10 Juillet 2008
Etrangement le débat sur les tours à Paris ne semble pas concerner Paris... On tourne autour du pot, mais on fait bien attention à ne pas tomber dedans. La réflexion des esprits les plus téméraires en la matière est confinée aux territoires périphériques, ou déportée sur la dalle de La Défense. Alors que Marseille et Lyon en France, comme toutes les grandes métropoles internationales s'enrichissent de projets de très grande hauteur, Paris n'a rien à proposer. Le débat sur la grande hauteur n'évoque jamais l'hypothèse d'une ou plusieurs émergences emblématiques dans le centre de Paris. Dans le monde entier le cœur de la plupart des grandes villes se régénère intensément, à Paris il se sclérose inexorablement.
Les études, lancées récemment par la Ville de Paris, sur l'implantation de quartiers de tours en bordure ou sur le périphérique sont intéressantes dans la mesure où elles posent avec force la question du dépassement du plafond de hauteur parisien et ouvrent un débat sur la nécessité d'inventer de nouveaux concepts architecturaux liés à la très grande hauteur. La commande de ces études et le produit des travaux de chacun des ateliers constituent une étape utile et nécessaire dans le processus de renouvellement architectural et urbain de Paris. On peut cependant regretter que l'opposition d'une majorité de parisiens à la construction de tours dans leur ville ait conduit les commanditaires de cette étude à en cantonner l'expérimentation aux seules franges de la ville. Cette stratégie a l'avantage de ménager l'opinion à court terme, mais promet à plus long terme d'enliser la question de la très grande hauteur à Paris dans des difficultés dont elle risque une fois de plus d'être le bouc émissaire.
La première difficulté est l'amalgame entre deux problématiques totalement étrangères l'une par rapport à l'autre sur un même site : la nécessité de tisser des liens entre Paris et sa banlieue à travers les coupures franches que sont les grandes infrastructures (boulevard périphérique, faisceaux ferroviaires) d'un côté, et l'urbanisme de la grande hauteur de l'autre. Même si on peut faire la démonstration de la capacité indéniable des bâtiments de grande hauteur à mieux négocier dans certains cas des situations contextuelles pénibles, on peut argumenter qu'il serait préférable de travailler à la disparition de ces contextes difficiles, ou bien réfléchir à une occupation plus paysagère et moins construite de ces territoires reconquis dont bénéficieraient à égalité la capitale et sa banlieue. Dans ce cas, l'utilité de la très grande hauteur pour relier le centre et la périphérie de l'agglomération ne pourra jamais être prouvée. On voit que si on cantonne la réflexion sur la très grande hauteur à son implantation sur des sites périphériques, il est facile de mettre en avant son inutilité à résoudre les problèmes posés.
La deuxième difficulté réside dans le fait d'associer des contraintes urbaines et architecturales lourdes et tenaces, notamment dans les programmes de logements. L'éloignement, la faible densité du réseau de transports en commun, la pollution atmosphérique et sonore très importante des sites étudiés risquent d'exacerber les réticences à vivre dans une tour et à expérimenter de nouveaux modes d'habiter induits par la très grande hauteur. Pas très facile d'imposer une forme architecturale déjà controversée dans de telles conditions, sinon à subordonner durablement la raison d'être des tours à un contexte urbain invivable.
La troisième difficulté est que la réflexion des ateliers s'inscrit dans le processus dit du "projet urbain" qui pose l'intégration architecturale des tours au contexte futur de la zone à aménager comme un préalable, en même temps qu'elle ambitionne d'obtenir une forte densité. Les deux objectifs sont contradictoires parce que la logique de coordination et d'aménagement du projet urbain finit toujours par minimiser les opportunités radicales générées par ces immeubles exceptionnels que sont les tours. Résultat, les quartiers de tours issus de projets d'aménagements urbains ne répondent pas forcément à l'exigence d'une utilisation économe et performante du domaine foncier.
Toutes ces difficultés peuvent être dépassées si on envisage les choses autrement, ou plutôt en les inversant radicalement suivant une logique d'infiltration ou d'incrustation de bâtiments de très grande hauteur dans Paris, dans le centre de Paris, et même au centre de Paris. De nouvelles tours contemporaines, prolongeant l'histoire des 150 tours qui ont façonné le ciel parisien depuis le Moyen- Age, doivent obéir à la stratégie d'implantation et de localisation suivante :
Promouvoir et favoriser systématiquement l'installation à l'alignement d'immeubles de logements de grande hauteur (50m), et d'immeubles de bureaux de très grande hauteur (80m) sur les avenues les plus larges des arrondissements périphériques (avenue d'Italie, avenue de France, cours de Vincennes, boulevard Richard-Lenoir, avenue Jean-Jaurès, avenue de Clichy, avenue de la Grande-Armée, avenue du Général-Leclerc, etc.). La hauteur actuelle des bâtiments qui les bordent n'est pas du tout en rapport avec la très grande largeur de ces voies urbaines importantes.
Ce dispositif d'immersion de la grande hauteur dans des tissus urbains homogènes déjà fortement constitués pourrait à terme régler le problème du logement dans la capitale, et constituer une opération d'envergure comparable à la construction des HBM sur la ceinture verte au début du 20e siècle, en profitant des avantages inestimables du contexte urbain existant et de l'extrême densité de son réseau de transport.
Les tours beaucoup plus hautes (200m) ne peuvent qu'être exceptionnelles, tant leurs coûts de construction et de fonctionnement sont élevés. Cette très grande hauteur, celle des tours icônes capables de transformer l'image d'une ville doit être réservée au centre de Paris. Deux ou trois tours de 200m au cœur de Paris auront plus d'impact qu'une dizaine de plus à La-Défense, ou que la tour la plus haute du monde à Dubaï dans un contexte déjà façonné par la grande hauteur.
De par leur position unique et emblématique, on ne pourra les réduire à l'image d'une marque commerciale, elles deviendront l'image d'une ville comme la tour Eiffel, ou seront oubliées comme la tour Montparnasse que tout le monde trouve moche, mais que paradoxalement personne ne voit plus parce que justement personne ne la désire. Leur conception ne doit se poser ni la question de l'intégration au contexte, ni celle de leur beauté, mais plutôt celle de leur absence d'échelle, d'un hors échelle, brutal, radical mais forcément efficace.
Ces très hautes formes doivent être implantées à des endroits stratégiques du centre de Paris : Stratégie symbolique, stratégie de l'embellissement du skyline parisien, stratégie des communications et des transports urbains. Comme Les Halles, la Place de la République et Montparnasse justement.
A chaque fois, une tour, prenant racine dans les tréfonds du sous-sol parisien, sort de terre, pousse dans le ciel comme un arbre, et traverse le paysage de la ville, verticalement.
Un projet global pour faire basculer la ville dans une nouvelle dimension
Les images illustrant le projet (a)grandir Paris mettent en perspective ce renversement d'échelle à partir du Centre Pompidou de Piano et Rogers, c'est-à-dire à partir du dernier projet architectural parisien construit, réellement expérimental, novateur et révolutionnaire.
Le Centre Pompidou est un moment de l'architecture parisienne qui est à la fois un progrès considérable, une promesse optimiste, mais qui marque aussi la fin d'un urbanisme novateur et inventif sur la ville, avant une longue période d'immobilisme.
Présenter en cadrant les trois nouvelles tours du centre de Paris à travers le prisme architectural du centre Pompidou, c'est mettre en avant la nécessité contemporaine d'une nouvelle secousse urbaine et architecturale radicale.
Un nouveau Paris, haut et en couleur
Le projet (a)grandir Paris propose un nouveau système urbain et architectural, la grande hauteur, superposé à l'existant, une nouvelle échelle émergeant de l'ancienne. Ce nouveau dispositif provoque une métamorphose du paysage urbain parisien, par infiltration et incrustation du vieux tissu faubourien et post - haussmannien. Les deux systèmes s'épaulent et se renforcent mutuellement.
La grande hauteur transperce et traverse à l'alignement le système homogène des îlots des grands boulevards parisiens.
(a)grandir Paris est un projet de grande ampleur qui continue la transformation de Paris en construisant la ville sur la ville, comme ont pût l'être, à leur manière, celui des grands travaux haussmanniens ou celui des HBM de la ceinture verte.
Cette sur - densité verticale permet la construction de plusieurs centaines de logements sociaux et étudiants par boulevards concernés et la modernisation radicale de ces derniers.
En s'appuyant sur la partie rayonnante et non concentrique des boulevards parisiens, (a)grandir Paris met en place un système urbain capable de se prolonger au-delà des limites administratives de la capitale pour relier le centre aux territoires périphériques, à partir des structures urbaines les plus denses de l'ensemble de l'agglomération.
Enfin, (a)grandir Paris permet l'apparition et la révélation de la couleur dans le ciel parisien, projetant ainsi l'agglomération du grand Paris dans un futur optimiste et multicolore par-dessus la ville historique.
publié sur le site du Moniteur
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