27 Juillet 2010
Le métro à Saclay, maillon faible du Grand Paris
Selon deux études, les prévisions de fréquentation seraient trop faibles pour justifier un investissement très lourd
C’est le maillon faible du territoire phare du Grand Paris. Pour désenclaver le plateau de Saclay (10
% de la recherche publique et privée française), le métro en rocade de 155 km promu par Christian Blanc,
ancien secrétaire d’Etat à la régioncapitale, et promis par Nicolas Sarkozy, devrait relier Versailles (Yvelines) à Orly en passant par Massy (Essonne).
Sur ces terres où grandes écoles, laboratoires de recherche, entreprises de pointe surgissent de loin en loin
au milieu des champs, la fréquentation des voyageurs promet d’être faible. Au regard del’investissement consenti 4,8 milliards d’euros pour une section de 36 km -, certains experts en transports, sous couvert d’anonymat, n’hésitent pas à parler de « gabegie « . « Savoir si un métro se justifie est une question qui se posera pendant le débat public « , nous déclare Jean-Claude Ruysschaert, directeur régional de l’équipement (Dreif) chargé de réaliser les études de trafic. Aujourd’hui, le plateau de Saclay est desservi par des routesembouteillées, des RER bondés et des lignes de bus en pointillé. « Le dynamisme « du plateau de Saclay « ne peut se concevoir qu’en connexion (..) avec les centres de recherche deParis, les aéroports de Roissy, Le Bourget, Orly (..), les entreprises de la Défense « , écrit M. Blanc dans Le Grand Paris du XXIe siècle (Le Cherche-Midi, 262 pages, 24 euros). Le dossier du projet, adopté le 21 juillet par la Société du Grand Paris (SGP), chargée de réaliser le futur métro, indique pourtant que le trafic serait le plus faible de toute la rocade. Selon ce document, que LeMonde s’est procuré, entre 6 000voyageurs, selon les projections de la RATP, et 8 000, selon la Dreif, emprunteraient à l’heure de pointe du matin le tronçon entre Versailles etOrly.
Or, selon les spécialistes, un métro n’est justifié qu’à partir de 8 000 à 9000 voyageurs à l’heure de pointe. Ce niveau ne serait qu’à peine atteint en 2035. Encore faudra-t-il que seréalisent les prévisions de création d’emplois escomptées par l’ancien secrétariat d’Etat à la région-capitale. Le cadrage, qui a servi de base au calcul de la fréquentation mentionnédans le dossier avalisé par la SGP, prévoit 130 000 emplois nouveaux, soit un quasi-doublement entre 2005et 2030 sur le plateau de Saclay. Cet afflux de population, qui découlerait du développement du campus grâce aux capitaux publics et privéspromis, n’a été toutefois validé ni par la Dreif ni par l’Insee.
Surdimensionné, le projet risque aussi d’avoir un coût disproportionnépar rapport à son utilité. Le tronçon de Saclay peut être évalué à environ 130 millions d’euros du’ kilomètre, soit quatre fois le coût d’un tramway (entre 30 et 50 millions du km),mode de transport habituellement retenu pour un trafic de 4 000 à 8 000 passagers à l’heure de pointe. Lechoix du tramway, que certains experts préconisent, entraînerait une économie d'1,8 milliard d’euros par rapport au métro.
Ecarté par l’Etat, le tramway n’a pas été davantage la solution choisie par la région. Entre Saint-Quentin et Massy, le Syndicat des transports d’Ile-de-France (STIF), présidé par Jean-Paul Huchon, le patron (PS) de la région, privilégie la réalisationd’une ligne de bus en site propre. Unnouveau tronçon de 6,7 km devrait être achevé en 20}3 pour un coup de 50 millions d’euros (soit 7,5 millionsdu km). « Un bus en site proprerépond aux besoins de déplacement sur le plateau, même en tenant compte des projectionsd’augmentation de la population,assure le STIF. Rien n’empêche que la ligne de bus devienne un tramway,un jour. «
Sur le plateau, le projet de métro trouve peu de défenseurs parmi les élus .. « L’Etat nous promet unsupermétro qui vaut des milliards, et refuse de mettre les 30 millions d’euros promis pour la ligne de bus « , s’indigne François Lamy, président(PS) de la communauté d’agglomération du plateau de Saclay (CAPS). Les maires de droitecraignent qu’un métro ne favorise uneurbanisation massive; du coup, ils ne se mobilisent pas davantage.
« On a du mal à croire que le métro à Saclay soit une priorité pour l’Etat. Or, si des décisions ne sont pas
prises rapidement, les déplacements sur le plateau vont devenir de plus en plus kafkaïens « , prévient Loïc
Bertrand, président de l’Association pour l’amélioration des transports du plateau de Saclay, qui regroupe des habitants et des chercheurs qui travaillent sur place. « Les acteurs économiques et associatifs craignent que le projet de métro ne soit un prétexte pour différer la modernisation du RER et l’achèvement du réseau de bus « explique-t-il.
Dans son rapport remis en septembre 2009 sur le financement du réseau de transports du Grand Paris, Gilles Carrez, député (UMP) du Val-de- Marne, préconise de reporter la branche de Saclay à « après 2025 « . Mais, depuis le départ de M. Blanc du gouvernement, le 4 juillet, l’Elysée a confirmé le mot d’ordre : « Pas de phasage de la double boucle » . Saclay n’est, à ce jour, pas moins prioritaire que le reste du grand métro.
Béatrice Jérôme