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Pierre Mansat et les Alternatives

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Le Grand Paris, sa banlieue rouge et ses solidarités intercommunales

Sur le net ce texte d'Emmanuel Bellanger

Le Grand Paris, sa banlieue rouge et ses
solidarités intercommunales : les leçons de l’histoire[1][1]

Emmanuel Bellanger

 

 Le retour du Grand Paris dans le débat public interpelle les formes contemporaines du gouvernement local.

Dans la région capitale, les sources du contentieux entre collectivités locales et puissances tutélaires (préfectures, ministères, présidence de la République…) sont anciennes. Elles se nouent autour des questions de frontières, de compétences et de péréquations financières.

Contrairement aux idées reçues, le Grand Paris n’est pas une thématique nouvelle soudainement reprise dans l’agenda municipal de 2001 et dans celui présidentiel de juin 2007. La création, au lendemain des municipales de mars 2008, d’un secrétariat d’État à compétence territoriale est à ce titre riche d’enseignement. Le choix de son intitulé « développement de la région capitale » est ici révélateur du poids des mots et de leurs histoires. Aux termes attendus de « Grand Paris » qui charrient un lourd contentieux Paris-Banlieues, symboliques et historiques, le pouvoir central a préféré les mots plus policés de « région capitale » qui ne tranchent pas l’épineuse question de la coexistence du gouvernement de la région Ile-de-France, formalisé en 1961, avec celui du Grand Paris disparu officiellement au 1er janvier 1968.

Le Grand Paris, que l’on redécouvre au tournant des années 2000, a bel et bien une histoire actée avec la Révolution française et achevée au début des années 1960 avec la création du district de la région parisienne en 1961 et l’adoption de la loi du 10 juillet 1964 qui désolidarise la capitale de sa proche banlieue au profit d’un nouveau découpage départemental : le 75, 78, 91, 92, 93, 94 et 95[2][2]. Pendant plus d’un siècle, l’entité politique Grand Paris a existé sous les traits typés de l’ancien département de la Seine, composé de la capitale et de 80 communes suburbaines. Sa création atteste que les découpages administratifs ne sont jamais neutres. En 1790, le législateur voulait contenir l’influence de la plus puissante municipalité du royaume, riche et rebelle, en la ceinturant d’un premier anneau de communes en voie d’urbanisation, la Seine banlieue, et d’une seconde couronne de 6 000 kilomètres carrés, la Seine-et-Oise, sans centralité, à dominante rurale et avec pour capitale Versailles.

 

L’histoire et les réalisations exemplaires du Grand Paris

Durant plus de 150 ans, le conseil général du département de la Seine, instance délibérative du Grand Paris, a été le lieu d’une politisation et d’une uniformisation, pour ne pas dire d’une homogénéisation des politiques publiques locales d’intercommunalité. Le département de la Seine est certainement le territoire urbain qui a utilisé dans une forme la plus aboutie la loi du 22 mars 1890 sur les syndicats intercommunaux à vocation unique (SIVU). Ces grands syndicats techniques ont été saisis comme des leviers d’intégration des banlieues parisiennes portés par quelques personnalités emblématiques : Théodore Tissier maire radical de Bagneux (1899-1935) et vice-président du Conseil d’État, Henri Sellier maire socialiste de Suresnes (1919-1941) et fondateur en 1915 de l’office départementale d’Habitation à bon marché, André Morizet maire socialiste de Boulogne-Billancourt (1919-1942), fervent défenseur de l’œuvre haussmannienne et Georges Marrane, premier et seul président communiste du conseil général de la Seine élu en 1936, maire d’Ivry (1925-1965) et spécialiste d’action municipale qui œuvre à l’affermissement des liens Paris-Banlieues dans un cadre géopolitique où la banlieue rouge s’est enracinée depuis les municipales de 1935.

Ce dernier profil édilitaire rappelle que l’histoire politique du Grand Paris s’illustre par l’emprise du communisme de clocher. Un chiffre illustre son implantation et sa longévité politique remarquable. Entre les municipales de 1945 et celles de 2001, une vingtaine des 80 communes formant la ceinture dense de Paris ont été représentées sans interruption par des maires communistes. Plusieurs millions de banlieusards n’ont eu, pendant deux ou trois générations, que des communistes à la direction de leur municipalité.

Ce Grand Paris soutenu par l’ensemble des maires de la proche banlieue promeut des solidarités intercommunales soutenues par plusieurs institutions de défense des intérêts suburbains, institution de médiation et de compromis politique où le consensus est recherché. Ces institutions du compromis intercommunal ont pour nom l’Union des maires de la Seine créée dès 1909, la direction des affaires départementales de la préfecture de la Seine qui assure le gouvernement exécutif du Grand Paris et l’association des secrétaires généraux de mairie fondée dès 1862 sous l’autorité du préfet Haussmann. Elles sont relayées par deux écoles pionnières de professionnalisation du personnel communal : l’École des hautes études urbaines créée en 1919 sous les auspices du conseil général de la Seine et l’École nationale d’administration municipale (ENAM) fondée en 1922. Ces institutions coparrainées par la préfecture et les collectivités locales forment les administrateurs des communes et assument une fonction de rationalisation de la conduite des affaires municipales et intercommunales.

Les réalisations de cette nébuleuse d’acteurs témoignent de l’efficience des collaborations intercommunales avec la création des syndicats du gaz et des pompes funèbres dès 1903 et 1905, du syndicat des eaux en 1922, de l’électricité en 1924, de la presqu’île de Gennevilliers en 1934, du personnel communal en 1937 ou de l’octroi en 1939. La ville de Paris intègre certains de ses syndicats et participe à la création et au financement des offices publics départementaux d’HBM, d’hygiène sociale ou de placement de la main-d’œuvre. Elle impulse également la fondation des services urbains d’assainissement et de traitement des déchets qui, avec les offices, constituent des instruments clefs de la solidarité administrative, technique et financière Paris-Banlieues.

Ces services publics intercommunaux et départementaux ne revêtent pas une dimension politique au sens partisan du terme. Les clivages partisans s’estompent. Les maires communistes, acquis à l’intercommunalité, tirent profit de la normalisation de leur relation avec les autorités de tutelles. Il s’impose notamment à la présidence du syndicat intercommunal funéraire (72 communes) de 1935 à nos jours à l’exception de la période 1939-1944. Depuis le début du XXe siècle, ces SIVU épousent les limites de l’agglomération dense et se présentent sous une logique technique au service d’un intérêt général délégué par les collectivités locales.

 

L’actualité du Grand Paris, ses solidarités et ses replis intercommunaux

En 2008, la gouvernance de la région parisienne semble éclatée et multipolaire. La réforme administrative de juillet 1964 a constitué à ce titre une césure. Le remembrement administratif de la Seine et de la Seine-et-Oise conduit par le district de la région parisienne n’a pas privilégié le maintien du département de la Seine et de son entité politique, le conseil général de la Seine, en étendant son périmètre d’action aux villes agglomérées de la Seine-et-Oise et en renforçant l’armature des sous-préfectures. Le délégué général du district, Paul Delouvrier, fait valoir une autre logique tout à la fois administrative (renforcer la présence de l’État dans la grande banlieue, l’ancienne Seine-et-Oise sous administrée) et politique (institutionnaliser et encadrer le rôle des élus communistes).

Première force partisane de la région parisienne, ces derniers adoptent un positionnement ambivalent sur le découpage de 1964. Contestée par une majorité d’élus parisiens et banlieusards, la création de sept nouveaux départements donne lieu à un compromis tacite entre autorités tutélaires et mandataires communistes[3][3]. Le Général de Gaulle donne son accord à la réforme arguant que les communistes ont acquis une légitimité édilitaire reconnue depuis les années 1930 par les autorités préfectorales et qu’ils sauront co-administrer certains de ces départements, le 93 sans interruption jusqu’en 2008 et le 94 avec une parenthèse gaulliste entre 1970 et 1976. Ce démembrement a des conséquences sur les politiques départementales. Il marque sans conteste un changement d’échelle et une rupture dans l’histoire de la représentation politique. S’y affermissent sinon de nouvelles consciences départementales, du moins, un sentiment d’appartenance au « 93 » populaire ou au « 92 » à l’entre soi plus bourgeois.

Le second mouvement de décentralisation des années 1980 et d’intercommunalité des années 1990-2000 renforce l’éclatement et le chevauchement des instances locales. Une différence essentielle distingue le déploiement de la première génération d’intercommunalité du début du XXe siècle de celui du tournant des années 1990-2000. Le premier se produit dans une configuration institutionnelle centralisée autour de l’entité bicéphale du Grand Paris. La seconde vague d’intercommunalités, plus politique, naît des lois sur l’administration territoriale de la République de 1992 et le renforcement et la simplification de la coopération intercommunale de 1999. Ces intercommunalités se déploient dans un cadre institutionnel où il n’y a plus d’autorité de régulation et de péréquation de l’agglomération dense. Les pouvoirs locaux se sont morcelés à l’image d’une France qui compte plus de 18 000 structures intercommunales dont la profusion rend difficile la mise en forme d’une gouvernance intercommunale unifiée.

 

La nouvelle génération d’intercommunalité aux compétences élargies a créé un échelon supplémentaire de délibération en imposant de nouveaux périmètres d’action qui soulèvent des problèmes de lisibilité et d’appropriation. Il n’existe pas d’esprit intercommunal sur le modèle des esprits de clocher reposant sur la légitimité du suffrage et l’ancrage de la figure patriarcale du maire. L’appartenance à une communauté est rarement revendiquée par ses habitants. S’il n’est pas question ici d’instruire le procès du « mille feuille administratif français », il convient d’interroger le gouvernement local à la lumière des précédents historiques. Cette perspective invite à interroger la nature des nouvelles intercommunalités comparables, en certains lieux, à des associations relevant d’effets d’aubaine et de repli intercommunal sans profondeur historique et sans visée solidaire.

 

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Emmanuel Bellanger, Jacques Girault (dir.), Villes de banlieues. Personnel communal, élus locaux et politiques urbaines en banlieue parisienne au XXe siècle, Paris, Créaphis, 2008, 490 p.

Annie Fourcaut, Emmanuel Bellanger, Mathieu Flonneau (dir.), Paris/Banlieues. Conflits et solidarités, Historiographie, anthologie, chronologie, 1788-2006, Paris, Créaphis, 2007, 480 p.

Emmanuel Bellanger, Naissance d’un département et d’une préfecture dans le « 9–3 ». De la Seine banlieue et de la Seine-et-Oise à la Seine-Saint-Denis : une histoire de l’État au XXe siècle, Paris, La Documentation française, 2005, 192 p.

Emmanuel Bellanger, « “Je t’aime contraint et forcé”. Des maires, des amicales, des syndicats et une préfecture en banlieue parisienne (1880-1950) », in Danielle Tartakowsky, Françoise Tétard (dir.), Syndicats et Associations en France. Concurrence ou complémentarité ?, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006, pp. 129-137.

Emmanuel Bellanger, « La ville en partage : les “savoir-administrer” dans la conduite des affaires municipales et intercommunales en banlieue parisienne (années 1880-1950) », Revue d'histoire des sciences humaines, dossier “Discipliner la ville. L’émergence des savoirs urbains (XVIIe-XXe siècle)”, n° 12, mai 2005, pp. 79-95.

Emmanuel Bellanger, « Des secrétaires généraux, des maires et une tutelle en terre politique », Revue française d’administration publique, ENA, dossier « Administrer la IVe République » coordonné par Marc-Olivier BARUCH, n° 108, 2003 / 1er semestre 2004, pp. 577-592.

Emmanuel Bellanger, « L'Ecole nationale d'administration municipale. Des “sans -grade” devenus secrétaires généraux », Politix, dossier “Le temps des mairies” coordonné par Frédéric SAWICKI, n°53, mars 2001, pp. 145-171.

Emmanuel Bellanger, « Les secrétaires généraux des communes de la Seine Banlieue. Contours d'une identité professionnelle (XIXe-XXe siècles) », in Bruno Dumons, Gilles PoLlet (dir.), Administrer la ville en Europe (XIXe-XXe siècles), Paris, L'Harmattan, 2003, pp. 17-46.

Emmanuel Bellanger, « Spécificité, continuité et uniformisation de la gestion communiste dans les mairies de la Seine banlieue », in Jacques Girault (dir.), Communisme et mouvements sociaux en région parisienne et en France XIXe-XXe siècles, Paris, Publications de la Sorbonne, 2002, pp. 293-317.

Emmanuel Bellanger

Historien, ses travaux portent sur les banlieues parisiennes. Ils se polarisent sur les politiques publiques, les intercommunalités, le Grand Paris, la banlieue rouge, les maires et le personnel communal et s’étendent des années 1880 au temps présent. Les dernières publications ont porté sur la Seine-Saint-Denis, les élus locaux et leur gestion publique de la mort, des offices d’HLM et des loisirs. Associé au CHS de Paris 1, Emmanuel Bellanger est post-doctorant à l’IDHE rattaché au projet de recherche Capright sur les fondations sociales de l’Europe.

http://histoire-sociale.univ-paris1.fr/cherche/Bellanger.php

 



 

 

 

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