Ce département défavorisé de la banlieue parisienne est sous-doté, notamment en nombre de professeurs, de magistrats et de policiers
Quatre maires de Seine-Saint-Denis attaquent l’Etat en justice pour « rupture d’égalité républicaine ». Azzédine Taïbi, maire communiste (PCF) de Stains, Sylvine Thomassin, maire (PS) de Bondy, Mohamed Gnabaly, maire sans étiquette de L’Ile-Saint-Denis, et Laurent Russier, maire (PCF) de Saint-Denis, veulent engager la responsabilité de l’Etat devant le tribunal administratif de Montreuil afin de le mettre « face à ses manquements dans les domaines de l’éducation, de la sécurité et de la justice », explique leur avocat, Arié Alimi.
Depuis la publication, il y a six mois, du rapport parlementaire dénonçant la faillite d’un Etat « inégalitaire et inadapté » dans le département, les initiatives visant à faire réagir l’exécutif se multiplient. Piloté par le député (LR) de Haute-Marne François Cornut-Gentille et par son collègue (LRM) de Seine-et-Marne Rodrigue Kokouendo, ce rapport a permis de tordre le cou aux idées reçues selon lesquelles l’argent public coule à flots dans les quartiers populaires, tout en démontrant que la Seine-Saint-Denis était sous-dotée par rapport à d’autres territoires : moins de professeurs, moins de policiers, moins de magistrats (qui sont moins expérimentés) qu’ailleurs.
« Des sous-effectifs injustifiables à mission égale », ont écrit les rapporteurs, qui ont également pointé du doigt le défaut d’informations concernant la population réelle du département. « Il est impossible d’apporter une réponse adaptée sans une connaissance fine du territoire et de ses habitants », martèle François Cornut-Gentille.
« Cela fait des années que l’on essaie d’alerter l’Etat, sans succès, rappelle le président (PS) du conseil départemental, Stéphane Troussel. Désormais, même un député de la majorité et un député de droite le disent ! »
Mais aussi la procureure du tribunal de grande instance de Bobigny, Fabienne Klein-Donati, qui a lancé un cri d’alarme en janvier sur la capacité de la justice à honorer sa mission, faute de moyens, et les quinze juges pour enfants du même tribunal, qui ont publié dans Le Monde, le 5 novembre, une tribune dans laquelle ils s’inquiétaient de « la forte dégradation des dispositifs de protection de l’enfance en Seine-Saint-Denis ».
« De plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer ces inégalités : nous appelons tous les maires du département à nous rejoindre », lance Sylvine Thomassin, à Bondy, tout en soulignant que le commissariat de sa ville et des Pavillons-sous-Bois a « perdu » trente policiers depuis 2013. « Quant à la ville de Saint-Denis, elle dispose de 240 policiers pour 100 000 habitants, alors que le 19e arrondissement de Paris en compte 500 pour autant de résidents », ajoute-t-elle.
Depuis septembre, un groupe de sept experts, en finances publiques notamment, constitué par les quatre maires, s’emploie à « récolter un maximum d’informations permettant de montrer comment ces inégalités de traitement se traduisent sur le terrain », explique Azzédine Taïbi, à l’origine de la démarche.
Budget fictif
Début octobre, de nombreux élus locaux avaient répondu à l’appel – transpartisan – des dix-huit députés et sénateurs du département à se réunir pour réclamer « l’égalité républicaine ». Au même moment, l’Union des élus socialistes et républicains (UDESR) de Seine-Saint-Denis annonçait son intention d’attaquer l’Etat pour « rupture d’égalité devant le service public ».
Une semaine plus tôt, les parlementaires du département avaient été reçus par le premier ministre, Edouard Philippe, à Matignon. Au cours d’un déjeuner, le chef du gouvernement avait reconnu les discriminations – « C’est la première fois que l’exécutif sort du déni et reconnaît le problème », se félicite François Cornut-Gentille – mais sans prendre d’engagements concrets.
Fin novembre, le département a envoyé au président de la République, Emmanuel Macron, plusieurs titres de recettes, des factures, pour un montant total de 347 millions d’euros. « Cela correspond à ce que l’Etat devrait nous verser – notamment aux services de l’aide sociale à l’enfance – mais que nous payons à sa place », précise Stéphane Troussel, qui va lancer, lundi 17 décembre, une campagne sur les réseaux sociaux baptisée « La Seine-Saint-Denis mérite l’égalité ». Trois jours plus tard, lors de la séance départementale, il proposait au vote un budget fictif incluant ces 347 millions d’euros. L’objectif ? Montrer comment l’argent « que doit l’Etat au département » aurait pu être redistribué.
La démarche des maires – « en cohérence avec celle des “gilets jaunes” », souligne Azzédine Taïbi – vise aussi à dénoncer les causes de ces inégalités territoriales : « L’absence de mécanisme d’évaluation, aussi bien de la population et donc de ses besoins réels, que de l’efficacité des politiques publiques », conclut Me Alimi. Un sujet sur lequel le député François Cornut-Gentille entend revenir début février 2019 devant l’Assemblée nationale.