18 Avril 2021
Vers un recul historique du droit d’accès aux archives
Alors que le président de la République affirme que l'accès aux archives est un impératif démocratique, le projet de loi SILT organisera en réalité leur fermeture. Une réforme radicale du droit des archives est en préparation. Elle vise à dessaisir le Parlement au profit de l’administration pour déterminer les règles d’accès aux archives Voter ce texte en l’état serait un recul historique sans précédent.
Les archives sont un gage de la bonne santé démocratique et non de vieux papiers n’intéressant que quelques érudits et historiens. Comme le souligne l’Unesco, elles sont essentielles à « la conduite efficace, responsable et transparente des affaires [et à] la protection des droits des citoyens ». En France, l’accès aux archives publiques est un droit constitutionnellement garanti en vertu de l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ».
Or, depuis bientôt deux ans, l’application excessive d’un texte réglementaire entrave considérablement l’accès aux archives, justifiant deux recours devant le Conseil d’État. Plutôt que d’abroger cette réglementation, le président de la République a annoncé vouloir modifier la loi. Un texte sera présenté avant l’été au Parlement, dans le cadre du débat autour de la loi « Sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme » (SILT). Le ton est donné d’emblée : à l’opposé de l’ouverture des archives officiellement annoncée par le président de la République, la loi organisera en réalité leur fermeture. Une fermeture inédite et massive !
Ici comme ailleurs, le diable est dans les détails. En apparence, rien ne change : tout document mettant en cause les intérêts fondamentaux de l'État dans la conduite de la politique extérieure, la sûreté de l'État ou la sécurité publique restera incommunicable jusqu’à 50 ans après sa production, comme le prévoit la loi actuelle sur les archives. En réalité, c’est la manière de calculer ce délai que le gouvernement veut modifier. Le point de départ des 50 ans ne sera plus la date du document (critère connu et explicite), mais la « fin d’utilisation » de certains bâtiments ou « capacités opérationnelles » à la libre appréciation de l’administration.
Les effets de ce changement seront-ils proportionnés au but recherché ? Bombarder une cible depuis un aéronef, débarquer sur un littoral et larguer des parachutistes sont des « capacités opérationnelles » toujours employées par les armées. Attendre 50 ans « à compter de la fin de leur utilisation » reviendra de facto à empêcher toute étude historique sur les bombardements aériens de la Première Guerre mondiale, les débarquements de la Seconde et le saut des parachutistes français sur Diên Biên Phu ! Plus grave, l’administration définira seule et sans contrôle démocratique les délais après lesquels les documents deviendront accessibles aux citoyens. Tel plan de gare, tel journal d’unité mentionnant les armes utilisées par des militaires en 1940 ou telle conversation diplomatique sur la protection de la RFA par la dissuasion française à la fin des années 1960, pourra par exemple être soustrait des ressources consultables. Rien n’empêchera une décision fondée sur des impératifs opportunistes à courte vue.
Nous en sommes convaincus : pour sa sécurité, la France doit pouvoir conserver des informations secrètes. Mais, comme dans toutes les grandes démocraties, elle doit aussi garantir les libertés publiques, dont le droit constitutionnel d’accéder aux archives.
C’est pourquoi, contre le risque d’arbitraire, nous appelons à une définition transparente des règles d’accès aux archives : toute restriction doit être limitée dans le temps et définie par des critères clairs et sans ambiguïté.
Raphaëlle Branche , Céline Guyon, Pierre Mansat
#archives #secretdefense #codedupatrimoine
Le texte de la tribune