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Pierre Mansat et les Alternatives

Luttes émancipatrices,recherche du forum politico/social pour des alternatives,luttes urbaines #Droit à la Ville", #Paris #GrandParis,enjeux de la métropolisation,accès aux Archives publiques par Pierre Mansat,auteur‼️Ma vie rouge. Meutre au Grand Paris‼️[PUG]Association Josette & Maurice #Audin>bénevole Secours Populaire>Comité Laghouat-France>#Mumia #INTA

"les ghettos de la République" Gilles Alfonsi démolit ce bouquin préfacé par E. Raoult

Les ghettos de la République, André Gérin, Les quatre chemins, 2006. La préface est d’Eric Raoult, député-maire du Raincy (93). Président de l’UMP de la Seine-Saint-Denis

A quelques semaines d’échéances électorales importantes, le député-maire de Vénissieux André Gérin consacre un livre - préfacé par Eric Raoult, député-maire UMP du Raincy - à sa mutation culturelle personnelle, qui l’a « conduit à changer son rapport à la police et à faire de la sécurité une priorité»(1).

Soutenant les propos de Jacques Chirac sur les « odeurs » des étrangers, il partage aussi le diagnostic de Nicolas Sarkozy sur les banlieues. Depuis quelques années, André Gérin a stupéfié une bonne partie de ses collègues du groupe communiste à l’Assemblée nationale et de l’Association nationale des élus communistes et républicains, qui constataient une rhétorique populiste et des glissements sécuritaires, aux antipodes des valeurs communistes. Ainsi, en 2005, il avait souligné la nécessité de « nettoyer la France » des prédicateurs qui « combattent la République ». En juin 2006, dans l’Humanité, il s’était distingué : « La question du rétablissement de l’ordre n’est pas une question qui vient d’en haut mais une exigence qui monte du peuple. (…). Avec ma part de vérité, j’aimerais provoquer un choc salutaire sur un sujet qui empoisonne la vie des Français. Ils sont en droit d’attendre du PCF des propositions qui sortent des sentiers battus pour la tranquillité publique »(2). Il se prononçait en particulier pour « réhabiliter la notion de devoir et de mérite ». Avec Les ghettos de la République, un cap est franchi dans la connivence avec la droite populiste et xénophobe. André Gérin assume aujourd’hui comme un choix politique tiré de son expérience d’élu de terrain sa proximité idéologique avec Nicolas Sarkozy : « Disons les choses nettement : je partage pour l’essentiel le diagnostic du ministre, diagnostic qui est également celui du président et du gouvernement. Les faits sont les faits et ils s’imposent à tous ceux qui veulent bien les voir. C’est ce qui m’avait fait dire que les propos de Ségolène Royal consacrés à la sécurité ne me choquaient pas » (p. 97). André Gérin souligne d’autre part le besoin d’un « front républicain »(p. 69) face aux évènements de 2005(3). Catastrophisme et insécurité Nous sommes en « guerre civile », estime André Gérin : « Le problème des émeutes, à Vénissieux ou dans des communes semblables, est qu’elles se produisent tout le temps » (p. 59) ; « Selon moi, les émeutes ont lieu tous les jours », « Nous sommes désormais face à des bandes organisées qui se livrent à des luttes incessantes de territoires. Il n’y a rien de vraiment spontané ici » (p 68) ; « lorsque je dis que sont perceptibles les germes d’une guerre civile, je n’exagère pas. Je ne noircis pas le tableau. Au contraire je suis en dessous de la vérité » (p. 68). Cependant, ailleurs, il écrit que Vénissieux n’est pas « le Bronx », ni « un coupe-gorge » (p. 64). Comprend qui peut.

A plusieurs reprises, André Gérin hypertrophie les situations et difficultés. Exemples. Evoquant les émeutes urbaines de 2005, il parle « d’images d’apocalypse » (p. 61). La réalité scolaire est ainsi décrite : « Chaque jour, les cours des collèges sont le lieu de rackets, d’humiliations, de punitions, de petits trafics dont souffrent la majorité des ados » et, quelques pages plus loin : « En caricaturant, un tiers des élèves part aujourd’hui dans le privé, un tiers a du mal à suivre et un tiers préfère s’amuser » (p. 77). On se demande dans quel tiers se situent les 70 % des élèves de terminale qui obtiennent le baccalauréat dans les lycées publics de Vénissieux. Sur sa lancée, l’élu poursuit : « Au milieu de tout cela se trouvent ceux qui n’ont rien à faire à l’école » puis, sans transition : « Il y a aussi de plus en plus d’élèves qui contestent les enseignements. C’est évidemment le cas pour l’Histoire mais sont aussi concernées la Philosophie, les Sciences naturelles et la Biologie. Cette contestation, surtout apparue après la première guerre du Golfe, peut aller loin, jusqu’à la négation de certains faits incontestés. On ne peut continuer à ignorer, comme le fait l’Education nationale, les premières conséquences de la poussée des intégristes musulmans sur le cerveau de nos gamins » (p. 77-78). C’est ainsi que de fil en aiguille, l’auteur passe d’une réflexion sur les difficultés scolaires à une diatribe contre les perturbateurs puis, sans moufeter, brocarde en lui donnant une importance démesurée l’influence des « intégristes musulmans » au sein des établissements. Nous sommes en présence d’amalgames et de généralisations abusives. Au cours des années, le député a été convaincu que la délinquance appelle une « démarche pragmatique », qu’il oppose à une « sorte d’angélisme » qui excuserait les incivilités et la délinquance « au nom des difficultés qu’elles exprimaient ». Sur ce point, André Gérin reprend les arguments classiques de la droite dure, selon lesquels la gauche aurait affirmé, face à « l’équation perverse jeunes = immigrés = délinquants » que « la délinquance n’est pas le fait des jeunes immigrés ». Il dénonce là un « dogme de la gauche qui aujourd’hui encore empêche de voir la réalité en face et nie la responsabilité individuelle de quelques meneurs nuisibles » (p. 126). On passe ici du registre de l’indigence intellectuelle à la tromperie : il n’y a pas de dogme à gauche portant une telle affirmation, ce qu’André Gérin sait fort bien. Pour justifier sa dérive, il a besoin de tricher sur les messages que « la gauche » porte depuis des années. Pour cela, il souligne la responsabilité de la gauche qui n’aurait été que dans « une logique de défense des immigrés », après la guerre d’Algérie. Elle n’aurait pas compris l’importance de la responsabilité individuelle, ni reconnu le poids des différences culturelles - dont André Gérin a mis des années à prendre la mesure, écrit-il. La méconnaissance et la confusion règne aussi dans les passages du livre consacrés à « la » drogue, l’auteur n’ayant manifestement pas renouvelé sa connaissance du sujet. « Et puis il y a la drogue », qui « est devenu un phénomène de masse, complètement banalisé » : André Gérin parle pèle mêle de tous les produits et de tous les usages, omet l’association courante de substances licites et de produits illicites, tait les avancées obtenues sous le gouvernement Jospin. Il « observe avec effroi qu’il n’y a plus aujourd’hui au niveau national de campagne organisée contre les drogues » (p. 104), alors que ces campagnes existent, reprenant le discours classique de diabolisation de l’usage de drogues et de répression des usagers. Il indique savoir « peu de choses des trafics et des consommations », « ce qui est compréhensible : c’est un univers de silence où tout le monde a intérêt à se taire mais où l’on devient très vite petit revendeur et petit dealer » (p. 105). On reconnaît là l’enchaînement habituel des lieux communs et propos caricaturaux sur la question. Incompatibilité culturelle André Gérin évoque les conditions d’arrivée en France des familles de travailleurs venus du Maghreb, dans le cadre du regroupement familial, et le premier choc pétrolier, en 1973. Dès les années 70, selon lui, « même si tout cela n’a pas été perçu à l’époque, les motifs d’exaspération ne manquaient pas : le bruit, les odeurs, les portes qui claquent, les gens dans les escaliers, les animaux dans la baignoire, les hommes entre eux des heures durant, le chômage les ayant souvent frappés les premiers » (p. 44-45). On a là une reformulation des représentations habituelles et fantasmes véhiculés par l’extrême droite pour stigmatiser les étrangers, dont Nicolas Sarkozy n’a pas hésité à réutiliser le registre dans l’émission « J’ai une question à vous poser », le 5 février dernier (on « n’égorge pas le mouton dans son appartement »). Une idée clef du livre est qu’il existe un conflit nié jusqu’ici entre la culture judéo-chrétienne et la culture musulmane : « Pour ma part, je prends peu à peu conscience de l’étendue du problème. Il s’agit de différences de modes de vie, de différences culturelles entre le monde judéo-chrétien et le monde islamique » (p. 114). Les mots ont un sens : l’auteur ne parle pas de « monde musulman » ; « islamique » renvoie à l’islam politique radical. Ce glissement sémantique montre qu’il reprend à son compte la thèse sur le choc des civilisations, ce qui est clairement illustré par ses développements sur les conséquences de la guerre du Golfe dans les quartiers et sur l’après 11 septembre 2001, généralisation abusive à l’appui de ses affirmations. Le choix d’André Gérin ? Le Bien contre le Mal, les Chrétiens contre les Musulmans… On est très loin d’une approche authentiquement laïque. Enfin, on aimerait bien savoir si André Gérin considère que les Français petits-fils, arrières petits-fils ou arrières arrières petits-fils d’immigrés font à son goût partie du « monde islamique ». Les difficultés dans les quartiers proviendraient de différences culturelles : « En aucun cas il ne s’agissait d’un problème de dégradation des appartements. C’était uniquement un problème de cohabitation, aspect que les politiques négligèrent totalement » (p.47). Evoquant le problème du logement et le fait que Vénissieux n’en a jamais eu la maîtrise sur son territoire, il écrit : « Il s’agit d’une véritable paupérisation morale et culturelle accentuée par des fractures multiples, sociale certes, mais aussi politique et ethnique » (p. 66). On lit bien : une « paupérisation morale et culturelle », « politique et ethnique » : jargon qui n’est explicité d’aucune façon, mais d’où transpire un jugement de valeur d’une culture sur une autre ; jargon qui se substitue à la prise en considération de l’enjeu central des inégalités socioéconomiques et qui tait l’enjeu de la lutte contre les discriminations. Le chapitre sur « L’Islam en question » est lui aussi marqué par l’idée de l’incompatibilité culturelle. Nouveau dérapage concernant « l’intrusion de l’Islam dans l’espace civil » (p. 117) : « Il est inquiétant de voir de plus en plus de femmes dissimuler entièrement leur visage. Cela heurte la conscience sociale publique. Ou est-on pour que certaines citoyennes françaises en viennent à déambuler totalement dissimulées aux autres ? Et comme maire je me demande s’il est bien légal de se promener complètement dissimulé. Après tout, qu’est-ce que cela pourrait cacher ? » (p. 118-119). On a là un terrible glissement entre un sentiment d’inquiétude que l’on peut partager quand on est confronté à ces femmes complètement voilées et une réaction xénophobe : au moment où il faudrait poser politiquement le problème de la domination masculine et de l’emprise de la religion - que le port du voile ne cache pas, mais au contraire montre -, André Gérin veut voir un problème de légalité (qui n’existe pas), fait étalage de ses fantasmes et suscite la peur. Les « odeurs » d’André Gérin Certains passages font références au passé, où il ne supportait pas l’équation « jeunes = immigrés = délinquants », car « c’était un peut court pour faire face à la situation » (un peu court, seulement ?). Mais aujourd’hui André Gérin écrit : « Prenons le débat sur l’immigration. Droite et gauche ont agi de la même façon depuis trente ans en noyant le poisson ou en évitant de dire la réalité. On a refusé de reconnaître que des différences importantes existaient dans les modes de vie, les cultures et les traditions entre le monde musulman et la culture judéo-chrétienne. Tout le monde s’est tu. Après avoir évoqué dans un discours de 1991/1992 les fameuses « odeurs », Jacques Chirac a dû pratiquement se renier et s’excuser d’avoir usé d’un tel terme. Cela lui a valu une campagne de dénigrement incroyable. Pourtant il n’avait dit que la vérité. Mais nous étions incapables de l’entendre. Moi-même j’ai dû dire à l’époque « il parle comme le Front national » » (p. 125). On ne peut pas ici se contenter de faire part de sa colère de lire « ça », sous la plume d’un député membre d’un groupe qui peut s’honorer de tant d’interventions et propositions législatives pour combattre le racisme et les discriminations. Aussi faut-il rappeler les propos exacts de Jacques Chirac : « Notre problème, ce n'est pas les étrangers, c'est qu'il y a overdose. C'est peut-être vrai qu'il n'y a pas plus d'étrangers qu'avant la guerre, mais ce n'est pas les mêmes et ça fait une différence. Il est certain que d'avoir des Espagnols, des Polonais et des Portugais travaillant chez nous, ça pose moins de problèmes que d'avoir des Musulmans et des Noirs [...] Comment voulez-vous que le travailleur français qui travaille avec sa femme et qui, ensemble, gagnent environ 15000 francs, et qui voit sur le palier à côté de son HLM, entassée, une famille avec un père de famille, trois ou quatre épouses, et une vingtaine de gosses, et qui gagne 50000 francs de prestations sociales, sans naturellement travailler... si vous ajoutez le bruit et l'odeur, hé bien le travailleur français sur le palier devient fou. Et ce n'est pas être raciste que de dire cela... Nous n'avons plus les moyens d'honorer le regroupement familial, et il faut enfin ouvrir le grand débat qui s'impose dans notre pays, qui est un vrai débat moral, pour savoir s'il est naturel que les étrangers puissent bénéficier, au même titre que les Français, d'une solidarité nationale à laquelle ils ne participent pas puisqu'ils ne paient pas d'impôt ! »(4). Ces paroles sont connues comme LE dérapage xénophobe de Jacques Chirac. Solutions répressives, méthodes radicales Face aux familles qui troublent l’ordre dans la cité, l’auteur a des solutions aussi simples que radicales. Exemple : « Voilà des années que je pose cette question au préfet et au procureur : faites partir ces familles pour le bien de tous, et si elles sont étrangères, n’hésitez pas à les expulser. Je suis en effet pour des méthodes radicales, fortes qui donnent l’exemple » (p.97). C’est ainsi qu’au détour d’un paragraphe l’élu de la Nation met en cause le principe constitutionnel fondamental, inclus dans la Convention européenne des droits de l’homme, de l’individualisation des peines. Et qu’il prend aussi position pour la double peine. Enfin, il reprend la vieille idée de droite : réprimer pour « donner l’exemple »… Tout le monde sait combien la hausse vertigineuse des interpellations et des peines carcérales a été efficace au cours des trente dernières années pour prévenir le développement des délits ! Comme Charles Pasqua concernant le terrorisme, André Gérin veut « que la peur change de camp » (p. 104), ce qui appelle selon lui un « électrochoc » (p. 104) qu’il faut provoquer maintenant : à quelques semaines des élections, certains peuvent se frotter les mains. Si l’on met de côté la lointaine mise à bas du capitalisme, tout ou presque est vu par le petit bout de la lorgnette répressive. En cent trente-neuf pages, il n’y a pour ainsi dire aucune mention du travail éducatif, de la prévention spécialisée, des rôles respectifs de l’aide sociale à l’enfance et de la protection judiciaire de la jeunesse… En revanche, l’élu de Vénissieux a une idée pour éviter que des collégiens caillassent les bus à la sortie des écoles à l’aide « des pierres qui se trouvent le plus souvent au fond des cartables et qui sont charriées dans ce but-là » : « Ne peut-on pas contrôler les cartables de façon régulière ou inopinée ? On contrôle bien les cahiers » (p. 80). Car c’est bien connu, « contrôler » un cahier d’école et fouiller les affaires d’un élève relève de la même démarche « éducative » (et sans doute donc du rôle de la même équipe éducative) ! André Gérin se prend dans ses contradictions quand il estime qu’à propos « de la surdélinquance, le véritable enjeu est celui de la prévention » mais qu’il explique « qu’on ne doit plus hésiter à recourir à certaines méthodes d’antan si elles peuvent éviter la noyade du mineur. Ainsi le placement en pensionnat qui permettrait de le sortir de son milieu pendant plusieurs mois. En la matière, il est nécessaire d’agir tôt car à 14 ans, il peut déjà être trop tard » (p. 93) . Comme la prison « revient à inscrire [les ados de 14-16 ans] à l’école de la criminalité », « il faut inventer toute une palette de moyens qui reposent d’abord sur l’éloignement du jeune pour une durée d’au moins six mois et ensuite sur une action pédagogique appropriée qui serve à lui faire comprendre la gravité de son geste et en même temps que tout n’est pas perdu » (p. 95-96). C’est effectivement l’éternelle recette de l’éloignement des indésirables, de leur exclusion de la société, dont le but est non pas de protéger la personne mais d’assurer momentanément l’ordre public. Mais l’auteur ne se demande pas si ajouter à l’exclusion sociale et à la sanction du délit une exclusion territoriale n’est pas totalement contradictoire avec l’objectif d’insertion sociale et professionnelle. On a aussi à faire aux propositions de soi-disant bon sens concernant les jeunes mineurs qui se promènent dans la rue le soir tard : un mineur qui est « surpris » dans la rue est un « mineur errant », que l’on ne peut « abandonner » à son « sort »… En lieu et place de l’éducation et d’une prévention digne de ce nom, c’est le règne de la dissuasion et de la mise au pas, domaine dans lequel de mesures nouvelles en bonnes idées, on se rassure sans s’attaquer en rien aux causes, sans rien changer au fond. L’élu, auxiliaire de police ? Le rôle qu’André Gérin se donne en tant qu’élu est simple : « Sans doute parce qu’ils sont en première ligne et parce qu’ils ont d’abord été élus pour maintenir la paix sociale, les maires apparaissent comme les personnes les plus compétentes » (p. 69). Voilà qui est en phase avec l’adoption de la loi de prévention de la délinquance de Monsieur Sarkozy, qui augmente le pouvoir des maires en la matière. Le dérapage est à peu près complet concernant l’économie parallèle : on constate le manque de connaissance d’André Gérin, qu’il assume d’ailleurs, alors que des travaux importants ont été menés depuis plus de quinze ans sur le sujet (dont ceux du Conseil national des villes, de la Délégation interministérielle à la ville etc.). Pour l’essentiel, les 9 pages qui y sont consacrées regorgent des représentations spontanées de l’auteur, en totale subjectivité. Il en est ainsi par exemple sur « les mafias pour une part liées à l’intégrisme », à propos desquels « nous ne savons que peu de choses ». Il s’agit de « nébuleuses que l’on cerne mal mais qui à l’évidence [sic] sont organisées d’une manière internationale. Beaucoup de choses se tiennent : ici un trafic de choses volées, là un « kebab » douteux, des adultes à l’air louche qui déambulent la nuit » (p. 107-108). Des « choses » volées, un kebab « douteux », des adultes « à l’air louche »… voilà les indices de l’inspecteur Gérin pour dénoncer des mafias internationales. Heureusement, « nous comptons hypersécuriser le quartier et lui rendre une atmosphère calme et « honnête »» (p. 109). Nous voilà rassurés ! Contre la « société Orange mécanique »(5) qui fabrique « des monstres » (« des gamins de 8-10 ans jettent des pierres, mettent le feu aux poubelles… ») (p. 137) , parce que nous sommes « en guerre civile », André Gérin propose la mise en place de « Casques Bleus de la République ». Des « Maisons de l’Intégration » coordonneraient « les missions de police, de justice, d’éducation, de santé, de formation et d’emploi dans les territoires en difficulté » (p 138), scellant sans doute l’alliance de la logique sécuritaire, de la logique médicale et de la logique éducative, l’union sacrée du répressif et du préventif, l’entente cordiale de la police, des professeurs et des travailleurs sociaux… Contre l’immense majorité des juges pour enfants et des éducateurs, l’auteur est favorable comme Nicolas Sarkozy à la refonte de l’ordonnance de 1945, dans le sens d’une assimilation des adolescents aux adultes, pour une réponse plus répressive(6). Et en soutenant le développement de l’apprentissage dès l’âge de 14 ans, il participe à la mise en cause de la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans. Nous en sommes ici au « crash idéologique » : l’abandon de l’ambition fondamentale que doit porter un projet politique de progrès d’une éducation de haut niveau pour tous ! André Gérin prend soin de parsemer son texte de déclarations anti-FN (relançant sa proposition incantatoire que ce parti soit interdit). Et il se veut peut-être original en assumant à la différence de Nicolas Sarkozy la proposition d’une « dépénalisation de l’usage simple de haschisch », tout en demandant la « condamnation la plus nette de tout trafic, fût-il minuscule » (p. 105-106). Cette position est incohérente : la dépénalisation de l’usage simple de cannabis ne peut qu’aller de pair avec au minimum la dépénalisation de l’autoproduction et de l’achat en petit quantité. Le problème de fond est bel et bien de sortir de l’illégalité les centaines de milliers d’usagers simples de cannabis, donc de sortir de la logique répressive, pour entrer dans une approche éducative et préventive. Autre proposition : « accorder le droit de vote à tous les étrangers en situation régulière pour les élections locales, régionales et européennes » (p. 122). Là où son parti prend position pour une citoyenneté de résidence, incluant le droit de vote et d’éligibilité à toutes les élections pour les résidents immigrés étrangers, lui ne cite pas les scrutins nationaux. Main gauche sur le cœur, main droite porte-flingue D’autres passages illustrent la confusion des repères de l’auteur : « Reste à expliquer comment nous en sommes arrivés là. Je suis convaincu que c’est inhérent au système capitaliste, et que cela découle de l’évolution des mœurs et de cet individualisme et égoïsme grandissants. Le problème concerne la faible créativité de la pensée politique, du travail culturel et intellectuel, tombés à un niveau déplorable. Je ne peux m’empêcher de faire le lien entre ce nouveau langage et le fait qu’on glisse petit à petit dans une société de loisirs. Qu’il s’agisse de drogues, de jeux, de divertissement, tout un pan de la société n’est plus dans le circuit de la production de valeur ajoutée » (p. 127). Passons sur le jugement unilatéral sur la faible créativité de la pensée… On pourrait au contraire souligner la profusion de travaux et d’analyses sur ces sujets. Mais comment peut-on brocarder de la sorte « la société du loisir », au lieu de mettre en cause le triomphe de la société de consommation ? Comment peut-on considérer que celle-ci ne produirait pas de valeur ajoutée ? Pourquoi faudrait-il que les hommes et les femmes ne se divertissent pas ? Mais la faute est sans doute due à « l’implication des journalistes de gauche dans les médias », qui sont « victimes d’une pensée toute faite qui leur masque la réalité » (p. 128). Vieux cheval de bataille des réactionnaires. Quelle peut être, dans le contexte actuel, l’originalité des villes communistes ? « Démocratie, sécurité, emploi. Il nous faut insister sur ces trois points et c’est l’originalité des villes communistes de faire porter toute leur énergie dessus. Ce triptyque constitue le défi d’aujourd’hui et de demain » (p. 135). Foin de l’égalité sociale, de la lutte contre l’exploitation et contre toutes les dominations, de la visée d’émancipation individuelle et collective ! Au moment où l’Etat de désengage de la solidarité nationale, André Gérin propose que la gestion des communistes se centre et se distingue sur la sécurité et l’emploi, domaines dans lesquels les maires ont assez peu de prises. La démocratie vient comme une cerise sur le gâteau répressif, sur laquelle André Gérin ne s’étend pas. Communisme et capitalisme répressif André Gérin fait un choix d’analyse politique et d’orientation. Il ne peut pas être du combat contre le capitalisme répressif aujourd’hui à l’œuvre car il fait sien le discours répressif des capitalistes. Car le discours d’un Nicolas Sarkozy n’est pas seulement à l’image de l’ancien rapport de la droite à l’autorité (qui coexistait avec le capitalisme social). Il est négation de la question sociale. Ce n’est pas seulement que celui-ci relègue au second plan les enjeux sociaux, c’est que son projet politique ne vise en rien à combattre les inégalités sociales, à mieux répartir les richesses, à favoriser le développement des quartiers populaires… Sarkozy est le représentant d’un système inégalitaire qui ne veut pas se mettre en question, où la répression a comme fonction d’empêcher les classes dangereuses de mettre en question l’ordre social, l’inégalité. D’une part, la répression est un mode de contrôle des catégories populaires qu’elle vise principalement, d’autre part tant que les habitants des cités se focalisent et se divisent sur ces questions de sécurité, les dominants peuvent dormir tranquilles. Pendant que s’entretiennent la surenchère sécuritaire et les violences urbaines, les problèmes sociaux ne sont pas posés sinon à la marge : fractures urbaines, inégalités et discriminations, développement économique et social… toutes questions qui devraient être au cœur d’un projet politique progressiste. De longue date ces mécanismes ont été compris et déconstruits par de nombreux sociologues, dont notamment Loïc Wacquant(7). Au lieu de courir derrière la caravane sarkoziste, un projet politique de transformation sociale (dépassement du capitalisme, de toutes les dominations) pourrait s’attacher à opposer à la prédominance actuelle du répressif une prédominance de l’ambition éducative. Cet enjeu est trop souvent négligé au profit du discours dépassé sur le soi-disant nécessaire équilibre entre répression et prévention, qui masque en fait le maintien de politiques centrées sur la gestion des conséquences de la casse économique et des effets de la précarité généralisée. On cherche en vain en quoi le contenu idéologique et politique du livre d’André Gérin se situerait dans le courant de pensée communiste. L’aporie intellectuelle, le vocabulaire choisi et les métaphores employées, les glissements sémantiques signent clairement des empreints au vieux fond réactionnaire, nationaliste, xénophobe et sécuritaire de la droite populiste et de l’extrême droite. C’est ce camp-là que la publication de ce brûlot en période électorale renforce. Est-il moderne et pragmatique d’adhérer aujourd’hui à l’idéologie sécuritaire qui s’est imposée depuis une vingtaine d’années ? L’enjeu actuel n’est-il pas plutôt de choisir une tout autre approche de la question sociale, réfutant l’idéologie répressive et affrontant les questions de sécurité dans le cadre d’une visée d’émancipation individuelle et collective ? Gilles Alfonsi Avril 2007

 1) Les ghettos de la République, André Gérin, Les quatre chemins, 2006. La préface est d’Eric Raoult, député-maire du Raincy (93). Président de l’UMP de la Seine-Saint-Denis, ce sarkoziste est réputé pour ses positions dures. C’est le maire d’Ile-de-France qui avait instauré par arrêté municipal un couvre-feu sur sa commune, en novembre 2005, alors même qu’elle ne connaissait aucun incident. Dans sa préface, il salue son « super collègue à l’Assemblée avec sa voix forte, ses paroles pures et dures et ses interventions solides ».

2) Le 1er décembre dernier, Patrick Braouezec, député communiste de Saint-Denis (93) dénonçait la « tonalité populiste, néo colonialiste, méprisante » d’André Gérin lorsqu’il parle des jeunes des quartiers populaires. Il estimait notamment : « Ce dont nous devons être porteurs, nous communistes, avec d’autres, ne doit rien avoir de commun avec ceux qui prônent l’exclusion, pointent du doigt l’étranger, les jeunes. (…) C’est d’un sursaut républicain contre la chasse aux pauvres, aux immigrés, aux jeunes, dont nous avons besoin, pas d’une tirade sécuritaire ».

3) L’auteur cite Louis Aragon : « Quand les blés sont sous la grêle / fou qui fait le délicat / fou qui songe à ses querelles / au cœur du commun combat », sans préciser que cet extrait vient de La rose et le Réséda, poème paru à l’été 1941. Il s’agit d’un hymne à l’union entre communistes et chrétiens contre l’Occupation. La situation d’aujourd’hui se rapproche-t-elle de cette période ?

4) Discours prononcé le 19 juin 1991 devant 1300 élus et militants du RPR. Réaction de Jean-Marie Le Pen (Front national) : « [Je suis] surpris qu'on m'emprunte mon discours, tout en continuant à me diaboliser. Les Français préféreront toujours l'original à la copie. »

5) L’expression fait référence au film du même nom, Orange mécanique (A Clockwork Orange), réalisé et produit par Stanley Kubrick, sorti sur les écrans en 1971. Il s’agissait notamment d’une critique virulente du conditionnement des individus. Dans le film, le personnage principal subit une cure destinée à le rendre non-violent. Il devient alors à son tour victime de la violence… de la société. Se référer à ce film pour défendre une politique sécuritaire est un contresens.

6) La législation française fixe à 18 ans, âge de la majorité civile, le seuil de la majorité pénale. Cela signifie qu'un jeune de moins de 18 ans ne peut pas être jugé par une juridiction pour adultes. Mais cela ne signifie pas qu'il ne peut pas être condamné : l'ordonnance de 1945 fixe pour les moins de 18 ans des peines adaptées à l'âge du délinquant et décidées par des juridictions spécialisées. Le juge des enfants, le parquet des mineurs, le tribunal pour enfants et la Cour d'assises des mineurs sont les juridictions spécialisées créées par l'ordonnance de 45. Le juge et le tribunal pour enfants n'ont pas seulement une fonction de répression ; ils ont une fonction éducative puisqu'ils peuvent prononcer toute une série de mesures visant à protéger, assister ou surveiller le mineur : mesures d'admonestation, de liberté surveillée, mise sous protection judiciaire, placement, réparation. D'après l'ordonnance de 1945, la mesure éducative doit avoir priorité sur la sanction pénale. Entre 13 et 16 ans il ne peut y avoir ni détention provisoire ni condamnation à un travail d'intérêt général, et les peines encourues ne peuvent excéder la moitié des peines prévues pour les adultes. Entre 16 et 18 ans : la détention provisoire devient possible, et le principe de la diminution de peine de moitié peut être levé.

7) Lire notamment : Les Prisons de la misère et Parias urbains.

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