5 Août 2009
Lorsqu’il monte sur l’échafaud, en ce printemps 1794, Camille Desmoulins, hébété, s’exclame : « Voilà donc comment devait finir le premier apôtre de la liberté ! » Cinq ans plus tôt, l’homme aux yeux de jais est entré dans l’histoire par la grande porte, en appelant, le premier, les Parisiens à prendre la Bastille. À l’heure où la monarchie se réclame « de droit divin », il se revendique déjà ouvertement républicain. On dit même qu’il a inventé la cocarde. « J’avais rêvé d’une République que tout le monde eût aimée », a-t-il écrit, en forme de testament. Camille Desmoulins a porté aux nues l’idéal révolutionnaire. « Oui, tout ce bien va s’opérer, oui cette génération va s’accomplir, nulle puissance sur la terre n’est en état de l’empêcher. Sublime effet de la philosophie, de la liberté et du patriotisme. Nous sommes devenus invincibles », écrit-il en 1789, dans la France libre, un de ses premiers pamphlets.
Né le 2 mars 1760 à Guise, en Picardie, ce fils d’un petit magistrat aime à se présenter comme un « patriote picard ». Il devient pourtant un gamin de Paris à l’occasion de son entrée à Louis-le-Grand, collège dans lequel un adolescent, boursier comme lui, se fait son ami : Maximilien Robespierre. Il prête serment en 1785 mais se révèle un piètre avocat. Le jeune homme est timide. Il bute sur chaque mot. Les plaidoiries l’intéressent peu. Son intérêt se porte déjà sur l’écriture. Camille Desmoulins se passionne pour l’air du temps et attrape la politique à l’occasion de la convocation par le roi des États généraux. Camille Desmoulins le pressent : le processus qui se met en marche pourrait devenir irréversible. Il échafaude déjà le projet d’éditer une brochure. En juin 1789, il écrit à son père qu’il est « tout occupé » à rédiger le premier numéro de la France libre.
C’est pourtant en tant qu’orateur qu’il va se faire connaître. Le 12 juillet 1789, Louis XVI renvoie Necker, qu’il avait pourtant appelé à la rescousse en août 1788 pour redresser les finances du royaume. La nouvelle de son limogeage se répand comme une traînée de poudre. Le roi conspire. Il rassemble aux portes de Paris quelque 20 000 hommes de régiments étrangers. Dans les jardins du Palais-Royal, un jeune homme aux cheveux noirs monte sur une table et, oubliant ses difficultés d’élocution, s’écrie : « J’arrive de Versailles, Necker est renvoyé. Ce soir tous les bataillons suisses et allemands sortiront du Champ-de-Mars pour nous égorger. Une ressource nous reste, c’est de courir aux armes et de prendre des cocardes pour nous reconnaître ! » Les arbres du jardin sont dépouillés de leurs feuilles qui, accrochées aux vestons ou aux chapeaux, forment le premier signe de ralliement des citoyens. Deux jours plus tard, la Bastille est prise. Camille Desmoulins se fait un nom.
Dès lors, il se consacre à l’écrit. Dans la France libre, il tire à tout va contre la monarchie, pourtant encore bien installée sur le trône, il pourfend la noblesse et raille le clergé tout-puissant. Il plaide pour la constitution d’un gouvernement « populaire ». Dans un second pamphlet, intitulé « Le discours à la lanterne aux Parisiens », il développe ses idées sur l’égalité entre les citoyens, la liberté de la presse et se rend populaire en affirmant : « Quand on ne fait pas justice au peuple, il se la fait lui-même. » En novembre 1789, Camille Desmoulins saute le pas et fonde son premier journal, un hebdomadaire, Révolutions de France et de Brabant. Il y confirme son aversion pour l’Ancien Régime et laisse courir une plume qu’il sait tremper dans l’acide. Il affirme, dans le numéro 3, que « les fainéants du clergé et de la cour, malgré l’immensité de leurs domaines, ne sont que des plantes végétales pareilles à cet arbre de votre évangile, qui ne porte point de fruits et qu’il faut jeter au feu ». Le succès est rapide et offre au jeune homme, l’année de ses trente ans, un revenu lui permettant enfin d’envisager de prendre un appartement. Peu de temps après, il rencontre Lucille, qu’il épouse en décembre 1790. La relation fusionnelle du couple donne lieu à un torrent de correspondance amoureuse. Comme il aime à le dire alors, sa vie est heureuse.
D’abord intime de Mirabeau, noble déclassé qui avait pris sous son aile les premiers écrits du journaliste, Camille Desmoulins prend plus fermement le parti des républicains en 1791. Après la tentative ratée de fuite du roi et son arrestation à Varennes, le 21 juin, la confiance entre la monarchie et la révolution est brisée. Les républicains vont dès lors plaider ouvertement leur cause, notamment au sein des clubs, dont celui des Jacobins reste
le plus connu. Camille - Desmoulins y vilipende « l’animal roi ». Peu après, il participe à la création du club des Cordeliers avec Marat, Danton ou Hébert. C’est là qu’est rédigée la « pétition du Champ-de-Mars » réclamant la déchéance du monarque. Le 17 juillet, le marquis de La Fayette parade lors de la fête de la Fédération, censée symboliser la réconciliation du roi avec la révolution. Sur le Pont-Neuf, des citoyens manifestent leur hostilité au monarque et présentent la pétition. Le rassemblement est réprimé dans le sang. Un mandat d’arrêt est lancé contre Camille Desmoulins, qui doit se cacher, non sans avoir qualifié La Fayette de « tartuffe à doubles épaulettes ». Contraint d’arrêter la publication de son journal, le journaliste n’en continue pas moins à écrire.
Il fait paraître plusieurs textes et prend position pour la paix, avec Robespierre. Le 20 avril 1792, sur proposition du roi, la France déclare la guerre à l’empereur d’Autriche. Les Girondins parlent alors d’une croisade des peuples contre les rois. Les patriotes y voient plutôt l’organisation d’un complot de la noblesse pour abattre la révolution. Camille Desmoulins est de ceux-là. Les événements lui donnent raison. Le 11 juillet, l’Assemblée législative déclare « la patrie en danger ». Une nouvelle flambée révolutionnaire provoque la déchéance du roi, le 10 août 1792, et avec lui la chute de la monarchie. Un gouvernement provisoire est mis en place. Danton devient ministre de la Justice et Camille Desmoulins son secrétaire. Le 8 septembre le journaliste est élu député de Paris. Camille Desmoulins siège dans les rangs de la Montagne. Il vote pour la mort du roi le 17 janvier 1793. Ce n’est pourtant pas à la Convention qu’il déploie le mieux sa fougue. Il y joue peu de rôles. Marat, dans son journal, l’Ami du peuple, avait déjà cerné la naïveté d’un « esprit neuf en politique » avant de reprocher à Camille Desmoulins son « manque de sérieux dans la réflexion ».
Avec une bonne dose d’insouciance, Camille Desmoulins se jette dans les combats qui lui sont chers, sans bien mesurer parfois les conséquences de ses actes. Ainsi, il s’oppose violemment à Brissot, Girondin qu’il accuse d’être corrompu. Il publie une Histoire des Brissotins qui contribue à la perte de ce groupe politique. Après la création du tribunal révolutionnaire (10 mars 93) et du Comité de salut public (5 avril), les Girondins tentent d’arrêter une révolution qui a leurs yeux va trop loin. Début juin, 27 chefs girondins seront arrêtés, ce que Camille Desmoulins va, paradoxalement, mal supporter. Il fonde alors un nouveau journal, le Vieux Cordelier, dans lequel il dénonce les « ultra-révolutionnaires » et s’inquiète des effets de « la terreur ». Le 15 décembre 1793, il écrit : « Ouvrez les prisons à ces deux cent mille citoyens que vous appelez suspects ; car dans la Déclaration des droits, il n’y a point de maisons de suspicion, il n’y a que des maisons d’arrêt. » Ses articles creusent sa tombe. Le dernier numéro donne à lire ses doutes : « Je ne vois plus dans la République que le calme plat du despotisme et la surface unie des eaux croupissantes d’un marais. » C’en est trop pour les enragés, dont le chef de file, Hébert, affuble Camille Desmoulins du surnom de « renégat de la sans— culotterie ». La situation amène Robespierre à prendre ses distances et à demander, le 7 janvier 1794, que « les numéros du Vieux Cordelier soient brûlés dans la société ». Camille Desmoulins s’étrangle et rétorque : « C’est fort bien dit, Robespierre, mais je te répondrai comme Rousseau : brûler n’est pas répondre. » La réponse pourtant, ne tarde pas tomber, tel un couperet. Considéré comme un partisan de Danton, le journaliste est arrêté en même temps que les dantonistes, le 31 mars1794.
Le 5 avril 1794, Camille Desmoulins est l’avant-dernier à monter sur la charrette. Une mèche de cheveux de Lucille, sa femme adorée, serrée dans la main, il pleure. À ses côtés, Danton susurre : « Dans une heure, la République n’aura plus de tête. » La foule est immense. Camille Desmoulins, en proie au désespoir, trouve la force d’adresser une dernière supplique au peuple. « Ce sont tes serviteurs qu’on immole ! C’est moi qui en 89 t’appelais aux armes ! » Il monte les marches totalement anéanti et, dans un souffle, murmure : « Voilà donc comment devait finir un apôtre de la liberté. »
Paule Masson