16 Avril 2008
Le Grand Paris, tout le monde en parle mais personne ne comprend précisément quels en sont les contours. La publication de deux rapports, à une semaine d'intervalle, permet de mieux cerner les enjeux du débat. D'un côté le rapport de Philippe Dallier, jeune sénateur-maire UMP des Pavillons-sous-Bois (93), prônant la création d'une collectivité inédite fusionnant le département de Paris, les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne. De l'autre, celui de Jean-Paul Planchou, maire de Chelles (77), leader du groupe PS au conseil régional d'Ile-de-France. Pour qui la priorité n'est pas tant de construire une nouvelle collectivité que de renforcer les prérogatives de la Région. Deux approches opposées que «ParisObs» a pris l'initiative de confronter.
Malgré vos divergences, vos travaux reposent sur le constat commun d'un dysfonctionnement des institutions. Où est le problème exactement ?
Philippe Dallier. - Le problème, pour moi, c'est d'abord celui de la compétitivité de Paris au sens large. Le monde économique nous dit que cette région est en perte de vitesse par manque de grands projets. A cette perte de rayonnement s'ajoute la question de la ségrégation territoriale avec des collectivités qui entassent les richesses et d'autres qui cumulent les problèmes sociaux. Ensuite, il y a les habitants de cette région. Si sur les grandes politiques que je souhaite attribuer au Grand Paris - logement, transports locaux, sécurité on faisait preuve d'efficacité, je pense que cela se saurait.
Mais, concrètement, qu'est-ce que le Grand Paris peut apporter ?
Philippe Dallier. - Prenons le logement, c'est le plus emblématique. Tout le monde s'accorde pour dire que nous devrions construire 50% de plus qu'actuellement. Partant de ce constat, la région Ile-de-France émet des grandes orientations et fixe des objectifs ambitieux à chaque département. Le gros problème, c'est que ce ne sont pas les départements qui tiennent les permis de construire. Ce sont les communes. Or, que constate-t-on ? Que les maires, soumis à la pression des lobbies de riverains, font preuve de conservatisme. Donc, moi, je dis une chose claire : donnons à une collectivité - celle du Grand Paris - la capacité de fixer des objectifs et de les faire appliquer commune par commune. Pour chaque politique, il faut un seul pilote dans l'avion.
Jean-Paul Planchou, en tant qu'élu de la Région, Philippe Dallier semble douter de votre capacité à mener une politique du logement volontariste...
Jean-Paul Planchou. - Philippe Dallier est maire comme moi et pose un diagnostic pertinent sur l'attitude parfois ambiguë de nos concitoyens. Mais je ne crois pas que créer une collectivité du Grand Paris soit une solution. S'il y a un problème du logement, on ne peut le traiter qu'à l'échelle du grand bassin parisien. L'Ile-de-France, c'est 6 millions d'habitants dans le coeur d'agglomération, mais ce sont aussi 750 000 Franciliens qui vivent en grande couronne et viennent travailler chaque jour à Paris ou en banlieue proche.
En matière de logement, nous disposons par ailleurs d'outils efficaces. Nous avons déjà un établissement foncier, capable de préempter des terrains, dont la montée en puissance est extrêmement forte. Et nous proposons de créer un syndicat du logement à l'échelle régionale avec de vraies prérogatives d'incitation. Enfin, même si la Région ne contrôle pas le droit du sol, nous pouvons nous appuyer sur le développement des intercommunalités, qui sont beaucoup plus résistantes que les communes à la pression des conservatismes locaux.
Paris et la petite couronne n'auraient donc pas besoin d'un traitement spécifique...
Jean-Paul Planchou. - Non, je n'ai pas dit ça. Pour cette zone métropolitaine, nous souhaitons une vraie structure de coopération. Une structure qui oblige, mais qui s'inscrive dans le cadre plus large de la Région. Nous réfléchissons à un syndicat d'étude et de programmation, qui permette aux collectivités de travailler ensemble sur des politiques d'intérêt commun : développement économique, grandes opérations d'urbanisme. Pour nous, le problème, c'est celui de la coopération. Ce ne sont pas les instances en tant que telles qui fonctionnent mal. Ce sont les instances entre elles qui ne coopèrent pas suffisamment.
Philippe Dallier. - Vous êtes bien optimiste. Voyez la loi sur le droit au logement opposable. Ce n'est certainement pas en fonctionnant avec les collectivités actuelles - département ou, pire, intercommunalités - que l'on va arranger les choses. Bien au contraire. En construisant de nouveaux logements sociaux dans le 93 et le 94, là où la demande est naturellement la plus forte, on va encore renforcer la ségrégation au lieu de répartir l'effort sur l'ensemble de la métropole. C'est sur le périmètre d'un Grand Paris qu'il faut traiter cette problématique.
Par ailleurs, M. Planchou propose un grand syndicat régional pour gérer le logement. La question que je pose, c'est combien de personnes va-t-on mettre dans ce syndicat pour qu'il puisse représenter tout le monde : 100, 1000 ? Le logement, on l'a dit, est une problématique sensible. Il faut donc un pouvoir légitimement élu pour mener cette affaire.
Jean-Paul Planchou. - Cet argument du manque de légitimité est un peu spécieux. Le syndicat des transports [le Stif], piloté par la Région, mène une politique forte et puissante. Par ailleurs, quelle différence y a-t-il entre le Big Paris de M. Dallier avec 6 millions de personnes et un syndicat qui exercera son pouvoir sur un territoire en abritant 12 millions ? A l'heure de la démocratie participative, il faudrait que les décisions soient prises au niveau du quartier pour être parfaitement légitimes !
Le syndicat de Jean-Paul Planchou, c'est aussi la recherche d'un certain consensus. Votre démarche, Philippe Dallier, est plus autoritaire. Votre «ami», Roger Karoutchi, président du groupe UMP à la Région, la qualifie d'ailleurs d'irréaliste...
Philippe Dallier. - Ecoutez, depuis le début de la décentralisation, l'Etat a été d'une lâcheté effroyable, peut-être avec l'idée directrice de faire des collectivités nombreuses, petites et faibles. Ca, il a réussi. Seulement, aujourd'hui, on est tous dans l'impasse financièrement, l'Etat y compris. On a créé un monstre qui n'est pas efficace et qu'on ne sait plus gérer...
Jean-Paul Planchou. La monstruosité, elle est également chez vous. Vous n'allez pas nous faire croire que votre Grand Paris ressemblera à un joli bébé Cadum...
Philippe Dallier. - En tout cas, ce sera une monstruosité claire. Tandis que là, on a un monstre à plusieurs têtes. Le problème, avec ma solution, c'est celui de la volonté politique. Se dire qu'il va falloir être déplaisant. Mais, si faire de la peine à quelques-uns, c'est au bénéfice de tous, alors moi, je dis «banco». Franchement, fusionner les départements, ça peut faire de la peine à qui ? On ne détruit pas, on modifie. Il y aura une nouvelle collectivité avec des conseillers du Grand Paris au lieu des conseillers généraux, et un président du Grand Paris élu au suffrage universel. Ca laisse quelques perspectives.
Pour vous ?
Philippe Dallier. - Je ne suis candidat à rien, c'est ma grande force. Je peux faire des propositions qui dérangent. Je pense que le sens de l'histoire impose que nous réformions. On ne fait pas de réformes sans casser les oeufs.
Jean-Paul Planchou. - Faut-il encore faire l'omelette...
Gurvan Le Guelec
Paris Obs