3 Décembre 2024
AVANT-PROPOS
Cinquante ans après le retour de Paris au rang de collectivité de plein
exercice dotée d’un maire élu, trente ans après le numéro de la revue Le
Débat sur l’avenir de Paris, vingt ans après la parution de Paris, capitale de
la modernité sous le Second Empire de David Harvey 1, près de quinze ans après la consultation internationale sur le Grand Paris post Kyoto, et près de dix ans après la création officielle de la Métropole du Grand Paris, un certain scepticisme, voire de l’indifférence, caractérise aujourd’hui les débats liés à la gouvernance et au futur de cette ville et du territoire métropolitain mal identifié dont elle reste le centre incontesté.
Pourtant, si Paris a bénéficié d’un savoir-faire urbain spécifique longtemps
érigé en modèle universellement reconnu, la promesse énoncée il y a environ un
quart de siècle de la fabrique d’une ville en rupture avec la verticalité des politiques urbaines passées, plus douce, écologique, populaire, participative et inclusive, est à l’évidence largement insatisfaite. Cet écart justifie la mise en question du bilan rétrospectif que les contributions regroupées dans cet ouvrage entendent stimuler, puisque face aux politiques engagées ces dernières années, un mécontentement croissant s’exprime et un reflux démographique inquiétant s’installe.
Certes, cette défiance n’est pas propre à Paris et à sa région urbaine. Mais
compte tenu de la place particulière de la capitale en France et dans le monde, de
l’attraction qu’elle continue d’exercer, des débats qu’elle ne cesse de susciter, nous avons voulu comprendre et explorer le sens et les raisons de cette frustration en lien avec les mutations contemporaines.
Paris, unique par son histoire, son architecture, son espace public, son métro,
son savoir-vivre et le système de développement radioconcentrique dont elle est
le noyau, reste un objet de référence qui appartient à tous. Mais peut-on toujours
décrire et répéter cette évidence sans actualisation des questionnements et des
priorités ? Pour comprendre les racines de la crise du modèle parisien et tracer des perspectives ouvertes pour Paris et le Grand Paris, cet ouvrage propose des analyses croisées issues de disciplines différentes (architecture, géographie, ingénierie, mobilités, paysage, urbanisme, sociologie…).
Les auteurs — dits collectif Fluctuat — sont universitaires, chercheurs, anciens
élus, responsables d’administration, historiens, consultants, maîtres d’œuvre. Ils
ont été ou sont personnellement impliqués dans la vie de la capitale. Tous sont
passionnés et interpellés par les évolutions récentes de la ville, notamment la dé-
gradation progressive de l’espace public parisien dont les pratiques sont devenues indéchiffrables.
Même si la distance qui s’est installée dans le champ démocratique entre
prescripteurs et citoyens n’est pas propre à Paris et à sa région urbaine, toutes les
polémiques qui ont largement animé l’opinion publique, des ouvrages critiques, la presse et les réseaux sociaux nous ont amenés à réfléchir aux causes de ces dérives dans une ville qui a toujours prôné une forme de leadership dans l’excellence.
Par ailleurs, au-delà de l’actualité fluctuante du Grand Paris, comment espérer
amorcer un nouveau cycle, à quelle échelle et avec quels acteurs, compte tenu
des contraintes sociales, financières et politiques qui s’imposent aux métropoles
confrontées à l’urgence environnementale ?
Guidés par la volonté de participer à une démarche constructive sans arrière-
pensées politiciennes, nous avons voulu éviter les pièges d’une critique trop
souvent centrée sur le triptyque sécurité-propreté-autorité et approfondir les effets contradictoires de la mondialisation auxquels Paris ne saurait échapper. Nous avons tenté de mesurer comment les dynamiques économiques et sociales, marquées par le sceau du libéralisme globalisé, ont influencé les choix de politique urbaine, et comment les outils et les périmètres d’intervention des acteurs publics se sont révélés inopérants et inadaptés à l’heure de la métropolisation et de la crise climatique. Notre réflexion ne prétend pas à l’exhaustivité mais s’inscrit dans un moment où l’aménagement territorial du Grand Paris est en pleine redéfinition : mise en débat du Plan local d’urbanisme bioclimatique (PLUb) de Paris et des Plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi) des autres communes, approbation du Schéma de cohérence territoriale métropolitain (SCoT), projet du Schéma directeur environnemental de la région Île-de-France (ou SDRIF-E), impact des Jeux olympiques de l’été 2024, difficile mise en application du dispositif Zéro Artificialisation nette (ZAN).
Des analyses thématiques pour évaluer, comprendre et ouvrir le débat sur l’avenir
Ce livre ne s’inscrit pas seulement dans la lignée désormais bien fournie d’ou-
vrages déplorant les transformations récentes de la ville, notamment par les regards portant essentiellement sur des questions d’esthétique que l’on retrouvera aussi dans plusieurs contributions. Il ne s’agit pas d’un récit linéaire ou d’un manuel, mais d’une somme de choix éditoriaux singuliers visant à apporter de brefs éclairages thématiques sur les ambiguïtés des résultats obtenus après trois mandatures de gauche à l’épreuve du pouvoir, et de la panne du débat métropolitain. Constatant que la gauche parisienne aura été, qu’on le veuille ou non, un acteur contrarié du processus d’embourgeoisement — quand bien même elle s’est efforcée de développer l’habitat social et des politiques sociales généreuses en mobilisant de fortes ressources —, notre contribution ne peut esquiver la perspective des prochaines élections municipales de 2026 et la réforme annoncée du système électoral. Sans prétendre faire programme, elle veut dépasser le cap de la simple critique d’une situation devenue dysfonctionnelle et favoriser les conditions d’un débat sur l’état de l’édifice et les inflexions souhaitables.
Les différents articles tentent d’éclairer l’actualité des vingt-cinq dernières an-
nées en abordant, sans prétendre à l’exhaustivité, les thématiques qui structurent
les polémiques, les choix politiques et les réactions de l’opinion publique : densité et forme urbaine, construction de logements, dynamiques de gentrification, évolution des mobilités et des enjeux circulatoires, usage et traitement des espaces publics et des espaces verts, adaptation à la crise climatique, financiarisation et privatisation de l’aménagement, impasse budgétaire, relations entre Paris, la métropole et le Grand Paris, rôle de l’Etat…
Les contributeurs s’expriment ici en toute liberté d’écriture, avec pour seule
visée d’alimenter le débat à l’intention d’un public dépassant le cercle des spécia-
listes. Chacun a porté dans son domaine de prédilection et de compétence une
analyse historique de l’adaptation de la ville à la pression des investisseurs internationaux dans un espace contraint.
Paris, un territoire en question(s)
Remontant bien au-delà des mutations intervenues depuis 2001, l’article
introductif à cette première partie, signé de Bernard Landau, retrace le temps long des politiques urbaines parisiennes et rappelle les adaptations graduelles de la chaîne de décisions à l’horizontalité d’une démocratie plus participative.
Les diverses contributions qui suivent interrogent, sans résignation ni
cynisme, nombre d’aspects problématiques, contradictoires et discutables des
transformations récentes de Paris :
— Simon Ronai déplie les justifications, échecs et paradoxes d’une politique de
densification par le logement imposée à une ville-centre déjà saturée (« Faut-il
mettre Paris sous cloche ? »),
— Antoine Ribardière met en perspective les données et la géographie
des relations emploi-habitat à l’échelle de l’agglomération pour souligner la
diversité des situations et la singularité de Paris (« Paris, lieu de travail, lieu de
résidence ? »).
La gestion et l’usage de l’espace public parisien, dans ses diverses acceptions,
constitue un thème transversal aux trois contributions suivantes :
— Chiara Santini revient sur la constitution dans le temps des jardins et
espaces verts, pour réclamer une meilleure prise en compte du legs matériel et
logistique de cette histoire face à la nouvelle donne imposée par le changement
climatique (« Quel passé pour les jardins de demain ? »),
— Gwenaël Querrien plaide pour le respect de la valeur patrimoniale et
paysagère de la très minérale place de la Concorde, exceptionnel éloge du vide
écrit dans le temps long, et conteste le destin « végétalisé » et ludique qui lui est
promis. Elle insiste sur l’importance de la proximité immédiate de la Seine et de
18jardins dans l’évaluation du climat urbain (« La Concorde : de la place royale au
Concorde Park »),
— Mathieu Flonneau revient sur l’enjeu très polémique du partage de la voirie
par les différentes « mobilités » ; il dénonce le déni de réalité et suggère de
jeter un regard plus réaliste et constructif sur cet aspect de la modernisation
de Paris (« Les mobilités parisiennes sont-elles un sous-produit soluble dans
l’idéologie ? » ).
Cette première partie de l’ouvrage se clôt sur trois contributions qui constatent
la privatisation croissante des biens municipaux et des acteurs de l’aménagement
urbain :
— Françoise Fromonot analyse ses effets délétères, notamment sous l’angle
de la captation du patrimoine urbain par les baronnies du luxe (« Paris
Monopoly ? »),
— Martine Drozdz, pour Londres (« Dubaï-sur-Tamise (…) » ?) et Raphaël Lan-
guillon-Aussel pour Tokyo (« Ville globale mature à la renaissance privati -
sée ? ») comparent les évolutions de ces deux modèles de développement à
l’heure de la mondialisation.
Qu’il s’agisse de logement, de travail, d’écologie, de mobilités, de statut du foncier ou de l’espace public, tous les auteurs de cette première partie diagnostiquent, tous à leur manière et dans leur domaine, que la capitale peut moins que jamais fonctionner et mener une politique urbaine cohérente en ignorant son insertion dans la métropole.
Élargir la focale
La seconde partie de l’ouvrage ouvre les perspectives en revenant sur l’histoire
contemporaine de l’émergence entravée du Grand Paris. Elle aborde dans la durée les problématiques d’échelle, de gouvernance, de métropolisation ou de proximité, d’environnement, de génie urbain et de fabrique de la ville.
— Bernard Landau et Gwenaël Querrien, revenant sur l’histoire de l’émergence
entravée du Grand Paris depuis l’annexion de 1859, rappellent combien ce sujet
a toujours été in fine une question géopolitique nationale (« La longue marche
du Grand Paris »),
— Pierre Mansat raconte comment la construction d’une institution
véritablement métropolitaine est nécessaire et entravée dans « La malédiction
du Grand Paris »,
— Emmanuel Bellanger décrit l’émergence du patriotisme communal des
communes tout autour de Paris, et leurs coopérations au sein du département
de la Seine et des grands syndicats (« L’histoire méconnue de la banlieue
municipale au-delà du Petit Paris »),
— Dominique Bourg questionne l’explosion des métropoles et mégalopoles et
appelle à rompre avec les modèles hérités du siècle dernier et à ne plus concevoir
l’avenir des villes « hors sol et hors latitudes » (« La métropole insoutenable »),
— Elsa Martayan revient sur « Les métropoles et la pollution de l’air »,
— Mathieu Flonneau interroge à l’horizon des Jeux olympiques la place de tout
l’écosystème ferré et routier de transport individuel et de transports publics
(« “Hardcore” et redouté : l’horizon ouvert ou confiné des Jeux olympiques ? »),Avant-propos
— Marco Cremaschi, conteste le concept de la « ville du quart d’heure », et nous
rappelle que l’opposition entre intégration métropolitaine et proximité ne peut
se résoudre que dans le cadre d’un projet politique à cette échelle (« Grandeur
et misère de la proximité urbaine parisienne »).
Questions pour un vrai débat sur Paris,
métropole du XXI e siècle ?
Partant de nos approches complémentaires, des évolutions de l’opinion
publique et de l’action des différents décideurs, il s’agit de mesurer ce qui a déjà
changé où qui pourrait encore changer en privilégiant deux approches :
— Bernard Landau décrit l’ampleur de la rupture opérée dans le nouveau règlement d’urbanisme parisien mis récemment à l’enquête publique : « Le PLU bioclimatique pour engager la transition ? »,
— Daniel Behar, constatant les tendances lourdes de l’évolution contradictoire des dynamiques de développement de Paris et de sa périphérie urbaine, interroge le risque d’une dissociation durable : « Le Grand Paris sans Paris ? ».
Notre démarche, pragmatique, vise à reformuler les questionnements pour
contribuer à trouver des solutions adaptées dans ce moment de grands boulever-
sements.
Préface par Magda Maaoui
Avant-propos par le Collectif Fluctuat
- Paris, un territoire en question(s) Continuités et ruptures dans l’urbanisme parisien (1974-2020) Bernard Landau
- Faut-il mettre Paris sous cloche ? Simon Ronai
- Paris, lieu de travail et lieu de résidence ? Antonine Ribardière
- Quel passé pour les jardins de demain ? Chiara Santini
- La Concorde, de la place royale au Concorde Park Gwenaël Querrien
- Les mobilités parisiennes sont-elles un sous-produit soluble dans l’idéologie ?
Mathieu Flonneau
- Paris Monopoly Françoise Fromonot
- De « Dubaï-sur-la-Tamise » à « Dubaï-sur-Seine » ? Martine Drozdz
- Tokyo, ville globale « mature » à la renaissance privatisée
Raphaël Languillon-AusselSommaire027
Élargir la focale
- La longue marche du Grand Paris Bernard Landau et Gwenaël Querrien
- La malédiction du Grand Paris Pierre Mansat
- Au-delà du « petit Paris », la longue histoire de la « banlieue municipale »
Emmanuel Bellanger
- La métropole insoutenable Dominique Bourg
- Les métropoles et la pollution de l’air Elsa Martayan
- Citius, altius, fortius. L’horizon confiné ou ouvert des JO ? Mathieu Flonneau
- Grandeur et misère de la proximité urbaine parisienne Marco Cremaschi
- Ouvertures pour ce XXI e siècle Le PLU bioclimatique de Paris : un pas vers la transition grand-parisienne ? Bernard Landau
- Le Grand Paris sans Paris ? Daniel Behar
- Quelles perspectives, quel nouvel imaginaire collectif ? par le collectif Fluctuat253