3 Octobre 2023
Extraits
« LE CENERI DI GRAMSCI » LES CENDRES DE GRAMSCI
Est-il de mai, cet air impur
qui rend ce noir jardin étranger
plus noir encore, où l'éblouit
d'aveugles éclaircies... ce ciel
d'écume au-dessus des aigres terrasses
dont l'amphithéâtre immense masque
les méandres du Tibre, les monts
bleu sombre du Latium... C'est une paix
mortelle, et résignée, tout comme nos destins
que verse en ces vieux murs ce mois de mai
d'automne. Il porte en lui la grisaille du monde
la fin des dix années au bout desquelles il semble
que les ruines aient englouti le naïf
et profond effort de changer la vie ;
le silence humide et vain...
Jeune alors, en ce mois de mai où faire
erreur signifiait encore vivre, un mai italien
qui ajoutait, du moins, à la vie, la ferveur,
bien moins insouciant, de santé moins grossière
que nos pères – non point père, mais humble
frère – ta maigre main, déjà,
esquissait l'idéal qui donne sa lumière
(mais non pour nous : car tu es mort, et nous
sommes morts, avec toi, dans ce jardin
mouillé) au silence. Il ne t'est permis,
ne le vois-tu pas, que de dormir en terre
étrangère, toujours banni. Un ennui
patricien t'entoure. Seul te parvient,
étouffé, quelque bruit d'enclume
depuis les ateliers du Testacccio, assoupi
dans le soir : parmi de pauvres hangars,
des tas de tôle nue, de la ferraille, où
sournois, un manœuvre en chantonnant achève
déjà sa journée, tandis que tout autour cesse la pluie.
Un chiffon rouge, comme celui
noué au cou des partisans
et, près de l'urne, sur le sol cendré
deux géraniums d'un rouge différent
Te voici donc, banni, en ta grâce sévère,
non catholique, enregistré parmi ces morts
étrangers : les cendres de Gramsci...
Pris entre l'espérance et ma vieille défiance, je m'approche, venu
Par hasard en cette maigre serre, face à
ta tombe, et à ton esprit qui est resté ici-bas parmi
ces gens libres ( ou bien c'est quelque chose
de différent peut-être, de plus extasié
et de plus humble aussi, ivre symbiose
d'adolescence, de sexe et de mort... )
Et en ce pays, où jamais ne fut trêve
ta passion, je sens quel fut ton tort,ici,
dans le repos des tombes et, en même temps
combien tu eus raison – en notre inquiet
destin – d'écrire tes ultimes
pages pendant les jours de ton assassinat.
Je vois , ici, attestant la semence
non encore dispersée de l'antique pouvoir,
ces morts attachés à une possession
qui plonge au fond des siècles son abomination
et sa grandeur : et aussi , obsédante
cette vibration d'enclumes, en sourdine,
étouffée et poignante – depuis l'humble
quartier – pour en attester la fin.
Et me voici moi-même...Pauvre, vêtu d'habits
que les pauvres lorgnent dans les vitrines
au clinquant grossier , et qu'est venue faner
la saleté des routes les plus ignorées,
des banquettes de tram, qui dénaturent,
Pour moi, toute journée : alors que je puis
de moins en moins connaître de tels loisirs,
dans le tourment de survivre, et s'il advient
d'aimer le monde, ce n'est que d'un violent
et naïf amour sensuel,
tout comme, adolescent incertain, autrefois,
je l'ai haï, quand me blessait en lui, bourgeois
mon propre mal, bourgeois : et si le monde est -
avec toi – maintenant divisé, n'est-ce point objet
de rancœur, de mépris presque
Mystique, que la fraction qui en détient le pouvoir ?
Pourtant, sans ta rigueur, je subsiste,
Car je ne choisis point. Je vis sans rien vouloir,
en cet après-guerre évanoui : aimant
ce monde que je hais – en sa misère
méprisant et perdu- par un scandale obscur de la conscience