Une tribune de
sont historiens, coanimateurs du projet « 1000 autres ». Membres de l'Association Josette et Maurice Audin qui est partenaire de ce projet.
Tribune. En septembre 2018, le président français demanda pardon au nom de la France à Josette Audin, veuve du disparu Maurice Audin, et reconnut qu’un « système » avait permis le crime. Son « pardon » aurait donc pu s’adresser à toutes les autres Josette Audin. Le rapport de Benjamin Stora suggère aujourd’hui au président de reconnaître la séquestration, la torture et l’assassinat maquillé en suicide de l’avocat Ali Boumendjel. La veuve de ce dernier, Malika Boumendjel est morte en août 2020, sans avoir reçu de la France cette reconnaissance qu’elle aussi n’avait eu de cesse d’exiger. Mais des milliers de Josette Audin et de Malika Boumendjel sont toujours vivantes.
Durant la guerre d’indépendance algérienne, des milliers d’Algériens et d’Algériennes cherchèrent désespérément à savoir quel sort avait été réservé à un de leur proche enlevé, souvent sous leurs yeux, par l’armée française. Nos archives en gardent quelques traces. Ainsi cette lettre de Mme Remil, en décembre 1958, aux autorités coloniales :
« Si mon fils vit et est emprisonné, on n’a pas le droit de me laisser ignorer l’endroit où il se trouve. Et s’il est mort, on doit me le dire également. Si l’on reprochait quelque chose à mon fils, il aurait dû être interrogé, emprisonné, jugé et enfin condamné. Mais lui, de l’instant où il a été pris, il a disparu. »
C’est seulement bien plus tard que ce mode opératoire de la répression coloniale, systématiquement employé par l’armée française à partir de 1957 en Algérie, fut condamné par le droit international. Notamment du fait de son emploi en Amérique latine, où des militaires français l’avaient enseigné : la disparition forcée est considérée aujourd’hui par l’ONU comme un crime contre l’humanité.
Inscrire dans l’histoire
En Algérie, le malheur de ces familles de disparus se confondit à l’indépendance dans la masse énorme de celui des familles endeuillées, sans faire catégorie particulière. En France, seul le cas de Maurice Audin fit de la « disparition » une affaire.
Presque tous les disparus algériens restèrent anonymes et indénombrables. Depuis deux ans, notre site 1000autres.org a pourtant permis de sortir de cet anonymat colonial plusieurs centaines d’entre eux, grâce aux témoignages qu’il recueille en grand nombre, concernant la seule grande répression d’Alger en 1957, dite « bataille d’Alger ».
Ce que nous disent tous ces témoignages, souvent écrits au nom de familles entières, c’est d’abord que le disparu n’est pas la seule victime de la disparition forcée. Ses proches et descendants, condamnés à l’incertitude de la mort et de ses circonstances, au deuil impossible sans sépulture, le subissent encore des décennies plus tard. Leur quête se poursuit. Même si l’espoir de connaître la vérité – circonstances de la mort et emplacement du corps – s’est amenuisé, il n’a pas entièrement disparu. Et nommer les victimes, reconnaître officiellement la vérité du crime contre l’humanité, son inscription solennelle dans l’histoire, vaudrait, un tant soit peu, réparation symbolique.
Malika Rahal et Fabrice Riceputi sont historiens, coanimateurs du projet « 1 000 autres ».
www.1000autres.org
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