être durs. Ni eux ni moi n’imaginions cependant que dix huit mois plus tard leurs enfants allaient devoir grandir sans le sourire et la chaleur d’un père. Dans les mois suivants, les régions d’Algérie s’embrasaient l’une après l’autre. Avec ses camarades musulmans, européens et juifs, Maurice œuvre à renforcer l’unité d’action entre étudiants nationalistes et communistes, d’abord dans le cadre formel de front commun des organisations, auquel était favorable le regretté Mohammed Seddik Benyahia (futur négociateur d’Evian et ministre progressiste du gouvernement Boumediène). Puis dans l’unité organique des groupes armés lorsque la direction du FLN-ALN ne reconnaîtra que les adhésions individuelles. Poursuivant l’action politique autonome du PCA (maintenue après les accords FLN PCA négociés par Bachir Hadj Ali et moi-même), Maurice va en particulier en Septembre 1956 avec sa sœur Charlie et son beau-frère Christian, prendre en charge une partie de la sortie clandestine à l’étranger de Larbi Bouhali, premier secrétaire du PCA. Après sa tragique disparition, Josette mène la bataille pour la vérité sur son mari, malgré ses lourdes contraintes de mère de famille, les harcèlements policiers et les provocations des ultra-colonialistes. Elle anime aussi la solidarité envers les familles des détenus, disparus et autres victimes de la répression,. Elle y fut aidée par Djamila Briki, elle même épouse de Yahia, journaliste à Alger républicain, condamné à mort pour plusieurs actions dans les groupes de « Combattants de la Libération » (communistes, intégrés à l’ALN à partir du milieu de 1956). Elles contribuaient aux manifestations de femmes devant les tribunaux ou la prison de Serkadji (Barberousse). Pour suivre de plus près cette activité, je rencontrai Josette en 1959, dans l’un de nos locaux clandestins servant aussi d’imprimerie. Le risque était à la hauteur de la confiance que nous lui faisions. J’eus la surprise de revoir, déjà petit enfant, le bébé entrevu trois ans plus tôt à son berceau. Elle l’avait pris dans ses bras malgré le poids au dernier tronçon de vérification de son parcours, sous un soleil de plomb dans les interminables escaliers de la boucle Danton-Mulhouse. Qu’est ce qui donnait aux femmes de douceur cette fermeté dans l’adversité ? Devant Josette au bord de l’épuisement mais l’esprit clair, j’ai mieux compris ce jour là sur quoi se fondait la force d’une nation et d’une cause juste. Mais que d’énergies, de vies, de talents, d’élans de générosité et de création engloutis et broyés du côté algérien et aussi du côté français ! Quel gâchis pour deux peuples qui avaient besoin de toutes leurs ressources humaines et matérielles pour bâtir ! On ne haïra jamais assez la torture. On ne soulignera jamais assez la culpabilité de ceux qui la pratiquent, la responsabilité de ceux qui la cautionnent par l’approbation ou le silence. Mais les. tortures prospèreront tant que ses causes dureront. La protestation doit aller aux racines d’un crime plus global, les guerres d’oppression et d’agression, les entreprises de domination économique et politique avec leurs alibis « identitaires », camouflant toutes les formes naissantes ou enracinées de racismes et d’hégémonismes. C’est pourquoi les actions de mémoire prennent tout leur sens quand elles prolongent l’engagement de paix et de fraternité de ceux qui leur ont versé un lourd tribut. Exiger la lumière sur leur sacrifice, la condamnation au moins morale des coupables jusqu’aux plus hauts niveaux, n’est pas un acte de vengeance. C’est un acte de salubrité et de santé civique pour les peuples concernés. Il les libère des pulsions infamantes et les protège des récidives d’un mal sournois universel. Tous les groupes humains sont menacés de ce fléau, que ce soit pour le subir ou l’infliger. Les mêmes casernes, les mêmes geôles peuvent abriter les mêmes crimes. L’histoire n’est pas avare de gens ayant appartenu au camp des torturés et devenant à leur tour des tortionnaires. De même qu’on ne peut revendiquer liberté et démocratie pour soi en les refusant aux autres, on ne peut fermer les yeux sur les crimes et délits de ses propres compatriotes, hommes ou femmes se réclamant de la même culture, religion ou courant idéologique. Tout Algérien ou français attaché à la justice et à la liberté considère comme pleinement légitime la lutte armée de libération que nous avons menée pour mettre fin à une domination méprisante et raciste maintenue par les armes. Il ne nous échappe pas pour autant que parmi ceux qui y participèrent à différents niveaux de conscience, certains ont fait subir à leurs compatriotes les exactions que nous reprochions à ceux d’en face. A côté des Larbi Benmehidi et des dizaines de milliers d’autres victimes des tortures, exécutions sommaires ou disparitions colonialistes, il y eut hélas aussi les Abbane Ramdane, Bennaï Ouali, Ammar Ould Hamouda, Saïd Akli et tant d’autres engloutis dans les affres de la « bleuite » nationaliste. A côté de l’assassinat de mon ami, l’avocat Ali Boumendjel, par les tenants de « l’Algérie française », il y a eu celui de l’avocat Laïd Lamrani et plusieurs de ses compagnons dans le maquis des Aurès. Tandis que Maurice Audin succombait aux sévices colonialistes dans l’immeuble sinistre d’El Biar, son camarade de la cellule Fahd, le Dr Salah Mohand Said, jeune médecin d’un coeur et d’une intelligence éblouissantes, était assassiné pour ses convictions dans les monts de Kabylie qu’il avait rejoints à l’appel pressant de la wilaya III en quête de médecin. En Algérie aussi, justice et reconnaissance des faits n’ont pas été au rendez vous de l’après-indépendance. Non seulement les dérives du temps de guerre ont été occultées en grand nombre, mais des comportements similaires ont été reconduits en temps de paix. Le coup d’Etat du 19 juin 1965 qui a renversé Ben Bella a été suivi de dizaines d’arrestations et de tortures bestiales qui ont été relatées dans des ouvrages tels que « L’Arbitraire » (Bachir Hadj Ali, Hocine Zahouane et Mohammed Harbi) ou « Les torturés d’El Harrach ». En Octobre 1988, quand une fraction du pouvoir a entrepris de court-circuiter la montée en puissance du mouvement ouvrier et du mécontentement populaire, des centaines de jeunes furent mitraillés, tandis que des dizaines de militants syndicaux, communistes et intellectuels furent arrêtés à la veille des émeutes et affreusement torturés. Plus tard, dans la première moitié des années 90, plusieurs membres des comités de dénonciation de la torture ont été assassinés, et les autres contraints à l’exil. Partout dans le monde, le déni des droits humains est condamnable, quels qu’en soient les auteurs. Il est encore plus insoutenable quand il émane non pas de régimes qui récusent ouvertement ces droits, mais de pouvoirs qui se réclament de la démocratie alors qu’ils sévissent contre les défenseurs de ce qu’ils appellent avec mépris « droit.de.l’hommisme ». Devant des lendemains encore incertains, la France et l’Algérie gagneront à jeter un regard franc sur les errements passés, sur les hommes et les femmes qui ont enduré les ténèbres pour faire émerger leurs compatriotes à la lumière. Ainsi depuis les deux rives de la Méditerranée, pourrions-nous donner plus de force à la vague de fond qui soulève l’opinion mondiale contre les déchaînements de mépris et de sauvagerie subis par les peuples d’Irak et de Palestine et enrayer les dangers des « phobies » racistes qui inquiètent et minent nos sociétés. S. H, Mai 2004.