Grand Paris, petite réforme[ 09/10/09 ]
D'ERIC LE BOUCHEREric Le Boucher est directeur de la rédaction d' « Enjeux Les Echos ».
Le problème avec Nicolas Sarkozy est maintenant bien connu : il ne fait les réformes qu'à moitié, voire au quart, ou au quart de la moitié. Courageux en promesses, il énonce un objectif de « rupture » puis il négocie et recule sous les pressions des corps de métiers, des élus, des syndicats. Pas toujours mais trop souvent, il ne reste finalement qu'une petite réforme. Cette déception sarkozienne va-t-elle s'appliquer à l'une des idées qui pourrait être l'une des plus importantes de son quinquennat : le Grand Paris ? On le craint. La façon dont le président de la République s'est résolu à ménager les élus de la région Ile-de-France laisse présager un enlisement des projets, à commencer par la construction du « supermétro automatique », 130 km, une quarantaine de gares, qui devrait être terminé en dix ans.Deux rappels de cadrage. Depuis une décennie, la région francilienne a un développement économique inférieur à celui de la moyenne française et la tendance s'accélère. Une capitale c'est un phare, surtout un moteur qui attire et récompense les talents, invente, motive et tire l'économie d'un pays. Laurent Davezies, professeur à l'université Paris-Val-de-Marne avait dressé, il y a deux ans, le portait inquiétant d'un « Paris qui s'endort » (« La République et ses territoires », Seuil, 2008). Depuis 2000, l'emploi salarié tombe à Paris, se stabilise tout juste dans l'Ile-de-France autour de 5 millions d'actifs.En campagne électorale à l'époque, le maire Bertrand Delanoë s'était ému de ce diagnostic négatif et, du coup, promettait que l'économie comptait pour lui. Mais parmi les hommes politiques, celui qui avait le mieux compris l'urgence des changements était Nicolas Sarkozy.Le second rappel tient à l'empilement des structures de décisions institutionnelles : Etat, régions, départements, communes, « pays », « intercommunalités », sans oublier les innombrables rapprochements intermédiaires ad hoc. Ce mille-feuille invraisemblable est source d'immense gâchis et d'immobilisme. Vrai pour toute la France, encore plus vrai pour Paris où la mairie recréée a été investie en 1977 par Jacques Chirac comme un château fort pour résister à l'Etat (giscardien puis socialiste). Le chacun pour soi est demeuré depuis la règle dans la région. Le manque d'une vision d'ensemble, de transports publics, est criant. L'absence de liaison rapide et confortable Paris-Roissy en est la caricature.M. Sarkozy vient de reculer sur la réforme territoriale nationale. Selon « Les Echos » (jeudi 8 octobre), le projet de loi ajouterait une strate supplémentaire : les pôles métropolitains ! L'idée de départ est toujours la même : simplifier, faciliter les regroupements pour faire naître des projets (universités, aéroports… ), à la fin le résultat est toujours l'inverse.Pour le Grand Paris, Christian Blanc, secrétaire d'Etat chargé du projet, s'est heurté à la fronde des élus, droite et gauche, liguée contre lui. Dans l'enchevêtrement des pouvoirs, codécision égale indécision : l'ancien patron d'Air France voulait que l'Etat récupère la main pour pouvoir avancer vite. Malheureusement le Premier ministre, d'habitude mieux inspiré mais qui se cherche un destin dans la région, a pris fait et cause pour la classe politique locale. Et malheureusement aussi le président, qui se moque souvent de l'avis de François Fillon, cette fois l'a suivi.Les élus de tous bords crient à l'expropriation et au manque de concertation. Ils disent qu'on n'est plus à l'époque du baron Haussmann ou de Delouvrier (l'après-guerre). Mais Christian Blanc avait raison : pour préparer le Grand Paris aux défis du XXIe siècle, économiques et écologiques, il faut une centralisation forte, une nouvelle gouvernance de toute la région. Alain Juppé vient de dire la même chose pour Bordeaux en réclamant « une grande agglo, puissante, avec un vrai exécutif communautaire ».Le projet de supermétro est bon. Mais sa mise en oeuvre va vite bloquer sur les élus animés par les milliers d'associations de riverains qui ne manqueront pas de s'opposer. Peut-être n'est-ce plus à l'Etat de commander. Peut-être faut-il inventer une autre structure qui respecte les représentants locaux. Mais en reculant, en refusant de modifier les institutions territoriales, M. Sarkozy a pris le risque de l'immobilisme.