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Pierre Mansat et les Alternatives

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Tribune Vanier/Delpirou "Il est faux de laisser croire que les inégalités territoriales s’accroissent de plus en plus depuis quarante ans"

« Il est faux de laisser croire que les inégalités territoriales s’accroissent de plus en plus depuis quarante ans »

Tribune

Comme on pouvait s’y attendre, la flambée de violences en réaction à la mort tragique du jeune Nahel a donné lieu à de nouvelles expressions médiatiques d’une thèse bien connue : la France serait coupée en deux, entre centres métropolitains et périphéries (urbaines et/ou rurales, au gré de l’actualité du moment), cette « fracture spatiale » s’aggravant depuis les années 1980, en raison notamment d’une action publique impuissante.

L’instrumentalisation de supposés clivages territoriaux à des fins politiques est devenue une véritable spécialité nationale, à droite comme à gauche, au gré de la parution d’essais pourtant largement contredits par les sciences sociales. Il faut redire inlassablement combien cette approche repose sur des bases empiriques fragiles, sinon erronées, et combien elle est délétère pour le débat public.

En premier lieu, il est faux de laisser croire que les inégalités territoriales s’accroissent de plus en plus depuis quarante ans. Dans une chronique parue le 8 juillet dans Le Monde, l’économiste Thomas Piketty mobilise trois indicateurs à l’appui de cette affirmation : le produit intérieur brut (PIB) par habitant à l’échelle des départements ; la valeur immobilière moyenne des logements mis sur le marché à l’échelle des communes ; le revenu moyen des habitants par commune.

Des indicateurs au prisme du rapport des valeurs extrêmes

Ce choix soulève de lourds problèmes méthodologiques. Ainsi, le PIB par habitant mesure des inégalités productives, et non sociales : celui de la Seine-Saint-Denis, par exemple, situe le département à la 14e place nationale en 2022, alors qu’il est le plus pauvre de France métropolitaine. Du reste, les valeurs départementales des PIB n’ont pas beaucoup de sens dans une économie de la circulation comme celle de la France.

Par ailleurs, chaque indicateur est envisagé uniquement au prisme du rapport des valeurs extrêmes : les cinq PIB départementaux par habitant les plus élevés rapportés aux cinq les moins élevés, le 1 % des communes au marché immobilier le plus coté au 1 % le plus déprécié, etc. Le raisonnement paraît simple : si ces ratios augmentent depuis les années 1980, c’est que les inégalités s’accroissent.

Mais qu’en est-il des 90 % des départements et des 98 % des communes restants ? Tous les travaux disponibles montrent plutôt une convergence des niveaux de revenus du fait de la puissante redistribution géographique opérée par la mobilité des ménages et les mécanismes associés à l’impôt et aux cotisations. Ainsi, à l’échelle départementale, les inégalités de revenus n’ont jamais été aussi faibles que dans les années 2010.

Les « territoires défavorisés » ne sont pas une catégorie homogène

Quant aux comparaisons internationales, elles font de la France l’un des pays de l’OCDE où les contrastes régionaux sont le moins prononcés. En deuxième lieu, il est faux de laisser croire que les « territoires défavorisés » forment une catégorie homogène. Cette vue d’avion méconnaît profondément la diversité des situations d’inégalité socio-spatiales mise en lumière par les travaux académiques.

D’une part, les difficultés ne sont pas toujours cumulatives et dépendent désormais moins des « stocks » (la population et l’emploi sur place) que des « flux » (les mobilités résidentielles et quotidiennes). Ainsi, la pauvreté dans les quartiers de la politique de la ville, qui concentrent la majorité de l’immigration récente, a des causes et des expressions radicalement différentes de celle que connaissent les campagnes vieillissantes et marginalisées.

D’autre part, les disparités territoriales ne distinguent plus nettement telles ou telles catégories (urbain/rural, Paris/province, etc.) ; elles s’inscrivent et se recomposent à des échelles fines au sein de tous les territoires. Selon les temporalités et les indicateurs considérés, on trouve des « gagnants » et des « perdants » partout en France, dans des combinaisons diverses et labiles.

Une commune peut être financièrement riche et socialement pauvre – et inversement

Ainsi, les centres des grandes villes sont à la fois des lieux de concentration des richesses et de la grande pauvreté, y compris dans les métropoles les plus dynamiques. C’est précisément parce que la réalité des difficultés de tous ordres ne fait plus un bloc – ou des blocs – que l’intervention publique est mise à mal.

En troisième et dernier lieu, il est faux de laisser croire que « l’argent public exacerbe les inégalités initiales au lieu de les corriger ». Pour justifier cette assertion, Thomas Piketty affirme que les budgets des communes rapportés à leur nombre d’habitants étaient d’autant plus élevés que les ménages y sont riches.

Or les budgets des communes ont gardé la trace des bases économiques de leur fiscalité, c’est-à-dire des impôts locaux versés par les entreprises. Si ce sont les intercommunalités qui les perçoivent pour l’essentiel aujourd’hui (sauf la très lucrative taxe foncière des entreprises), les dotations globales de fonctionnement ont intégré cet héritage. Ce faisant, les communes sont budgétairement riches ou pauvres, en règle générale, au prorata de leur tissu économique, pas nécessairement de leur composition sociale : une commune peut être financièrement riche et socialement pauvre – et inversement.

Ne pas caricaturer ni prendre en otage ce débat

Plus généralement, la France est tout à la fois le pays où les budgets publics, tous niveaux confondus, forment la plus forte part du PIB (environ 60 %), celui où les transferts redistributifs représentent la plus forte part des budgets en question (de l’ordre de 40 %), et celui où ces transferts contribuent le plus efficacement à réduire les écarts de revenus – y compris par le lissage des impacts des chocs économiques et sociaux depuis 2008.

Dans certains départements, comme la Seine-Saint-Denis ou le Nord, les inégalités sont divisées par deux lorsque l’on passe du revenu fiscal au revenu disponible. On peut juger que cet effort n’est pas suffisant, on doit être vigilant quant à sa pérennité. Mais, pour montrer que ces circulations ne compteraient pour rien face aux politiques « néolibérales » ou qu’elles ne sont qu’un vaste mécanisme paradoxal d’accentuation des inégalités, il faudra beaucoup plus qu’une lecture superficielle des finances publiques locales et de leur supposée congruence avec les revenus des ménages.

Finalement, il ne s’agit pas de nier la forte visibilité ni la charge symbolique des inégalités territoriales qui continuent de prospérer dans le pays : les situations de décrochage durable et la sécession spatiale des ultra-riches appellent en effet des mesures spécifiques. Mais il faut exiger de ne pas caricaturer ni prendre en otage ce débat, aujourd’hui tristement enfermé dans une nouvelle bien-pensance de l’indignation.

Aurélien Delpirou(géographe, maître de conférences à l’Ecole d’urbanisme de Paris) et Martin Vanier(géographe, professeur à l’Ecole d’urbanisme de Paris)

 

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