12 Mars 2008
Le compte-rendu de la journée consacrée aux ségrégations
Une synthèse et l'intégrale en pdf
ddata.over-blog.com/xxxyyy/0/54/07/70/entrevillesetmetropoles--segregation.pdf
Synthèse
À l’heure où plus de 60 % de la population européenne vit dans des villes,
et où la question du vivre-ensemble urbain se pose avec plus d’urgence que jamais, la Ville
de Paris et la Maison de l’Europe de Paris, en partenariat avec la Commission européenne,
le Courrier International, les Films d’Ici et l’association Les Promenades urbaines, ont choisi d’ouvrir
un cycle de rencontres, en France mais aussi à Sofia, à Berlin ou à Lubljana, pour aboutir
en mai 2008 à des Assises européennes des citoyens et résidents des grandes métropoles. La dimension
européenne du projet est fondamentale : il s’agit d’encourager l’échange d’expériences entre
citoyens européens, de comparer pour mieux analyser, d’inventer tous ensemble l’Europe
et les métropoles européennes. Cette première journée était consacrée à la ségrégation urbaine,
abordée par deux biais « indirects » qui renvoient cependant aux préoccupations les plus
quotidiennes : l’école et la mobilité.
Le problème scolaire existe partout en Europe. Pourtant il s’est exprimé de manière
beaucoup plus ethnique à Milan, Londres et Berlin qu’à Paris ou Varsovie, renvoyant
chez les uns aux questions multiculturelles, chez les autres aux inégalités socioprofessionnelles
voire aux fondements culturels de l’éducation. Lorsqu’il s’agit de la scolarisation des enfants,
la mixité tend à devenir synonyme de ségrégation et de nombreux parents, qui peuvent
la prôner comme une valeur morale évidente, la rejettent au nom d’une indispensable réussite
qui les conduit à rechercher l’excellence pour leur progéniture. Il est clairement illusoire
de penser qu’une carte scolaire (elle existe dans tous les pays européens comparés au cours
de la journée) soit susceptible d’atteindre un objectif de mixité : cela supposerait une
répartition harmonieuse des différents groupes sociaux et ethniques dans l’espace urbain,
ce qui n’est pas le cas. Avec ou sans carte scolaire, seuls ceux qui en ont les moyens ont
véritablement le choix de scolariser leurs enfants où ils le souhaitent. Les classes supérieures
sont à l’abri de l’injonction à la mixité, sur le plan résidentiel et sur le plan scolaire ;
la ségrégation scolaire concerne aujourd’hui tout particulièrement les couches moyennes très
sollicitées pour participer à l’intégration sociale et les couches populaires moins familières
des méthodes d’évitement. Une réelle volonté de mixité sociale suppose de faire le choix
politique d’agir sur l’offre des établissements et sur leur recrutement. Derrière les questions
de ségrégation scolaire, on retrouve donc la question de l’intervention sur la ségrégation
socio-résidentielle : une politique efficace aurait pour tâche de raisonner en amont sur
la façon dont se répartissent les groupes sociaux dans l’espace urbain et d’articuler de manière
cohérente les politiques de peuplement et de logement et les politiques scolaires.
On peut dire que la ségrégation scolaire révèle la situation actuelle de la mixité sociale. L’école
revêt alors un double rôle d’intégration et d’exigences sociales. Co-habiter n’est pas vivre
ensemble. Entre pratiques individuelles et enjeu collectif, l’action publique doit-elle jouer
un rôle de médiation ?
Dans un espace urbain où les sphères de la vie se sont dissociées, la mobilité
est devenue un enjeu. Avoir ou non les ressources (financières, culturelles) de la mobilité
est fortement discriminant : les uns peuvent accéder à une part importante du marché
de l’emploi et des opportunités urbaines ; ceux qui sont assignés à résidence, eux, sont d’autant
plus enclavés que la norme générale de mobilité s’est élevée ; l’on voit ainsi apparaître
des situations d’« insularité ». Et bien que les configurations soient différentes selon les villes
(à Berlin, la ségrégation est centrale, tandis qu’à Paris, elle est périphérique), la comparaison
européenne met en lumière une véritable communauté de problèmes. Il apparaît que
la question de la mobilité est indissociable de celle du territoire et donc aussi de la question
foncière. Le prix du sol est une véritable machine à trier les emplois et les habitants ;
les classes moyennes ne peuvent que gagner des zones périphériques où le foncier est moins
cher. À Berlin comme à Paris, les classes moyennes, parties dans les années 1970-80 vers les
zones périphériques, et qui sont aujourd’hui confrontées à l’augmentation du coût de
la mobilité, n’ont plus désormais les moyens de revenir vers le centre. Les pompiers londoniens,
eux, habitent à 160 km de Londres...
C’est qu’un choix politique a été fait : celui d’évacuer la mixité sociale en favorisant
l’accessibilité, les progrès des transports en commun et du maillage systématique du réseau
routier rapide. Les outils de l’accessibilité ont permis d’épargner aux politiques publiques
une politique de contrôle foncier. Aujourd’hui, le prix de l’énergie a cessé d’être bas, la précarité
conduit à rechercher une mobilité qu’une installation lointaine rend souvent difficile, des
exigences environnementales émergent, et ce sur quoi l’on a compté pendant un demi-siècle
pour s’épargner une politique de contrôle foncier est en train de se refermer comme
un piège. La ségrégation territoriale était compensée par un accès de presque tous à la vitesse ;
aujourd’hui, la vitesse est remise en cause. La question foncière réintégrera-t-elle le champ
de la responsabilité politique ?
La mixité ne s’impose pas, elle doit se vivre. Dans un système métropolitain qui,
s’il n’est pas maîtrisé, a une forte tendance à créer de l’inégalité, la question de l’action
publique et de sa nécessaire cohérence à l’échelle d’un bassin de vie se pose avec une acuité
toute particulière. Quelle place donne-t-on à la société civile et à ses organisations face
au problème de l’égalité des chances ? Quelle société se dessine derrière la mise à distance qui
remplace aujourd’hui la confrontation mais qui n’empêche pas pour autant le conflit ?
C’est sur le plan européen que se jouera en partie la réponse. C’est aujourd’hui au niveau
de l’Europe que nous devons nous demander quel développement urbain nous voulons :
voulons-nous des pays unicéphales (la Pologne, la Roumanie imitent la France et mènent
une politique d’accroissement de la capitale) ? Voulons-nous encore régler les problèmes
métropolitains par l’étalement (et la vitesse, et l’absence de mixité), ou allons-nous
choisir, comme le fait Londres aujourd’hui, et dans une moindre mesure Bruxelles, de densifier
les centres de nos villes ? Ce ne sont pas des questions techniques, mais bien politiques ;
et l’on ne pourra plus éviter de les poser si l’on veut imaginer des politiques européennes.