4 Avril 2008
«Paris est la seule agglomération de France, à ne pas avoir de communauté urbaine... » En juin 2007, en visite à l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, Nicolas Sarkozy relançait par ses mots le chantier du « Grand Paris ».
Depuis, le débat sur l'organisation des pouvoirs politiques et économiques en Île-de-France n'a cessé de prendre de l'ampleur. Pendant la campagne des municipales où élus et candidats ont livré leurs visions de ce « Grand Paris ». Après, avec la nomination de Christian Blanc au poste de secrétaire d'État « chargé du développement de la région-capitale » et dont on attend de connaître la lettre de mission.
Mercredi 2 avril, le chef de file de l'opposition au conseil régional de l'Île-de-France, l'UMP Roger Karoutchi, a réuni des personnalités UMP et centristes franciliennes, pour débattre des « grands enjeux de la région-capitale ». A cette occasion Christian Blanc n'a rien dévoilé de sa tâche, demandant quelques semaines pour rencontrer tous les acteurs.
Mercredi 9 avril, Philippe Dallier, sénateur maire UMP des Pavillons-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) remettra son rapport sur la question à l'Observatoire de la décentralisation tandis que le maire socialiste réélu de Paris, Bertrand Delanoë, désire organiser avant l'été des « Assises de l'agglomération parisienne »...
Au-delà de leurs divergences, tous sont unanimes : la construction du « Grand Paris » est un enjeu majeur de ces prochaines années. Mais pour le plus grand nombre des Franciliens, bien des questions se posent tant cette nouvelle architecture politique reste illisible. Quel territoire pourrait-elle englober ? Quel en serait le mode institutionnel, les moyens financiers, et qui en aurait la gouvernance ? Que deviendraient en son sein les communes et les départements actuels ? Et surtout quels changements les Franciliens pourraient-ils en attendre ? Voici quelques éléments de réponse.
Non, puisque dans les années 1920, la gauche qui détenait le département de la Seine prônait déjà la construction d'un « Grand Paris » à l'image de l'agglomération londonienne ou berlinoise. Ces élus désiraient un plan de développement global de la ville et de ses banlieues.
« Non seulement la capitale ne s'est pas ouverte à ses périphéries, mais elle a multiplié les barrières techniques ou symboliques qui la séparent des communes limitrophes, note Jean-Marc Offner, directeur du Laboratoire techniques, territoires et sociétés (Latts) à l'université de Marne-la-Vallée. Le boulevard périphérique qui a pris la place des fortifications en est l'un des plus beaux exemples. L'éclatement du département de la Seine par la loi de 1964 a d'ailleurs renforcé cet isolement de la ville centre. »
Il faudra pratiquement attendre soixante ans pour voir ressurgir le dossier avec la mission « Banlieue 89 » confiée par François Mitterrand en 1983 aux architectes Roland Castro et Michel Cantal-Dupart qui esquissent en vain un « Grand Paris » solidaire. Après son élection en 2001 à la mairie de Paris, Bertrand Delanoë multiplie les partenariats avec les communes voisines et met en place, en 2006, une Conférence métropolitaine, sorte d'instance de réflexion qui réunit une petite centaine d'édiles de banlieues pour discuter de leurs problèmes à l'échelle de l'agglomération.
À chaque fois que la capitale s'est sentie à l'étroit derrière ses murailles, elle s'est étendue en annexant les faubourgs et en construisant une nouvelle enceinte un peu plus loin. Or Paris a cessé de grandir depuis 1860 et l'annexion des villages (comme Belleville, Montmartre, Vaugirard, Les Batignolles ou Grenelle...) qui se trouvaient entre le mur des Fermiers généraux et les fortifications d'Adolphe Thiers.
Depuis, la ville a perdu des centaines de milliers d'habitants (même si la tendance s'inverse depuis six ans) tandis que les banlieues n'ont cessé de croître. Comparé aux autres capitales, Paris est désormais loin derrière ses concurrentes économiques européennes en termes de superficie. Londres avec 1 580 km2 est quinze fois plus étendue et Madrid six fois plus avec 607 km2...
Or, pour nombre d'économistes, seules les grandes métropoles sont capables d'offrir aux entreprises l'échelle favorable à leur épanouissement. D'où l'idée d'une structure de décision à l'échelle des mégapoles mondiales pour redynamiser l'attractivité de la région capitale et entraîner, dans le même mouvement, la croissance nationale.
Chaque jour, quelque 300 000 Parisiens vont travailler à l'extérieur de la capitale, tandis que 500 000 des habitants de proche banlieue font le trajet inverse. Mais pour les questions essentielles que sont par exemple le logement, les transports ou l'emploi, les concertations et les prises de décision au niveau de l'Île-de-France deviennent presque mission impossible.
« La véritable fragmentation de la région avec près de 1 300 communes, chacune avec ses compétences, est une exception française, souligne Jean-Marc Offner. Même si les difficultés commencent à se résoudre grâce au développement de l'intercommunalité, on assiste souvent chez les élus à une absence de prise en compte des enjeux métropolitains au profit de leurs propres territoires. »
Les tenants du Grand Paris évoquent souvent le problème du transport et la faiblesse du maillage de transports publics au fur et à mesure que l'on s'éloigne des limites strictement parisiennes. La petite couronne attend ainsi son métro de périphérie depuis plus de quinze ans. « Un président de la RATP m'a dit que s'il n'avait qu'un interlocuteur, le projet pourrait être achevé en huit ans. Si on continue comme cela, il faudra au moins attendre 2025 pour le voir », affirme Roger Karoutchi.
De même, alors que le manque de logements est critique, la densification nécessaire du territoire bute sur les centaines de règlements locaux d'urbanisme.
« Avec le Grand Paris, la question des banlieues disparaît, affirme l'architecte Roland Castro. C'est l'occasion de mettre de l'État républicain partout, de désenclaver les cités, de les embellir. » Pierre Mansat, adjoint communiste de Bertrand Delanoë chargé des relations avec les collectivités territoriales d'Île-de-France et du dossier Paris Métropole, rappelle que le Grand Paris est aussi l'occasion d'établir une équité financière entre les territoires de l'Île-de-France.
La disparition en 1968 (loi de 1964) des départements de la Seine et de la Seine-et-Oise a en effet créé de profondes inégalités de ressources. « Paris et les Hauts-de-Seine bénéficient de 80 % de la taxe professionnelle de la petite couronne pour 60 % de sa population. La Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne ne reçoivent, eux, que 20 % de la taxe pour 40 % des habitants », dit-il, estimant que le Grand Paris pourrait être l'occasion de mettre en place une taxe professionnelle unique.
Certains scénarios n'évoquent que Paris et ses 29 communes limitrophes. Pour la plupart, c'est le cas notamment pour Roger Karoutchi, l'hypothèse de départ reste cependant Paris et les 123 communes qui composent la première couronne. Soit 4 % du territoire total de la région mais presque 50 % de sa population (6 millions de personnes), 60 % de ses emplois et 90 % de ses déplacements...
Le sort des villes nouvelles plus lointaines (Évry, Marne-la-Vallée) pose pourtant question, étant donné leur importance économique. En décembre dernier, le président socialiste du conseil général de l'Essonne Michel Berson publiait une tribune dans Le Monde dans laquelle il mettait en garde contre la « ghettoïsation » des Franciliens de la grande couronne.
D'autres, comme Pierre Mansat, voient le Grand Paris comme un territoire à géométrie variable, qui concernerait certaines communes selon les questions traitées. Jeudi, une commission de la région a préconisé dans un rapport la création d'un syndicat consacré au logement, équivalent à celui qui existe déjà dans les transports.
La proposition la plus spectaculaire vient du sénateur et maire UMP des Pavillons-sous-Bois, Philippe Dallier, qui plaide pour la disparition des départements de Paris, des Hauts-de-Seine, du Val-de-Marne et de la Seine-Saint-Denis. « Il faut une nouvelle collectivité territoriale, dit Philippe Dallier, un échelon intermédiaire entre les communes et l'État. En province, c'est le rôle du département mais en petite couronne, le département n'est pas représentatif d'un bassin de vie, d'emploi ou d'habitat. »
Cette nouvelle collectivité territoriale serait décisionnaire sur quelques compétences (logement, transports, développement économique...) Les autres seraient réparties entre les communes et la région. Une taxe professionnelle unique serait par ailleurs instituée. Roger Karoutchi, lui, prône une structure, sorte de « syndicat mixte ouvert » associant État, départements, région et communes sur la base du volontariat dans un premier temps. « Avec une contribution des collectivités à hauteur de leurs ressources fiscales », précise-t-il.
À la mairie de Paris, Pierre Mansat réfléchit à une sorte d'assemblée de syndicats mixtes auxquels seraient intégrées les communes selon les sujets d'action. « Il faut inventer quelque chose de nouveau de toute façon », avertit-il. Quant à Jean-Paul Huchon, le président du conseil général d'Île-de-France, il se dit persuadé que la région reste la collectivité de pilotage la plus pertinente. Il admet cependant la création d'intercommunalités en petite couronne.
Mais il n'a aucun doute : l'intérêt gouvernemental pour le Grand Paris n'est qu'une manœuvre politique : « C'est pour la droite une manière d'empoisonner la région et la ville de Paris qu'elle n'a pas pu conquérir. »
Alors qu'il inaugurait le 17 septembre 2007 à Paris la Cité de l'architecture et du patrimoine, Nicolas Sarkozy est revenu sur la question du Grand Paris en annonçant la création d'un groupe d'une dizaine d'agences d'architectes chargées de réfléchir sur cette évolution urbaine. De fait, le ministère de la culture a lancé un concours international pour choisir les dix équipes en question.
« Le travail de l'architecte, estime en riant Paul Chemetov - qui a notamment réalisé le ministère des finances de Bercy -, doit, comme avec le célèbre médicament (le Synthol), faire du bien là où ça fait mal dans la ville. J'aime aussi prendre l'exemple des mobiles de Calder où un tout petit point entraîne l'ensemble. »
Selon Roland Castro, qui participe au concours, ce Grand Paris est « l'occasion magnifique de réaliser un territoire égalitaire pour tous au sein duquel n'importe quel lieu en vaut un autre ». C'est ce que l'architecte appelle « le droit à l'urbanité ». « Cela signifie qu'on habite un logement digne, dans un quartier auquel on est fier d'appartenir et que tout soit en réseau. » Roland Castro propose un Grand Paris « en pétales », chacun s'appuyant sur ce qu'il appelle des « événements », et de les relier par un maillage de lignes de transports concentriques.
Il faudra mettre de « l'intérêt public partout, là des sièges d'entreprises, ici des musées, déplacer les gares... » Et ne pas oublier des monuments. « C'est l'Arche de la Défense qui a permis d'humaniser son quartier. Le monument, c'est l'émotion, la gratuité... » Pour l'architecte, pas de doute : « Le Grand Paris est un projet de civilisation. » Michel WAINTROP
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