27 Juin 2023
https://chroniques-architecture.com/barbarie-urbaine-boulevard-richard-lenoir-a-paris/?fbclid=IwAR33Wkg3SzobrPhY4YKITC9b6HKw35HCWF6WxvugCVEq_SuovW_ft5edmYI
Le 11 mai 2023 a été présenté par la mairie du XIe arrondissement de Paris le projet de réaménagement de la promenade Richard Lenoir, boulevard menant de la place de la Bastille à la place de Stalingrad. Etonnant projet ! À quelles fins ?
Il faut reconnaître que ce boulevard faisait partie des derniers lieux parisiens à ne pas avoir subi les assauts de la municipalité actuelle dans sa frénésie de requalification des espaces publics, même les aménagements COVID l’avaient épargné… il fallait sûrement y remédier.
Pour ceux qui ne connaissent pas Paris ou en tout cas pas ce boulevard, il s’agit d’un espace particulier puisqu’il prend place au-dessus du Canal Saint-Martin au départ de Bastille, pour finir par le faire émerger dans son espace central peu avant d’arriver à Stalingrad. Il s’agit donc d’une artère généreuse faisant en moyenne 60 m de large de façade à façade, ce qui laisse augurer d’espaces publics confortables.
Ils le sont… Ayant fait l’objet d’un aménagement au milieu des années ‘90, le boulevard a eu la chance d’avoir à cette occasion à faire avec deux futurs Grand Prix de l’Urbanisme pour se pencher sur sa conception : David Mangin et Jacqueline Osty, elle-même également double Grand Prix du Paysage. Autrement dit, peu d’espaces publics parisiens peuvent se prévaloir d’une telle débauche de talents dans leur réalisation. D’aucun pouvaient imaginer que c’est la raison pour laquelle ces aménagements n’avaient pas encore eu à subir de dommages.
Il n’en est rien… Seulement une omission !
Qu’est-il donc reproché à ces espaces verts ? Une rapide promenade sur les lieux permet de se rendre compte que la végétation se porte plutôt bien. Pour les riverains qui le pratiquent quotidiennement, il s’agit d’un axe plutôt agréable et frais grâce à l’important couvert végétal, un « îlot de fraîcheur » comme on dit maintenant, renforcé par la présence de l’eau sur sa partie amont. Les quatre squares qui le jalonnent sont autant l’occasion de percevoir des rires d’enfants, des rigolades entre boulistes, ou joueurs de Molky. Les pieds de façade sont eux occupés par des commerces assez variés, peu de touristes, plutôt une vie locale…
Pourquoi remettre en cause ces aménagements qui ne sont nullement dégradés ? Dans une mairie aussi à cheval sur son empreinte carbone, il ne saurait être question de démolir ou de faire des travaux qui ne seraient pas d’une ultime nécessité ! Comme souvent dans Paris, de constater que l’entretien de ces espaces soit particulièrement suivi mais les deux concepteurs, fins connaisseurs de la chose, avaient prévu des installations plutôt robustes et celles-ci ont plutôt bien résisté dans le temps ; à peine 30 ans pour un aménagement urbain c’est loin d’être long et, pour le végétal, juste le début de son apogée… Pourquoi donc s’en prendre à ces aménagements ?
N’y a-t-il donc plus aucun autre espace public parisien en déficit d’aménagement ? Si on commençait par s’occuper du parvis de calcaire poussiéreux devant la façade du Louvre ? Un défi un peu plus intéressant à relever, non ?
La mairie explique que le problème se situe dans le manque de place pour les piétons et que la piste cyclable est trop étroite. Il est vrai qu’au milieu des années ’90, les cyclistes parisiens et d’ailleurs parvenaient à circuler sur des pistes cyclables d’1,20 m quand aujourd’hui il faut 2 m minimum… La pratique du vélo ne semble pas lutter contre l’embonpoint !
Toujours est-il que sur le boulevard Lenoir en question, les pistes font déjà entre 1,5 m et 2,3 m pour chaque sens… Rien d’indigent. Pour autant, pour résoudre le « problème », la solution choisie est celle de la « vélorue ». Pour ceux qui ne pratiquent pas la novlangue, il s’agit d’une rue où les vélos circulent parmi les voitures. En gros, ce qui avant s’appelait vulgairement… « une rue » !
Bon du coup, il faut gagner de la place dans la largeur pour agrandir les trottoirs, qui font déjà 2,8 m de moyenne, mais pourquoi pas… Mais non puisque cela se solde par la création de contre-trottoirs entre la circulation et les squares !!! Il est vrai qu’à choisir entre traverser des squares successifs ou marcher sur un trottoir bordé de commerces ou les tribulations sur un contre-trottoir entre une grille de clôture et une circulation densifiée par le mélange des vélos avec les véhicules, chacun préfèrera prendre le contre-trottoir !
Chacun sait qu’à Paris, on n’a pas de pétrole mais on a des idées, donc un problème… une solution ! il suffit alors de supprimer les clôtures des squares ! Nos deux compères urbanistes, ils ne risquaient pas alors d’y penser. Contrairement à ce qui se fait habituellement aujourd’hui, ils n’avaient pas choisi leurs grilles dans un catalogue mais les avaient dessinées eux-mêmes ! Les grilles et tout le mobilier… sur mesure ! Dans la grande tradition Haussmannienne ! Et puis durable avec ça, en fonte, en acier, avec du granit, du marbre… Unique dans tout Paris ! Mais bon, pour la mairie, au nom de la modernité et du développement durable, bazardez-nous tout ça !
Du coup, si y a plus de grilles… y a plus de squares ! C’est le but ! La mairie veut une « Rambla » ! Pour les non-initiés, la Rambla est une grande artère de Barcelone entièrement minéralisée, bordée de bars à tapas où la jeunesse barcelonaise et par extension européenne vient faire la fête tous les soirs… Pour le plus grand bonheur des riverains.
Les commerces actuels qui bordent le boulevard Lenoir sont maintenant prévenus : ils ne sont plus les bienvenus, la mairie veut rendre ce petit havre de paix : touristique ! Ils ne leur restent donc plus qu’à faire monter les prix avant de céder leurs pas-de-porte aux futurs baristas. Les enfants eux n’auront qu’à jouer dans leur cours d’école « oasis » et les riverains se munir de boules Kies !
Oui mais, argumente la mairie, tout cela se fera avec l’ajout de 4 000m² d’espaces verts ! Forcément, qui pour s’opposer à l’ajout de verdure dans ce Paris qui surchauffe ! Sauf, qu’a bien y regarder, le projet n’est pas le fruit de paysagistes, ou de Grand prix de l’urbanisme, bref des pointures. Non, il est directement issu de la réflexion des services des espaces verts de la mairie ! Du coup le projet prévoit de grands terre-pleins en stabilisé pour circuler et des pelouses pour s’allonger sous les grands arbres préservés. En revanche, disparaît toute la couche de végétation intermédiaire, les haies, les buissons… celle qui est un havre de biodiversité, demande de l’entretien, de la taille, génère du travail pour les jardiniers de la ville. Grâce à la nouvelle doctrine qui veut qu’on l’on ne tonde plus, les services municipaux se sont assuré une super diminution de temps de travail ! Des grands arbres et de la pelouse, pardon des « prairies fleuries », l’espace vert sans entretien !
Si certains avaient encore des doutes sur l’inculture des édiles Parisiens, nous avons dans ce projet une magnifique démonstration de la schizophrénie qui les anime entre discours sur la vertu, le développement durable, l’empreinte carbone, et la frugalité, administration qui hurle à qui veut l’entendre qu’il ne faut plus démolir un seul bâtiment mais rénover et réhabiliter, et dans le même temps entend démolir des espaces publics parfaitement opérationnels conçus avec talent et des matériaux durables par des urbanistes et paysagistes de renom. Tout cela dans quel but ? Economiser sur les coûts d’entretien et de maintenance ? Economiser le salaire de quelques gardiens de square ? Transformer ce secteur en nouvel aspirateur à touristes aux dépens des riverains ? Sûrement un peu de tout cela !
Stéphane Védrenne
Architecte – Urbaniste
Retrouver toutes les Chroniques de Stéphane Védrenne