22 Mai 2010
Interterritorialité : vers de nouvelles régulations territoriales ?
Clarification, simplification, spécialisation, fusion, intégration : tel est donc le credo du projet de loi de réforme des collectivités territoriales, qui poursuivra son parcours parlementaire en janvier de cette année, et des textes afférents annoncés pour les sessions à venir. Le monde des collectivités territoriales s’apprête ainsi à en finir – croit-il – avec ce qui le caractérise de plus en plus : la complexité. Huit rapports officiels ont montré, depuis février 2006 (Piron, Richard, Lambert, Attali, Perben, Warsmann, Balladur, Belot-Krattinger) à quel point les élus et les grands commis d’État n’aiment pas la complexité contemporaine de l’architecture territoriale française, réputée illisible, coûteuse, antidémocratique. L’ironie éditoriale veut que tout récemment, un grand spécialiste des neurosciences et des sciences du vivant, Alain Berthoz, professeur au collège de France, nous invite, à travers La simplexité (éditions Odile Jacob, 2009), à nous dégager de la frénésie de la simplification qui produit une complexité accrue, à ne plus confondre modernité et simplicité, et à consacrer nos efforts à la complexité déchiffrable.
La bataille parlementaire qui a commencé a pris une autre voie. Il reste à savoir qui du Département (simple agence technique ?) ou de la Région (syndicat interdépartemental ?) en fera les frais, mais pour le reste on connaît la recette : retour au graal de la fusion communale par les « communes nouvelles » ; réaffirmation de la spécialisation des compétences par niveau ; intégration plus poussée pour les communautés urbaines pourtant toujours coincées dans leur périmètre obsolète ; chasse aux syndicats, porteurs d’une honteuse flexibilité territoriale. Certes, la loi qui se prépare apportera aussi des avancées (sur le mandat fléché du bloc commune-communauté, sur le syndicat mixte métropolitain, sur les rapprochements intercommunaux), mais on est très loin d’un quelconque big bang en la matière, et un goût amer d’occasion manquée en sera sans doute la trace essentielle.
Pourquoi l’acte III de la Décentralisation n’aura finalement pas eu lieu ? Parce que les acteurs du système territorial français tardent à se rendre à l’évidence : il s’agit bien d’un système, dont toute l’efficacité tient désormais dans les efforts, les règles, et les politiques de coordination et de coopération, et non plus dans une énième répartition exclusive des positions de pouvoir entre ses différentes composantes, au nom bien-sûr de la clarification, de la simplification et de l’efficience de l’action territoriale. L’avenir des territoires est dans leur capacité à construire cette coordination systématique, cette politique des articulations qu’on pourrait appeler l’interterritorialité. Quelques voix se sont fait entendre en ce sens dans le grand débat de la réforme, au sein de l’ADCF, de l’ADF, et parmi les parlementaires (confère le conseil trimestriel régional et départemental des exécutifs des propositions Belot). Mais c’est peu dire qu’une politique de l’interterritorialité reste à inventer.
En 2009, un collectif d’une vingtaine d’acteurs de cinq territoires (Région urbaine de Lyon, Métropole de Nantes-St-Nazaire, Paris-Métropole, Région PACA et Dunkerque-Métropole Côte d’Opale) en ont exploré les chemins, à l’occasion d’un atelier itinérant impulsé par la Région Nord-Pas-de-Calais et sa Direction du Développement Durable, de la Prospective et de l’Évaluation. Parmi les douze recommandations finales de cet atelier, on en retiendra quatre ici :
La République des territoires ne devrait pas s’effrayer de la complexité contemporaine : elle est à la fois son horizon et son énergie pour les solutions « simplexes » des nouvelles régulations territoriales.
Laissons, dès lors, le dernier mot au neurophysiologiste Alain Berthoz : « La simplexité est une façon de vivre avec son monde. Elle est élégance plutôt que sobriété, intelligence plutôt que logique froide, subtilité plutôt que rigueur, diplomatie plutôt qu’autorité » (op. cit., p.224). Les sciences du vivant ont décidément encore beaucoup à apprendre à celles du territoire !
Martin Vanier, Philippe Estèbe, Daniel Béhar, Acadie
Pierre-Jean Lorens, chargé de cours, Sciences Po Lille.