28 Janvier 2015
Publié le 27/01/2015 • Par Jean-Baptiste Forray •
Le politologue Patrick le Lidec regrette que le compromis sénatorial sur la métropole du Grand Paris maintienne un « dumping fiscal » jusqu’en 2021 au moins. Il en profite pour pointer la responsabilité des élus dans les phénomènes de ségrégation urbaine.
Je ne sais pas s’il faut parler de verre à moitié vide ou à moitié plein… On ne pourra le dire qu’en 2020 ou en 2025, en mesurant effectivement le chemin parcouru. L’article 12 de la loi MAPTAM du 27 janvier 2014 prévoyait de faire franchir un bond à l’intégration de la petite couronne pour mieux y réguler l’action publique.
Elles ont refroidi certains enthousiasmes. La campagne parisienne n’a pas permis de poser les enjeux correctement puisqu’on a fait croire, de part et d’autre, aux Parisiens qu’on pouvait à la fois stabiliser les taux d’imposition, financer de nouveaux investissements, tout en faisant face à l’accroissement de la péréquation et à la baisse des dotations. On n’a pas parlé de la métropole. Puis on s’est réveillé avec la métropole et on a « découvert » qu’elle allait coûter de l’argent à Paris et aux Hauts-de-Seine.
Le compromis en cours de négociation résulte de cette « découverte ». Il s’efforce de donner du temps au temps et de pérenniser un peu plus longtemps le statu quo puisque le processus d’harmonisation de la cotisation foncière des entreprises ne devrait débuter qu’en 2021, dans le meilleur des cas. D’ici là, le dumping fiscal lié à des variations de taux de 1 à 5 devrait se poursuivre.
Ils génèrent une forte polarisation des territoires nuisible au développement d’ensemble de la métropole, et, par là-même, au pays tout entier. Certains territoires n’ont quasiment pas de bases fiscales, des taux élevés qui font fuir les entreprises, et des populations misérables qui génèrent des charges. D’autres sont dans une situation inverse.
Ces déséquilibres sont un problème en soi. Ils interdisent aussi de résoudre une crise du logement qui est particulièrement sévère en Ile-de-France.
Les collectivités qui bénéficient des bases fiscales ne possèdent pas les réserves foncières qui permettraient de répondre à la crise du logement. A contrario, celles qui disposent des réserves foncières, en Seine-Saint-Denis en particulier, n’ont pas les ressources pour équilibrer le coût de leurs opérations d’aménagement.
Les rentes dont bénéficient Paris et les Hauts-de-Seine sont excessives et produisent toute une série d’effets pervers. Elles conduisent à une déconnexion toujours plus grande entre les lieux de localisation des entreprises et des ménages.
Au-delà des problèmes de ségrégation, elles génèrent notamment des déplacements inutiles, des embouteillages et aboutissent à une demande toujours plus forte en transports publics qu’il n’est plus possible de financer.
Il faut donc introduire des mécanismes de régulation et de péréquation pour inciter entreprises et ménages à se localiser au même endroit. La métropole doit s’occuper de logement et de transport. Elle doit disposer des ressources fiscales pour ce faire…
La vie deviendra de plus en plus difficile pour les habitants. L’Ile-de-France perdra un peu plus en attractivité. Ménages et entreprises iront se localiser ailleurs, à l’étranger ou dans d’autres métropoles françaises. C’est déjà ce qu’ils font. Les signes d’essoufflement de l’Ile-de-France sont déjà nombreux.
Les habitants du Grand Paris passent déjà, en moyenne, près d’une heure de plus dans les transports que les habitants des autres métropoles. C’est un temps perdu, dans des situations souvent très inconfortables, qu’ils ne peuvent pas consacrer à leurs enfants ou à leurs loisirs, et qui vient s’ajouter à un temps de travail déjà nettement supérieur à la moyenne.
Les habitants du Grand Paris paient au prix fort leur surproductivité. Avec ces éléments en tête, on comprend la stagnation francilienne et le dynamisme des autres métropoles.
L’émiettement des pouvoirs locaux favorise le développement des inégalités et la ségrégation. Il ne faut pas se dissimuler son origine politique : il s’agissait, en 1964, pour le gouvernement gaulliste, d’éviter que le département de la Seine ne tombe dans l’escarcelle du parti communiste.
Elle a favorisé la polarisation économique et sociale, la concentration des logements sociaux, particulièrement visible, sur certains territoires. Bien qu’elle soit une source de ségrégation, combattue dans les discours, cette polarisation a été acceptée et même encouragée par les élus de droite et de gauche, qui y ont trouvé leur compte.
La concentration de la richesse d’un côté, celle de la pauvreté de l’autre, se traduit par une homogénéisation de la composition sociale des circonscriptions électorales. Tout cela engendre de la stabilité politique et, donc, de la stabilité de carrière.
A long terme, c’est dramatique socialement et économiquement improductif, mais ce n’est pas forcément inconfortable pour les élus, du moins jusqu’à un certain point.
Elle pouvait être interprétée de cette manière dans la version qui avait été initialement inscrite dans la loi du 27 janvier 2014. Il est d’ailleurs intéressant de constater que le texte originel de la loi « MAPTAM » avait largement été porté par de jeunes députés (n’occupant pas de fonction exécutive locale) issus des territoires victimes de ces processus ségrégatifs…
Oui, ou du moins, il diffère le traitement du problème de la ségrégation à l’après-2021. D’ici là, les inégalités vont continuer à prospérer. Au-delà, c’est difficile de se prononcer car il n’échappe à personne qu’il y aura des élections nationales d’ici là. C’est toute l’ambiguïté du compromis en cours de négociation, qui peut masquer une volonté de certains de perpétuer le statu quo.
Un compromis intelligent a été bâti par le gouvernement entre la région et la métropole. Il y avait initialement un risque de compétition entre la région et la métropole qui devait s’étendre sur l’ensemble de l’aire urbaine : le risque était lié à des périmètres trop voisins. C’est la raison pour laquelle la vice-présidente de d’Ile-de-France, Marie-Pierre de la Gontrie, a tenté de résoudre le problème de compétition entre la région et la métropole en suggérant d’étendre son territoire à une partie de la Normandie, de la Picardie et du Centre. Cette solution aurait eu le mérite de prendre en considération le territoire réel de rayonnement du Grand Paris.
Parce qu’elle aurait créé une région francilienne très puissante, comprenant la moitié du PIB du pays, ce qui effraie toujours un peu le pouvoir central. Cela aurait pu instituer une sorte de cohabitation permanente… C’est pourquoi une autre orientation a été choisie avec un compromis en quatre points.
D’abord, le périmètre de la métropole a été réduit, pour ne pas remettre en cause l’existence ou la légitimité de la région. Deuxièmement, la mise en place d’intercommunalités puissantes en grande couronne permet de faire contrepoids à la métropole. Ensuite, la région a obtenu que la future métropole prenne en compte les orientations du schéma régional de l’habitat et de l’hébergement. Enfin, à la même période, en 2013, elle a obtenu quelques milliards d’euros pour boucler le plan de mobilisation des transports d’Ile-de-France et assurer la modernisation du réseau.
Elle est la dernière venue dans un paysage institutionnel déjà très encombré. En France, ce sont l’Etat et la commune, longtemps rouage étatique, qui captent la légitimité et les ressources.
La région est desservie par son mode de scrutin. Non pas que le scrutin de liste soit un problème en soi, comme le montre son utilisation quasiment généralisée dans les pays européens. Ce qui fait problème c’est la coexistence de deux modes de scrutin, scrutin de liste d’un côté, scrutin uni ou binominal de l’autre.
S’ils ont le choix, les professionnels de la politique privilégieront toujours le scrutin uni- ou binominal par rapport au scrutin de liste. De même, ils privilégieront toujours les petites circonscriptions aux plus grandes, pour des raisons de stabilité de carrière.
La seule façon d’aider les régions serait d’harmoniser les modes de scrutin. L’accroissement de la taille des régions va d’ailleurs les desservir dans la mesure où elle va renforcer la nationalisation des élections régionales et l’incertitude des carrières régionales.
On aurait pu imaginer un maire du Grand Paris élu au suffrage universel direct et doté, comme au Grand Londres, d’un staff réduit, intervenant fortement et uniquement sur le transport, le logement et la redistribution. Il n’est pas sûr que le droit de l’intercommunalité soit adapté à des territoires qui comptent un très grand nombre de communes. Cela aboutit à des assemblées délibérantes aux effectifs pléthoriques, à des coûts de structures et à des coûts de coordination extraordinairement élevés. Le conseil de la métropole du Grand Paris comptera 348 membres. Est-ce bien raisonnable ?
L’idée de mettre en place un échelon intermédiaire située entre les communes et une métropole de plus de 6 millions d’habitants, sur une maille de 300 000 habitants pour servir d’échelon déconcentré de la métropole, est une bonne idée. L’absence de véritables centralités en dehors de Paris, la taille moyenne élevée des communes, le poids des disparités de richesse fiscale et la présence de grands syndicats techniques anciens n’ont pas favorisé l’essor de l’intercommunalité dans la petite couronne. Les intercommunalités y sont, à de très rares exceptions près, des structures récentes et défensives, construites sur des logiques d’endogamie politique et fiscale.
Le choix de placer cette maille minimum est un moyen de combattre ces tendances à l’endogamie car il est en effet difficile de construire des territoires de 300 000 habitants homogènes socialement et fiscalement, Paris mis à part. Mais il ne faudrait pas que ces territoires deviennent une solution de repli pour vider la métropole de tout contenu et échapper à la solidarité. On sent aujourd’hui cette tentation chez nombre d’élus des territoires les plus riches, qui ont souhaité « durcir » les territoires, et les doter de la personnalité morale et de prérogatives fiscales. C’est pourquoi ils ont été transformés en établissements publics territoriaux.
Je ne le crois pas. La solution préconisée par le sénateur Philippe Dallier devrait s’imposer et l’erreur historique qui a consisté à dépecer le département de la Seine devrait être réparée. Les différences de recettes fiscales et de taux d’allocataires des minimas sociaux génèrent des inégalités majeures dans l’exercice des compétences sociales des conseils généraux de petite couronne.
Bien sûr. La théorie du fédéralisme fiscal enseigne que les fonctions de « wellfare » ont vocation à être attribuées à l’échelon de l’Etat. Sinon la compétition entre des unités territoriales de faible taille se traduit par un phénomène de dumping et d’érosion des bases fiscales, et menace de disparition l’exercice de ces compétences.
Mais en France, en général, et au Sénat en particulier, on ne s’embarrasse pas trop de théorie, on préfère ignorer comment sont attribuées les compétences entre échelons à l’étranger, au risque de mener des combats d’arrière-garde.
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Un très bref commentaire: cette reflexion est très stimulante. Mais je ne suis pas convaincu par le raisonnement sur les inegalités liées au taux de CFE. En effet je ne crois pas qu'il soit determinant pour le choix d'implantation des entreprises, sinon on ne comprendrait pas pourquoi elles s'installent massivement par exemple dans la Plaine St Denis , là ou les taux sont les plus élevés.