« La crise du Covid me donne raison »
Cela fait déjà deux ans et demi que Roland Castro a remis son rapport à Emmanuel Macron. Depuis, « rien ne bouge », déplore-t-il.
Interview
Pour l’architecte urbaniste Roland Castro, son projet de « Paris en grand » a plus que jamais raison d’être à l’heure des confinements et des couvre-feux. Et il doit passer par le suffrage universel.
Par Frédéric Choulet
À 80 ans, Roland Castro n’a rien perdu de son énergie et de sa passion. Cet architecte engagé et visionnaire — « poète urbain », comme il se définit lui-même — a été l’un des premiers à évoquer le Grand Paris dès les années 1970, multipliant ensuite les initiatives et les missions sur le sujet, sous François Mitterrand, Nicolas Sarkozy et, aujourd’hui, Emmanuel Macron, à qui il a remis en 2018 le rapport « Du Grand Paris à Paris en grand ».
Aujourd’hui pourtant, « l’intellectuel fabricant », qui prône un Grand Paris humain et social plus que jamais d’actualité avec la crise sanitaire que nous traversons, ne voit rien venir. Il monte au créneau pour réclamer un président de métropole élu au suffrage universel, seule façon selon lui de créer enfin un Grand Paris qui avance.
Vous avez remis votre rapport sur « Paris en grand » à Emmanuel Macron il y a deux ans et demi. Et maintenant ?
Rien ne bouge. On attend la décision du président de la République. Mais on n’a pas besoin d’attendre. Aujourd’hui, il faut profiter des élections régionales et départementales pour soulever la question du Grand Paris. J’ai proposé des projets pour faire Paris en grand, et comment ils pouvaient se réaliser. Je ne voulais pas évoquer le cadre institutionnel. Ce n’était pas mon rôle. Mais si on veut que les choses avancent enfin, il faut passer par là.
Concrètement, que proposez-vous ?
Il faut un président de la métropole élu au suffrage universel, une sorte de « maire du Grand Paris ». Pour fabriquer une ville monde qui sorte du Paris historique et qui ait une vraie dimension métropolitaine, avec la concrétisation de vrais projets, il faut passer par le suffrage universel. Je propose qu’on crée des attracteurs urbains loin du centre. Ce qui est vraiment important dans le Grand Paris, c’est que l’on puisse avoir d’autres images que l’île Saint-Louis, que l’on ait une vision beaucoup plus vaste. On n’y arrivera pas si on n’a pas un président élu. Au-delà, il faut reprendre l’idée de Grumbach* d’une région étendue jusqu’au Havre (NDLR : Seine-Maritime). Toutes les grandes métropoles ont un port. Regrouper l’Ile-de-France et la Normandie en une seule région, c’est aussi la solution.
En fait, n’avez-vous pas le sentiment que votre rapport a été enterré ?
Ça fait trente-huit ans que je bosse sur le Grand Paris. Depuis le début, ça ne s’est pas fait pour des raisons politiques, pour la défense d’intérêts personnels. On ne bouge rien car il n’y a que des fiefs, des gens qui ne veulent surtout pas que l’on empiète sur leurs pouvoirs. Je ne veux pas que ce rapport soit une fois de plus enterré. Je l’ai fait avant le Covid et il est encore plus d’actualité aujourd’hui. On peut même dire que cette crise du Covid me donne raison.
Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
Dans mon rapport, je parle des 3 000 villages pour rapprocher les habitants et, avec la crise sanitaire, les gens ont redécouvert l’importance de la proximité. Le Covid a aussi mis en avant l’importance de la façon d’habiter. Habiter dans des endroits laids, pas adaptés, comme certains quartiers, est encore plus dur en période de crise et de confinement. On a vu une vraie fracture. Pour créer l’égalité urbaine dans la métropole, il faut prendre des décisions fortes comme le démantèlement des quartiers. Le rapport propose aussi de déménager des ministères en banlieue pour créer de l’attractivité en dehors du Paris historique. On ne pourra pas le faire sans le suffrage universel.
Et les cafés, lieux d’échange, dont vous conseillez la multiplication ?
Les bistrots fermés, c’est terrible. On voit bien que ces lieux de sociabilité manquent cruellement, particulièrement en ce moment. La preuve : ceux qui proposent quand même du café ou du vin chaud sur le pas de leur porte réunissent des tas de gens sur le trottoir. Le contraire de ce qu’il faut faire est ce qui se passe sur le plateau de Saclay. On fait là un bout de « non-ville ». On regroupe des scientifiques sans créer de lieux de vie, sans penser aux échanges entre les gens. C’est un non-sens.
Aujourd’hui, que souhaiteriez-vous dire à Emmanuel Macron ?
Qu’il faut prendre les poètes urbains, comme moi, au sérieux. Ce n’est pas parce qu’on est un artiste ou un intello, qu’on est un abruti. Je suis un intellectuel et on en a besoin. S’il se représente à la présidentielle, il faut vraiment que cette question du Grand Paris soit écrite dans son programme. C’est indécent que ça continue comme ça. Pour les populations concernées et pour la France. D’autres ont réussi, c’est incroyable que Paris n’y arrive pas.
Vous avez frôlé la mort il y a deux ans, puis vous avez survécu au Covid en avril dernier. Est-ce que ça change votre perception des choses ?
J’ai beau avoir douze petits enfants, je me sens toujours un peu ado. J’ai le droit de faire des conneries. Mais je pense aussi savoir ce qu’il faut faire pour vivre ensemble dans le Grand Paris. Et comme j’ai rarement été aussi en forme de toute ma vie… Je viens d’écrire un livre qui sortira le mois prochain et j’ai encore plein de projets.
* L’architecte Antoine Grumbach prône un Grand Paris construit autour de la vallée de la Seine et de l’axe Paris-Rouen-Le Havre.
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Éclairage
Un bel avion toujours sans pilote
Des pistes cyclables qui s’étendent au-delà du périphérique, des friches reconquises en tiers lieux ou en fermes urbaines, des projets immobiliers qui s’inscrivent dans le cadre de concours d’urbanisme et le chantier du Grand Paris Express, bien sûr, qui reliera les gares autour de la capitale, futurs pôles de vie et d’activité… Peu à peu le Grand Paris prend corps, sur le terrain et dans les esprits. Mais à l’image d’un avion sans pilote. Car si les initiatives se multiplient, le cadre institutionnel pérenne qui permettrait d’ordonner cette belle énergie pour construire la métropole de demain reste, lui, en suspens.
Le sujet faisait pourtant partie des chantiers du nouveau président. Il fallait en finir avec ce mille-feuille institutionnel de l’Ile-de-France et créer une vraie gouvernance pour la métropole du Grand Paris. Une gouvernance allégée et efficace pour développer les atouts de cette région capitale. Depuis, rien !
La Métropole du Grand Paris (MGP), créée en 2016 sur le périmètre de la Petite couronne, est arrivée au bout de l’élargissement de ses compétences prévues par la loi. Elle se trouve aujourd’hui à un carrefour : soit ses statuts évoluent et ses compétences s’élargissent, notamment dans les domaines des mobilités auprès de la région, de la politique de la ville et de l’aménagement du territoire, comme le souhaiterait son président réélu, Patrick Ollier (LR) ; soit elle disparaît au profit d’une autre forme de gouvernance.
« Impuissance »
Les députés franciliens de la majorité LREM, auteurs d’une proposition de loi visant à engager une réforme institutionnelle du Grand Paris, déposée le 14 décembre dernier, optent pour cette seconde solution. Ils soulignent « l’impuissance générale de la MGP », incapable de faire face aux enjeux du Grand Paris. Et proposent de la remplacer par un pôle métropolitain, syndicat mixte s’appuyant sur les établissements territoriaux, la ville de Paris, le conseil régional et les conseils départementaux du 92, du 93 et du 94.
D’autres verraient plutôt la disparition des établissements territoriaux pour favoriser une métropole forte avec, pourquoi pas, comme le souhaite Roland Castro, un président élu au suffrage universel et donc légitime pour entreprendre la mise en œuvre de grandes orientations stratégiques métropolitaines.
Dans tous les cas, une chose paraît certaine : il faudra encore patienter. Rien ne devrait se faire avant la présidentielle de 2022 .F.C.
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