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Pierre Mansat et les Alternatives

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Dans Le Monde, Vanessa Codaccioni Les violences policières sont le fruit d’une volonté politique

Vanessa Codaccioni Les violences policières sont le fruit d’une volonté politique

L’ « affaire Steve » s’inscrit dans une longue histoire jamais remise en cause, celle du maintien de l’ordre à la française, détaille l’universitaire, spécialiste des questions de police

Les violences policières de ces derniers mois en France, dénoncées de toute part, ont été et sont toujours niées par ceux qui détiennent le pouvoir. Elles sont aussi toujours légitimées et justifiées par l’institution policière elle-même, à commencer par l’inspection générale de la police nationale (IGPN), qui ne sanctionne que très rarement – pour ne pas dire jamais – les auteurs de violences, mortelles ou non mortelles. A défaut d’invoquer à chaque fois la légitime défense, qui est le principal fondement à l’usage des armes par la police, ses rapports et conclusions soulignent, pour la plupart, la nécessité de l’emploi de la force et son caractère proportionné, quand elles n’imputent pas la responsabilité des blessures et des décès aux victimes elles-mêmes.

Dans le cadre du maintien de l’ordre, et c’est ce que montre de manière exemplaire le rapport relatif à la mort de Steve Maia Caniço, mort noyé à la suite d’une intervention policière dans la nuit du 21 juin au 22 juin, à Nantes, non seulement les agents sont toujours censés avoir « bien agi », avec discernement et professionnalisme, mais les violences sont constamment justifiées par les troubles à l’ordre public. Les déclarations de celles et ceux qui gouvernent, alliées à l’impunité dont bénéficient les policiers, tendent ainsi à étouffer les possibles scandales liés à ce que l’on peut appeler des « bavures », et à faire comme si elles n’avaient pas existé.

Pour autant, personne ne peut raisonnablement ignorer les violences qui se déroulent depuis octobre 2018 dans le cadre du mouvement des « gilets jaunes » : la mort de Zineb Redouane, atteinte au visage par un tir de grenade lacrymogène le 1er décembre à Marseille, et dont l’auteur n’a toujours pas été identifié ; des milliers de blessés, des centaines de mutilés, sans compter toutes les personnes contrôlées, nassées, gardées à vue et arrêtées.

Ces violences ne sont pas des actes isolés, encore moins le fait d’une addition d’initiatives individuelles, qui ont pu exister par ailleurs. Elles font système et sont une réponse à des ordres, soit de la hiérarchie policière, soit des préfets. Et, sans rejouer indéfiniment l’opposition Papon/Grimaud, c’est-à-dire entre un préfet très répressif responsable du massacre du 17 octobre 1961 et des morts du métro Charonne et un autre qui a sans doute évité le pire pendant Mai 68, il n’en reste pas moins que la trajectoire des préfets, leur histoire, leur « style » de maintien de l’ordre et la conception qu’ils en ont sont déterminants dans le traitement policier des manifestations de rue.

Police militarisée

Or les préfets dépendent hiérarchiquement du pouvoir exécutif, qui peut les sanctionner en cas de « faiblesse », rarement pour la raison inverse. Le préfet Delpuech a ainsi été limogé de la préfecture de police à la suite à l’acte XVIII du mouvement des « gilets jaunes » et des dégradations sur les Champs-Elysées. Mais c’est dire également que le degré de brutalité policière, et donc le nombre de blessés et de morts, dépend des politiques de répression pensées et voulues par les membres du gouvernement. Et, dans le cas des « gilets jaunes », les intentions gouvernementales étaient claires : en finir avec cette « foule haineuse » (Emmanuel Macron), avec ces « factieux » et leurs « complices » (Edouard Philippe), et plus généralement avec toutes ces manifestations qui font le jeu des black blocs et des « casseurs »(Christophe Castaner).

La compréhension des violences policières nécessite de les réinscrire dans deux stratégies de répression qui tendent aujourd’hui à s’indifférencier : l’antiterrorisme d’un côté et la gestion des mouvements sociaux l’autre. En réalité, la police n’a fait, ces derniers mois, que donner à voir la stratégie française de maintien de l’ordre, caractérisée notamment par la multiplication des corps-à-corps et des charges et par l’usage d’armes dites « de force intermédiaire », dont les grenades de désencerclement et les LBD, par ailleurs reconnus par la réglementation internationale comme « armes de guerre ».

Produit d’une longue histoire, c’est bien ce maintien de l’ordre qui explique la brutalité à l’œuvre depuis au moins octobre 2018, tandis qu’il se renforce dans le contexte de la multiplication des attentats. En l’occurrence, dès le renouveau de la lutte antiterroriste au milieu des années 1980, la police y tient un rôle central : celui de neutraliser préventivement des individus avant qu’ils ne passent à l’acte, celui d’arrêter tous les suspects pris dans les affaires d’association de malfaiteurs, celui encore de trouver contre eux des éléments à charge dans le cadre d’une justice d’exception. Si ces prérogatives existent toujours, le rôle de la police s’est modifié au gré de la lutte contre le terrorisme dit « islamiste ».

En raison de la potentialité meurtrière des attentats et de l’apparition d’une problématique sécuritaire inédite, la police s’est militarisée. C’est ce qu’attestent l’extension de la légitime défense policière, en février 2017, et l’alignement des conditions de tirs policiers sur celles de la gendarmerie – ce qui n’était arrivé en France que sous Vichy et pendant la guerre d’Algérie. On observe ainsi une progressive indistinction entre tâches policières et tâches militaires et un durcissement du maintien de l’ordre.

A ce titre, la brutalité de la police dans le cadre des récentes manifestations est aussi l’un des effets du renouveau des mouvements sociaux au début des années 2000, avec l’apparition des black blocs. On assiste dès lors depuis à une radicalisation de la répression politique et des deux processus qui la caractérisent : la mobilisation de l’ensemble de l’appareil répressif (police, justice, services de renseignement, administration, armée) et l’application de la logique préventive antiterroriste à la gestion du militantisme. Empêcher de revendiquer est devenu le socle de cette politique répressive. Ainsi, la violence du maintien de l’ordre découle directement de la volonté des gouvernants d’annihiler toute contestation de l’ordre politique, économique ou social.

Vanessa Codaccioni est maîtresse de conférences en science politique à l’université Paris-VIII. Elle a notamment écrit « Répression. L’Etat face aux contestations politiques » (Textuel, 96 pages, 12,90 euros), et « Légitime défense. Homicides sécuritaires, crimes racistes et violences policières » (CNRS Éditions, 2018)

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