3 Octobre 2020
Histoire. Un recours contre le «confinement» des archives nationales
Vendredi 2 Octobre 2020, par Jérôme Skalski
Plusieurs associations et personnalités saisissent le Conseil d’État pour obtenir l’abrogation d’une mesure réglementaire entravant l’accès aux archives et la liberté de la recherche académique.
Sous la pression du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) dépendant du Premier ministre, depuis le mois de janvier dernier, l’application stricte de l’article 63 de l’Instruction générale interministérielle 1300 - IGI 1300 - dans les centres d’archives publiques a rendu hors de portée, totalement ou partiellement, des fonds d’archives essentiels pour les historiens travaillant sur la période contemporaine. Concernés par cet arrêté datant de 2011 mais resté inappliqué sur le point réglementé par son article 63 jusqu’au début de cette année donc, ces fonds estampillés « secret-défense » appartiennent notamment aux périodes de la Seconde Guerre mondiale, de la Guerre d’Indochine et de la Guerre d’Algérie. L’arrêté enjoignant de déclassifier un à un ces documents « secrets défense » directement consultables jusqu’alors à l’expiration du délai de cinquante ans à compter de leur date d’émission, a créé un délai pour instruire les demandes de documents devenu incompatible avec les conditions de la recherche historique. Sous couvert administratif, une procédure qui, de fait, entre en contradiction avec la liberté d’accès aux sources reconnue par la loi ainsi que la liberté d’investigation des historiens. « Il s’agit bien sûr d’une question qui concerne les historiens et les archivistes mais c’est une question qui concerne tous les citoyens » a expliqué Pierre Mansat, représentant de l’Association Josette et Maurice Audin, concluant la conférence de presse du collectif d’associations et de personnalités faisant recours auprès du Conseil d’Etat pour demander l’abrogation des éléments de l’arrêté incriminé dans cette situation.
Cette initiative visant à interpeller les médias et l’opinion publique organisée hier à l’initiative de l’Association des archivistes français (AAF), de l’Association des historiens contemporanéistes de l’enseignement supérieur et de la recherche (AHCESR) ainsi que de l’Association Josette et Maurice Audin, a été en outre l’occasion de préciser le sens de leur démarche. « Ce que nous contestons, c’est le caractère illégal de cette procédure administrative qui vise à apposer physiquement une marque de déclassification sur l’ensemble des documents portant tampon « secret-défense » s’agissant des archives antérieures à 1970, c’est-à-dire des archives qui, du point de vue de la loi sont communicables de plein droit » a expliqué Céline Guyon, présidente de l’AAF. « L’administration s’est mise dans une situation confortable dans la mesure où aucun délai n’est prévu pour cette procédure de déclassification qui peut être différée de manière indéfinie, le délai normal de communication d’une archive étant d’un mois » a souligné pour sa part Noé Wagener, professeur de droit public. « Le fait que le délai normal de communication des archives soit mis à bas au prodt d’un absolu non-délai nous paraît être en contradiction profonde avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui justement a constitutionnalisé le droit d’accès aux archives » a-t-il précisé.
En arrière-plan de toute cette affaire, le soupçon d’une volonté de l’Etat, malgré les déclarations officielles de ses représentants dont celles du Président de la République, de couvrir d’une chape de plomb une période de l’histoire contemporaine dont la connaissance ne saurait être légitimement entravée ou rendue inaccessible aux citoyens et aux chercheurs dans un état de droit démocratique.