15 Juillet 2013
Face à l'amendement gouvernemental instaurant une Métropole du Grand Paris et supprimant les EPCI de la petite couronne, les élus de Plaine Commune se sont réunis mercredi 10 juillet pour un conseil communautaire exceptionnel, ouvert aux agents territoriaux. Au-delà des clivages partisans et des égoïsmes territoriaux, le débat reste vif.
A conseil communautaire exceptionnel, délibéré exceptionnel. Réunis dans l’urgence – sans ordre du jour ni pouvoir d’amendement – au sein de l’auditorium du Stade de France mercredi 10 juillet, les élus de Plaine Commune (9 villes, 403 000 habitants, Seine-Saint-Denis) ont vu le vœu (1) qui devait initialement leur y être soumis, être reporté à septembre prochain.
Inquiétudes au sein de la FPT - Résultat: ce conseil communautaire improvisé avait surtout valeur de campagne d’information vis-à-vis des fonctionnaires territoriaux. Présents en masse dans la salle, ils ne cachaient pas leurs inquiétudes sur le flou encadrant la future Métropole du Grand Paris telle que définie par le projet de loi sur les métropoles, examiné à compter du 16 juillet en séance publique à l’Assemblée nationale.
Suite à la première version du texte – tirée pour partie des travaux de Paris Métropole – retoquée au Sénat, le gouvernement a en effet modifié en profondeur ses propositions. Au lieu de s’appuyer sur les intercommunalités comme il était initialement prévu, la ministre en charge de la Décentralisation Marylise Lebranchu prévoit désormais de les supprimer au profit d’une métropole reposant sur des « conseils de territoire (2) et les 124 communes de la petite couronne. »
Elus locaux sous pression - Que prévoit le gouvernement en matière de transfert de personnel : deviendront-ils la “valeur d’ajustement du Grand Paris face à la recentralisation des compétences” comme certains le laissent entendre ? La délégation des compétences (et leurs budgets) de la Métropole de Paris vers les conseils de territoire se fera-t-elle de manière uniforme ou bien à la carte en fonction des dynamiques de chacun ? Les communes ont-elles l’ingénierie suffisante et les moyens de récupérer d’anciennes compétences telles que le tourisme ou la voirie ?
Autant de questions auxquelles les agents publics n’ont pas reçu les réponses qu’ils étaient venus chercher.
Mis sous pression par le gouvernement, les élus semblaient trop occupés à débattre de la gouvernance du futur Grand Paris. Principale source de conflit : la disparition programmée des intercommunalités de petite couronne, sur fond de prédation de Paris, d’urgence sociale, d’achèvement de la carte intercommunale, ou encore de dilution des pouvoirs communaux, selon les représentations des différents acteurs.
Les relations entre Paris et sa proche banlieue sont historiquement mauvaises. Un semblant de progrès avait toutefois été enregistré avec l’arrivée de Bertrand Delanoë à la tête de la capitale en 2001, puis la création du syndicat mixte Paris Métropole.
Disposant d’environ un quart des voix dans la future instance prévue par le gouvernement, le risque d’hégémonie de la ville de Paris refait surface aujourd’hui et rappelle de vieux souvenirs de domination. Au point, par exemple, que soit abruptement mis fin aux réunions de coopération entre les administrations de la ville de Paris et Plaine Commune, lundi 8 juillet.
Mairies d’arrondissements - Les élus de banlieues craignent d’être, de nouveau, soumis aux désidérata de la ville-centre, « que les conseils de territoire se transforment en mairies d’arrondissement de Paris et les communes en conseils de quartiers d’une mégalopole aspirée dans la rivalité métropolitaine mondiale», dénonce le maire (EE-LV) de l’Ile-Saint-Denis, Michel Bourgain.
Même son de cloche chez Gilles Poux (PCF) : «La Courneuve a déjà connu la domination de Paris, lorsque la capitale a stocké chez nous une population dont elle ne voulait plus en construisant 4 000 logements tristement célèbres. Après avoir repris la main sur notre territoire en 1984 et alors que l’on commence tout juste à relever la tête grâce à Plaine Commune, le gouvernement souhaiterait faire passer ce travail à la trappe. Bien sûr que la carte intercommunale en Ile-de-France est perfectible, mais de là à tout casser… »
Au contraire, fait valoir leur collègue de Pierrefitte-sur-Seine, Michel Fourcade (PS), la métropolisation sera l’occasion de « revenir sur les erreurs de la départementalisation, qui n’avait distribué que quelques miettes de la richesse régionale aux territoires du nord et de l’est de l’agglomération. Je ne laisserai pas se développer la spécialisation », jure-t-il.
« Il faut nous garder de toute crainte, la Métropole du Grand Paris peut être une chance même si l’innovation peut parfois inquiéter », continue le maire socialiste de Pierrefitte-sur-Seine. « Ce changement d’échelle permettra de poursuivre des objectifs que nous appelons régulièrement de nos vœux depuis plusieurs mois voire années, comme la mise en œuvre de la péréquation » rappelle Michel Fourcade.
Stéphane Troussel, président (PS) du conseil général de Seine-Saint-Denis, invoque pour sa part l’urgence de rétablir l’égalité entre l’ensemble des citoyens de la métropole : « confier une compétence logement à une instance décisionnaire et non plus à un salon de discussion [Paris Métropole] est plus que nécessaire. La recherche du consensus permanent ne peut être une solution. Je sais bien que comme disait Karl Marx « l’existence détermine la conscience » de certains, mais ceux qui ont bloqué le processus intercommunal par le passé avant d’en découvrir les vertus ne peuvent bloquer le processus métropolitain aujourd’hui ».
Gentrification inévitable - « Pensez-vous que la fracture des prix de l’immobilier, allant du simple au double d’un côté ou de l’autre du périphérique parisien, se résorbera du fait de la métropolisation en portant à la baisse les tarifs de la capitale ou en augmentant les nôtres ? Je ne suis pas devin, mais je parie que cela contribuera surtout à chasser une population déjà précaire », le questionne Patrick Braouezec (FG).
Il n’est pas le seul à prédire que les citoyens les plus paupérisés en seront les premières victimes. « L’idée sous-jacente de Paris est de placer en petite couronne les classes moyennes qu’elle ne parvient plus à accueillir chez elle, et chasser notre population défavorisée en grande couronne » détaille Gilles Poux.
Le président du groupe Front de Gauche de Plaine Commune, Pierre Quay-Thévenon, rappelle, pour sa part, que le gouvernement a encore la possibilité d’achever la carte intercommunale ou d’instaurer un nouveau principe de péréquation par le biais de nouveaux amendements au projet de loi.
« Le mouvement de coopération intercommunale se développait et nous arrivions à son terme : il ne manquait plus que la volonté politique et l’accompagnement de l’Etat – présent dans la première mouture gouvernementale – pour parvenir à un maillage total de l’intercommunalité en France… », lâche, circonspect, Jacques Salvator, le maire (PS) d’Aubervilliers.
Patrice Konieczny, adjoint au maire d’Epinay-sur-Seine (UDI), pointe davantage la responsabilité du gouvernement : « les intercommunalités franciliennes ont une part de responsabilité énorme, en n’étant pas parvenues à temps à boucler une carte rationnelle. Reste que je ne m’explique pas la logique de la ministre Lebranchu de donner la prime aux communes ayant traîné des pieds (3) plutôt qu’aux intercommunalités dynamiques comme Plaine Commune. »
Plaine Commune: un prisme déformant - « Bien sûr, Plaine Commune est exemplaire. Mais il faut éviter de regarder la réalité intercommunale de l’Ile-de-France par le prisme de Plaine Commune ! Qui peut se satisfaire aujourd’hui de la solitude dans laquelle est enfermée Clichy-sous-Bois ou Montfermeil ? Le débat est avant toute chose politique. Acceptons les majorités politiques pour bousculer les habitudes », leur répond le socialiste Stéphane Troussel, successeur de Claude Bartolone à la tête du conseil général de Seine-Saint-Denis.
« Nous faisons déjà de la politique au conseil régional ou au conseil général, Paris Métropole a permis de dépasser ces clivages et de faire bouger les lignes. La métropole ne se construit pas d’en haut par le biais d’une impulsion technocratique prétendant que l’on règle le problème du logement en Ile-de-France. Alors que nous étions tout près d’achever la construction par le bas de cette métropole, le projet de loi ne permet plus de travailler pas à pas », s’énerve Patrick Braouezec, faisant valoir que même dans ce projet de loi, Est Ensemble, Grand Paris Seine Ouest ou encore Plaine Centrale à Créteil avaient encore jusqu’au 1er janvier 2015 (date de mise en oeuvre de la Métropole du Grand Paris, et de la transformation des EPCI en conseils de territoires) pour gagner en efficacité.
« S’il fallait supprimer une couche au ‘millefeuille territorial’ – qui a si bon dos parfois – du Grand Paris, il faudrait s’attaquer aux départements de la petite couronne, issus d’aménagements géopolitiques artificiels plutôt qu’aux intercommunalités construites sur des bassins de vie », poursuit le président de Plaine Commune.
« Ce qui m’importe, ce n’est pas la défense coûte que coûte de mon institution – surtout quand elle n’a plus les moyens de mener à bien ses objectifs – mais le rétablissement d’une égalité territoriale. La préservation d’une position acquise ne peut être un objectif », répond le président du conseil général de Seine-Saint-Denis.
Moindre représentativité des petites communes - « Supprimer les EPCI de petite couronne revient à kidnapper les compétences que leur avaient librement et nommément transférées les communes il y a quelques années », dénonce Michel Bourgain (EE-LV), pour qui ni les communes ni les EPCI ne doivent accepter ce projet.
Pour la maire (PCF) de Villetaneuse, Carine Juste, il ne s’agit pas simplement d’une « question de défense de mon pré carré. Ma ville et mes habitants sont entendus aujourd’hui parce que nous sommes 4 à siéger parmi les 66 conseillers de Plaine Commune ; demain à la Métropole de Paris, nous serions 1 sur 195 pour tenter de faire entendre notre voix dans une instance noyautée par le bipartisme. C’est un déni de démocratie. Bien sûr, j’aimerais que soit réglée la question de la péréquation, mais si c’est pour me faire imposer ma politique d’urbanisme et que mes jardins ouvriers soient rasés… », argumente-t-elle.
Au-delà du sauvetage de Plaine Commune, c’est à leurs spécificités (développement polycentrique, seuil de construction de logements sociaux porté à 40%) possiblement menacés par l’uniformité de la Métropole de Paris qu’élus et professionnels intercommunaux semblent être attachés.
Alors que leur directeur général des services Jacques Marsaud a déjà réagi par le biais d’un communiqué commun de l’ADGCF et du SNDGCT, et que leur président Patrick Braouezec les enjoignait à se plaindre du sort réservé par le gouvernement à Plaine Commune auprès de leurs députés respectifs, un collectif d’agents territoriaux – réunissant la conférence de direction, mais pas seulement – prévoit d’adresser dans les tout prochains jours une lettre ouverte au gouvernement.