1 Juillet 2023
TRIBUNE
Paris face au réchauffement climatique : mauvais plan ?
Le Plan local d’urbanisme bioclimatique, qui doit conditionner la vie des habitants de la capitale pour les trente ans à venir, est-il réellement adapté aux épisodes caniculaires ? s’interroge l’architecte urbaniste Albert Levy.
Paris, par sa forte densité, sa minéralité et son artificialité, sa morphologie et son taux élevé d’activité (30 % des emplois de la région), est très vulnérable aux canicules.
La ville de Paris vient de dévoiler son futur Plan local d’urbanisme (PLU) bioclimatique, voté le 5 juin, après enquête publique son adoption est prévue pour 2025. Il va conditionner la vie des Parisiens pour les trente ans à venir. L’année 2022 a été celle de tous les records, et selon les dernières prévisions du Giec, les émissions de gaz à effet de serre (GES), qui s’intensifient, ont rendu caduques l’accord de Paris sur la limite de la hausse à +1,5 °C pour la fin du siècle, qui sera atteinte dès 2040, et si la trajectoire est maintenue, il faudra s’attendre à + 4° ou +5 °C en 2100. La crise hydrique, que nous connaissons, préfigure les effets catastrophiques à venir et les villes risquent de devenir inhabitables en été.
Réduire drastiquement au niveau national et mondial (COP) les émissions de GES dues à la surconsommation d’énergies fossiles, réaliser rapidement la transition énergétique pour parvenir à la neutralité carbone en 2050, et surtout adapter, dans l’urgence, les villes face aux menaces du réchauffement avec des canicules plus fréquentes, plus longues, plus fortes, devient, répétons-le, la priorité politique absolue. Une mission d’information et d’évaluation du conseil de Paris, transpartisane, «Paris à 50 °C : s’adapter aux vagues de chaleur», a été constituée pour explorer les moyens d’adaptation de la ville en partant du scénario alarmant : «Paris à 50° : faut-il cuire, fuir ou agir ?».
Le rapport remis en avril 2023, comporte une douzaine de préconisations qui rejoignent plus ou moins celles du PLU. Trois ans de travail, 3 000 pages et des débats encore à venir jusqu’au vote définitif, il faut cependant se demander si ce nouveau PLU est à la hauteur de l’énorme défi climatique à affronter, si les mesures envisagées rendront la ville plus résiliente au réchauffement et permettront d’éviter les conséquences sanitaires et économiques (productivité) des futurs étés caniculaires ?
Treize jardins du Luxembourg et la fin des tours
Pour cette adaptation, le PLU propose, en gros, quatre grandes mesures : 1) 300 hectares d’espace vert de plus dans la capitale, soit l’équivalant de treize jardins du Luxembourg : ou les trouver ? Dans le moindre espace libre, partout (sur les toits), et des îlots de fraîcheur sont prévus (jardins, cours oasis, musées, églises…). 2) 30 à 65 % de sol naturel, dans chaque parcelle, seront sauvegardés, selon l’emprise du projet, les espaces libres seront débitumés (cours d’école, parkings…). 3) Fin des tours, la hauteur sera limitée à 37 m, avec possibilité de surélévation des bâtiments bas. 4) Fin d’abattage des arbres, tous les arbres (sains) seront sanctuarisés, création d’espace vert protégé… Face à l’ampleur du péril, ces mesures sont-elles suffisantes ou qu’un simple cautère sur une jambe de bois ?
Par rapport à l’ancien PLU de 2006, qui prônait la densification de la capitale, avec l’injonction du logement social et de la mixité (loi SRU), ce nouveau PLU, disent les auteurs, est un renversement total de perspective et de finalité. La ville veut pourtant encore construire pour parvenir à 40 % de logements publics : + 5 % dans le social pour atteindre 30 % et 10 % dans l’intermédiaire, développer les bureaux à l’Est et freiner à l’Ouest, afin d’équilibrer les emplois (entre 2014-2023, la construction de bureaux, surtout à l’Ouest, est passée de 17,5 millions m2 à 21,2 millions m2, soit + 21,4 %). Mais, poursuivre la construction avec plus de logements, plus de bureaux (malgré le taux de vacance de 3,5 % et l’extension du télétravail), donc plus de transport, d’équipements, de services, renforcer Paris comme première destination touristique mondiale (44 millions de touristes en 2022), donc avec plus d’hôtels, de locations Airbnb, etc., tous ces objectifs de développement sont-ils cohérents avec la lutte climatique et la recherche d’adaptation au réchauffement ?
Rappelons que Paris, par sa forte densité (20 350 hab /km², ville plus dense d’Europe), sa minéralité et son artificialité (faible ratio d’espace vert, 6 m2 /hab, hors les bois ; artificialisation des sols à plus de 90 %), sa morphologie (compacité, rues canyon), son taux élevé d’activité (30 % des emplois de la région), est très vulnérable aux canicules. Ce sont ces caractéristiques urbanistiques qui participent à la formation d’îlots de chaleur urbains (ICU) qui peuvent amplifier les températures de + 8° à +10 °C dans la ville (avec des variations internes) par rapport à la campagne environnante. Ces ICU amplificateurs des températures doivent être prioritairement combattus par le PLU en agissant sur les tous facteurs qui y contribuent : densification et réduction de l’ICU, dans une ville déjà très dense, sont contradictoires.
Urbanisme de densification
Ce futur PLU ne concernera que 5 % environ de la surface totale de la capitale, les 95 % de surface restante sont déjà construites ou occupées, et les dernières friches industrielles et ferroviaires dans la ville ont été exploitées (voir le débat sur la friche Bercy-Charenton). Outre le colossal chantier de la rénovation thermique du parc immobilier parisien et sa conversion aux énergies renouvelables, production à accélérer, que faire du tissu haussmannien dominant à Paris qui, malgré ses vertus, n’a pas été conçu pour affronter les futures épreuves climatiques (voir le débat sur les toits en zinc) ? Comment le PLU va-t-il adapter la ville existante et la rendre résiliente au réchauffement, tant dans ses espaces intérieurs qu’extérieurs, sans recourir à la climatisation et sans affecter le paysage urbain parisien ?
La prise de conscience de la menace climatique par la ville n’est pas nouvelle : dès 2004, un plan canicule (après l’avertissement de 2003) a été lancé, puis les plans climat en 2015, stratégie de résilience en 2017, cour oasis en 2018 et Paris frais en 2021. Pourtant, la mairie a continué à pratiquer un urbanisme de densification, favorable aux ICU, avec son bilan carbone associé (le bâtiment produit 30 % de GES), voire à accélérer les opérations immobilières ces dernières années, comme si elle voulait rapidement réaliser ce qu’elle ne pourra plus faire avec le futur PLU. Cela s’est traduit, par exemple, par les grandes opérations récentes : tours Duo 2017-2021 (180 m et 122 m de haut, 108 000m2 de bureaux, hôtel…) ; tour Triangle 2022-2027 (projet de 180 m de haut, 95 500 m2 de bureaux, hôtel…) ; Austerlitz 2021-2026 (projet de 300 m de long, 37 m de haut, 25 000 m2 de centre commercial, 50 000 m2 de bureaux, hôtel…) ; Porte de Montreuil 2023-2026 (projet sur les talus du périphérique de 60 000 m2 de bureaux, commerces…, avec 250 arbres abattus), etc. Un urbanisme favorable aux ICU a été ainsi poursuivi qui va rendre plus difficile la tâche d’adaptation du futur PLU.
Pour adapter l’Ile-de-France au réchauffement, la région prépare également son schéma directeur (Sdrif)-environnement pour 2040. Paris, c’est 105 km2 sur les 3 000 km2 de surface urbanisée de l’Ile-de-France et 2,1 M d’habitants sur les 12,2 M de la région : la solution au problème climatique est donc aussi, et surtout, une question d’échelle, et le «mille feuille territorial» francilien actuel, avec la compétition des territoires qu’il engendre, doit faire place à une indispensable et meilleure coordination régionale sur la politique climatique.