2 Juillet 2023
Dans La Montagne
Sur la place de la Poterie, que les Montluçonnais appelaient jadis place du Colonel-Fabien, se dresse un immeuble massif, aux trois rangées de huit volets, clos une grande partie de l’année. Seule une plaque à l’entrée mentionne toujours la présence de la fédération de l’Allier du Parti communiste français, ce lieu qui revient à la vie dans le nouveau livre de Jean Védrines, L’Enfant rouge.
Le romancier retranscrit les mémoires de son enfance à Montluçon, dans les années 1960, et tente de reconstituer le souvenir de son père, Henri Védrines, député communiste de l’Allier entre 1945 et 1958, puis entre 1968 et 1973, et proche de Maurice Thorez.
Rien de moins facile quand on a un père discret et parfois mystérieux. « Il ne raconte jamais grand-chose, ni à la mère ni à moi, des résumés secs, en trois mots, pas les couleurs, les bruits, les têtes qui l’entourent dès qu’il se lance, mène une grève, un défilé ou parle haut et clair à la foule », déplore l’auteur avec son regard d’enfant (*).
C’est pourtant Henri Védrines, dit la légende familiale, qui a tout déclenché en 1936. « Lui qui a convaincu les ouvriers de Montluçon d’arrêter le travail, de barricader les cent usines de la ville… Et après, le feu s’est communiqué aux ateliers et aux dépôts des environs, à Commentry, Deneuille-les-Mines, Bourganeuf même, où on va souvent promener en auto le dimanche. Et puis ça a gagné le restant du pays : Paris, les banlieues, les grosses villes à industries du Nord, de l’Est… Pour finir avec le triomphe qu’on sait, les patrons obligés de se retourner les poches jusqu’au dernier petit sou et d’ouvrir leurs plages de sable d’or aux enfants pauvres du pays. C’est l’œuvre du père, ce chamboulement. »
C’est également Henri Védrines qui apparaît sur une photographie noir et blanc aux côtés de Maurice Thorez, Khrouchtchev, Tito et Mao, en 1957, au quarantième anniversaire de la révolution d’Octobre à Moscou. « Certainement ces photos m’ont aveuglé, et jusqu’à maintenant », concède Jean Védrines.
Si la vie du père se mêle à ce point à la grande histoire, à ceux dont l’école m’a tôt dit qu’ils la faisaient, comment l’approcher lui, le timide, le réservé, comment le garder des milliers de récits, d’éclats et d’images, souvent de propagande, que nous a légués le siècle rouge ?
Né en 1911 à Neuilly-sur-Seine, Henri Védrines est le fils de l’aviateur Jules Védrines, qui défraie la chronique en 1919 en posant son appareil sur le toit des Galeries Lafayette, et qui meurt trois mois plus tard lors du raid aérien Paris-Rome.
Devenu orphelin, le futur député vit pauvrement la deuxième partie de son enfance à Bussière-Dunoise, en Creuse, dans une misérable chaumière ouverte aux courants d’air.
À seize ans, il devient électricien après avoir décroché son brevet d’apprentissage. À Montluçon, il est engagé à la Compagnie électrique de la Loire et du Centre, toque à la porte des fermes perdues pour proposer l’électrification aux paysans et en profite habilement pour « faire parler politique ».
« Je donnais plutôt dans la connivence, le sous-entendu, je ne pouvais pas faire plus. Mais je retenais bien le nom du gars, le chemin à demi caché qui sinuait jusque chez lui et, sitôt revenu dans mes pénates, je passais à la section du Parti, place des Trois-Ayards (aujourd’hui place Louis-Bavay à Montluçon, NDLR), donner l’adresse, vérifier s’il n’y avait pas, dans le secteur où j’avais fait mon repérage, un camarade qui pourrait visiter le paysan, lui apporter La Terre, le journal du Parti destiné aux campagnes », racontait Henri Védrines à son fils.
Mobilisé puis prisonnier de guerre à partir de mai 1940, Henri Védrines organise, dans son stalag, une « certaine forme de résistance », rappelle prudemment l’historien local André Touret dans le livre Destins d’Allier.
C’est là le tourment de l’homme, de ne pas avoir été officiellement reconnu comme résistant, lui qui avait monté une cellule communiste à l’intérieur du camp allemand, mais qui n’avait pas pris les armes, et qui avait été ignoré par l’Armée rouge lors de la libération du stalag en 1945.
Jean Védrines restitue l’atmosphère de cette époque, quand le Parti communiste était un « colosse », fort de « quatorze mille adhérents dans le seul département de l’Allier ». Il distille aussi l’héritage de son père. « Oublie pas ça fils : le meilleur de l’existence, tu le devras à nous autres, les grévistes… Et gare, quand je serai plus là, à ce que les patrons et leurs larbins te fauchent pas ce trésor : le farniente à la plage, la sieste tous les après-midi, le travail enfin jeté aux oubliettes… Tu sauras te battre, hein, garçon ? Parce que, dès qu’ils pourront, les bourgeois reprendront ce qu’on leur a arraché… »
Guillaume Bellavoine
(*) Toutes les citations sont extraites du livre L’Enfant rouge.
L’Enfant rouge, de Jean Védrines, aux Éditions Fayard, 21,50 euros.
Ancien élève de l’École normale supérieure de Saint-Cloud, agrégé de lettres modernes, Jean Védrines a publié sept romans depuis 1997, parmi lesquels Château perdu, L’Oiseau de plomb (dédié à son grand-père), ou encore L'Âge d’or (l’histoire d’un Montluçonnais qui prend les armes pour s’engager en Italie dans un groupe révolutionnaire).
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