15 Mai 2008
Denis Demonpion
Grand Paris par-ci, Grand Paris par-là. Non, Bertrand Delanoë n'est pas d'accord avec l'appellation du mégaprojet d'aménagement de la capitale et de la région Ile-de-France, auquel le président de la République a donné un coup d'accélérateur. Il lui préfère le nom de « Paris Métropole », une manière, à ses yeux, de défendre le rayonnement de la capitale, qui risquerait, à l'occasion de ce chantier pharaonique, de se voir dilué dans une structure incertaine aux contours encore flous.
De la gauche à la droite, le dossier dont la réalisation se chiffre en milliards d'euros est politiquement sensible. C'est Nicolas Sarkozy qui l'a relancé, en deux temps. D'abord dans un discours prononcé lors de l'inauguration du nouveau terminal de Roissy-Charles-de-Gaulle, puis le jour de l'ouverture officielle de la Cité de l'architecture et du patrimoine, place du Trocadéro, à Paris. Le chef de l'Etat avait alors suggéré que « huit à dix cabinets d'architectes puissent travailler sur un diagnostic prospectif, urbanistique, paysager sur le Grand Paris, à l'horizon de vingt, trente, quarante ans » . Ces déclarations faites à la veille de la campagne des municipales avaient été interprétées à gauche comme une tentative de déstabilisation et un moyen d'attiser les divergences d'appréciation entre le maire de Paris et un autre socialiste, Jean-Paul Huchon, président de la région Ile-de-France.
L'entourage de Delanoë reconnaît que les propos du président ont permis de « passer à une autre étape » , mais il souligne que le maire a été le premier à engager une réflexion sur le développement de la région-qui compte 11 millions d'habitants-sur le plan des transports, du logement et de l'expansion économique. Dès juillet 2006, il avait mis sur pied une Conférence métropolitaine. Tous les élus de Paris et de la banlieue y étaient conviés. Plusieurs maires sans étiquette, centristes ou UMP, y ont participé, dont le sénateur maire UMP de Garches, Jacques Gautier, l'oeil du conseil général des Hauts-de-Seine, le bastion du sarkozysme. Jaloux de son pré carré, Jean-Paul Huchon avait traîné les pieds. « Il a fallu un an pour le convaincre de nous rejoindre , note Pierre Mansat, adjoint de Delanoë. S'il a pu y avoir des désaccords, le maire de Paris a veillé à ne jamais entrer en conflit avec le président de la région . »
Attaché au schéma directeur de la région Ile-de-France, un document d'urbanisme fixant les orientations du développement urbain et économique pour les vingt-cinq prochaines années, Huchon affirme que « la métropole, c'est la région », une façon polie mais ferme de se démarquer de Delanoë. « Ne rompons pas l'unité régionale en organisant une structure intermédiaire entre Paris et les trois départements de la petite couronne (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis,Val-de-Marne), en laissant de côté les franges de l'Ile-de-France » , exhorte le président de région.
Au-delà des mots, des alliances se dessinent. Et là, paradoxalement, c'est à droite que Delanoë compte le plus d'alliés. D'abord en la personne du président de la République. A la mairie, on souligne que l'hypothèse d'un axe Sarkozy/Delanoë ne serait cependant qu'une construction de Huchon. « C'est du fantasme absolu » , coupe Pierre Mansat, l'adjoint missionné par Delanoë, qui se dit toutefois convaincu de « l'intérêt objectif » à ce que le maire de Paris et le président de la République ne soient pas « en conflit » . « Qu'il y ait un modus vivendi républicain, d'accord, mais toute idée de deal entre eux est ridicule » .
Candidat déclaré à la présidence de la région aux élections de 2010, Roger Karoutchi, secrétaire d'Etat aux Relations avec le Parlement, se dit également d'accord avec l'équipe Delanoë/Mansat quant à la nécessité de réorganiser la région sur le long terme. Bien qu'ayant, selon lui, boudé la Conférence métropolitaine du maire, il se défend de faire du Grand Paris une « affaire électorale » . Rares sont ceux, à la mairie de Paris, qui le croient.
Delanoë « respecte » par ailleurs le travail de Philippe Dallier, bouillonnant sénateur UMP de Seine-Saint-Denis, auteur d'un rapport décoiffant qui préconise de « simplifier le mille-feuille institutionnel » en fusionnant les départements de la petite couronne et de lutter contre « la ségrégation territoriale » . « Le non-partage des richesses est une injure à la devise de la République » , assène ce pur produit de la banlieue dont les propositions font grincer des dents à droite. En attendant, déjeuners de travail, consultations, séances de remue-méninges se multiplient. Ici pour la construction du « métrophérique », une rocade imaginée par la RATP, là pour la création d'une ligne express Paris-Roissy, ailleurs pour celle de pôles de développement économique et de logements.
Pour synthétiser les travaux de réflexion, le président de la République a créé, au lendemain des municipales, un secrétariat d'Etat au Développement de la région Capitale, avec à sa tête Christian Blanc. La nomination de cet ancien rocardien, vieille connaissance de Jean-Paul Huchon, paraît faire l'unanimité. A droite comme à gauche, on loue l'homme du consensus qui connaît le terrain pour avoir été préfet de Seine-et-Marne, patron de la RATP et député centriste des Yvelines. Ayant reçu sa lettre de mission le 7 mai, il doit « définir une vision pour la région Capitale à l'horizon 2030 » . Il se dit « conscient des difficultés de l'exercice » , dans ce gymkhana politique. La veille, comme pour couper court à toute présomption d'imperium parisien, Delanoë avait annoncé dans Libération qu'il ne revendiquait pas le titre de dirigeant de Paris Métropole. Une déclaration qui laisse le champ libre aux spéculations sur son avenir. Comme si Paris était désormais trop petit à l'échelle de ses ambitions.