Tribune. La catastrophe de l’effondrement de trois immeubles dans le quartier Noailles de Marseille est un drame humain terrible pour toute la ville, qui manifeste dignement sa solidarité avec les familles de victimes, les habitants ayant dû évacuer leur domicile, les secouristes… La colère dans le quartier succède peu à peu à l’effroi et à la sidération face à l’abandon des pouvoirs publics dans les quartiers populaires du cœur de la cité phocéenne.
Les victimes, les habitants du quartier Noailles et de Marseille attendent maintenant deux choses : la justice et la réparation tout d’abord. C’est-à-dire que les responsables de cette tragédie soient identifiés et poursuivis. Et, qu’enfin, des mesures soient prises pour lutter contre le mal-logement dans le quartier Noailles et, plus globalement, dans plusieurs lieux du centre de Marseille, où l’habitat indigne et insalubre foisonne : Noailles, Belsunce, Belle-de-Mai, Saint-Mauront, Chapitre et Panier.»
Le diagnostic existe sur l’état de la situation dans ces quartiers. L’expertise citoyenne et associative foisonne avec des acteurs présents sur le terrain depuis des années, voire, pour certains, des décennies : Un centre-ville pour tous, la Fondation Abbé Pierre, le collectif Noailles, les travailleurs sociaux, les urbanistes… Le rapport Nicol a bien décrit la singularité de la situation marseillaise et l’urgence d’un plan de résorption de l’habitat insalubre à Marseille, où plus de 40 000 logements seraient concernés (soit 100 000 habitants et 13 % du parc privé).
L’incurie tue !
Le maire et ses adjoints ne peuvent se défausser, comme ils l’ont fait jusqu’alors. Leur responsabilité est patente en tant qu’organisateur, comme le dit la loi, de la stricte surveillance des logements. En matière de logement, de santé publique et de sécurité des habitants, il y a une obligation de résultat du maire. L’incurie tue ! Le quartier Noailles est abandonné des pouvoirs publics depuis tellement d’années. Le maire a l’impudence de se vanter d’avoir mis 35 millions d’euros depuis 2005 dans la politique de lutte contre l’habitat indigne et insalubre. C’est dérisoire comparé aux politiques volontaristes élaborées, par exemple, à Paris dès 2001 par Bertrand Delanoë avec la SIEMP.
« Cette absence de volonté politique, ce déni d’un laisser-faire face aux dégâts sociaux et sanitaires du mal-logement est coupable »
Cette politique de pourrissement et d’abandon des quartiers populaires de la ville tourne aujourd’hui au drame. Seulement 1 800 logements auraient été effectivement réhabilités, selon la chambre régionale des comptes, dans le périmètre de restauration immobilière depuis quinze ans. C’est absolument insuffisant. Cette absence de volonté politique, ce déni d’un laisser-faire face aux dégâts sociaux et sanitaires du mal-logement est coupable.
Les solutions existent pourtant, avec : une meilleure prévention et un meilleur traitement de la dégradation de l’habitat, une meilleure lutte contre les marchands de sommeil et une meilleure gouvernance, une plus grande coordination entre les divers acteurs publics et privés ; l’utilisation d’outils et d’armes législatives comme le permis de louer, qui oblige les propriétaires à effectuer des travaux de mise aux normes ; les aides conditionnées aux propriétaires sans moyens pour réaliser des travaux ; la réquisition des logements vacants pour reloger les familles dans le centre (il y en aurait 36 000 à Marseille, selon la Fondation Abbé Pierre), autorisée par l’ordonnance de 1945 et la loi de 1998 et que le préfet néglige dans notre département qui souffre pourtant d’une crise flagrante du logement.
Chasse aux « pauvres »
Ce drame nécessite donc un sursaut des pouvoirs publics mais aussi une participation citoyenne de tous les acteurs qui, depuis des années, alertent sur la situation. Il y a urgence à mettre en œuvre au plus vite dans le centre-ville de Marseille une opération d’intérêt national (OIN) mobilisant, dans le cadre d’un plan Etat-région-métropole-ville, des moyens importants pour éradiquer le mal-logement dans notre cité. C’est une piste. Il peut y en avoir d’autres.
Toujours est-il que ce plan ne peut être confié seul au maire et aux autorités publiques qui ont failli et qui trouveront l’aubaine, à la suite de ce drame, pour poursuivre leur politique de gentrification et de chasse des « pauvres » du centre-ville. Exigeons ensemble une conférence citoyenne pour la résorption du mal-logement dans notre ville !
Nous demandons au ministre du logement et au préfet des Bouches-du-Rhône l’organisation d’une conférence citoyenne pour répondre à l’urgence du mal-logement et à la défiance des habitants des quartiers populaires. Celle-ci doit être organisée sous l’égide de la Commission nationale du débat public (CNDP) – autorité indépendante –, qui tirera au sort un jury citoyen d’habitants de la cité qui seront formés par l’ensemble des acteurs locaux (publics, associatifs et citoyens) à l’état de la situation et organiseront les auditions et le débat public au cours du premier trimestre 2019.
De cette coélaboration démocratique, par cet outil innovant, naîtra un plan de lutte pour la résorption de l’habitat indigne et insalubre, qui devra être financé dans le cadre d’un contrat pluriannuel exceptionnel associant l’Etat, la ville, la région et l’Union européenne, par les fonds structurels. Puisse ce vœu être partagé par les acteurs de terrain et tous ceux qui souhaitent en finir avec ce scandale et ne plus jamais avoir à vivre, à Marseille comme ailleurs, le drame que nous venons de subir.
Signataires : Ariane Ascaride (comédienne), José Bové (député européen), Marie-Arlette Carlotti (présidente du haut comité pour le logement des personnes défavorisées, ancienne ministre aux personnes handicapées et à lutte contre l’exclusion), Jean-Pierre Darroussin (comédien), Jacques Gaillot (évêque, militant du droit au logement), Vincent Geisser (chercheur au CNRS, président du CIEMI), Robert Guédiguian (réalisateur), Pascal Hennequin (réalisateur et photographe), Noël Mamère (ex-député et maire de Bègles), Laurent Mucchielli (sociologue, Maison méditerranéenne des sciences de l’homme), Rudy Ricciotti (architecte), Michèle Rivasi (députée européenne, fondatrice de la CRIIRAD), associative), Yanis Varoufakis (économiste, ex-ministre grec, responsable de Diem25)...