Au moment où le gouvernement affiche sa volonté d'impulser un projet métropolitain à Marseille, il reste étrangement silencieux au sujet de celui qui le concerne au premier chef : le projet de la région-capitale. Le seul problème paraît être celui des moyens à y consacrer, de la capacité de l'Etat à financer, et selon quels délais et quelles priorités, le réseau du métro automatique.
Mais dans quel projet métropolitain d'ensemble s'inscrit cette infrastructure ? Assume-t-on la continuité avec les orientations définies par le précédent gouvernement ou a-t-on la volonté de s'en démarquer ? Répondre à cette question est d'autant plus délicat que le projet du Grand Paris constitue un paradoxe : ce qui a fait son succès – la capacité mobilisatrice de la vision mise en avant – se retourne aujourd'hui en problème. Cette vision n'est ni adaptée, ni applicable.
UNE CAPACITÉ MOBILISATRICE INÉDITE
Depuis des décennies, évoquer le Grand Paris était un tabou pour les élus franciliens, tétanisés par le séculaire traumatisme de l'annexion des communes limitrophes à la fin du XIXe siècle et par le multi-séculaire ressentiment provincial à l'égard de la capitale. En s'appuyant à la fois sur l'argument de la présence de la France au sein de la concurrence mondiale entre métropoles et sur la réalité des pratiques sociales des franciliens qui ont fait fi depuis longtemps des frontières administratives, le précédent gouvernement a installé le Grand Paris comme une évidence pour l'opinion publique. Il a transformé cette évidence en projet en s'attaquant à trois enjeux majeurs : le rayonnement, la qualité de vie et le développement.
Pour ouvrir la métropole parisienne sur le monde, le projet est simple : il faut lui donner un débouché maritime et un port, le Havre. Si certains peuvent s'alarmer de l'expansion urbaine envisagée tout au long de la vallée de la Seine, cette perspective séduit les milieux économiques soucieux de prendre place dans la globalisation et nombre d'intellectuels médiatiques qui voient dans ce geste le symbole d'une ambition nationale retrouvée.
En contrepoint, au travers du projet de métro automatique en rocade, le Grand Paris suggère une image attractive de la vie quotidienne dans une métropole du XXIe siècle : une ville dense, ramassée sur la petite couronne, fonctionnant sur le mode du "tout transports collectifs", la nécessaire construction de logements étant concentrée sur les nouveaux quartiers de gare à créer.
La perspective ainsi tracée est "politiquement correcte", à même de rassembler les architectes convoqués pour la mettre en images et la sociologie dominante en Ile-de-France.
Enfin, la création de "clusters" économiques spécialisés en périphérie, de Saclay à Roissy en passant par La Défense constitue le dernier pilier, consacré au développement, de ce projet. Ce polycentrisme projeté ne peut lui que satisfaire des élus locaux aspirant à se défaire de l'hégémonie parisienne.
Ainsi structuré, le projet du Grand Paris a suscité l'engouement médiatique, produit un quasi-consensus au sein de l'opinion publique et noué un ensemble d'alliances entre acteurs sociaux, économiques et politiques, au point d'imposer le ralliement aux quelques décideurs politiques,
régionaux ou parisiens, réticents.
Pourtant, cette dynamique de changement inédite est aujourd'hui en panne. L'Etat est dans l'incapacité de "transformer l'essai", ce pour une raison simple : aucune des trois orientations mises en avant n'est réaliste, susceptibles d'être mises en œuvre.
UNE NÉCESSAIRE RÉVISION STRATÉGIQUE
En conditionnant l'ouverture mondiale du Grand Paris à son débouché maritime au Havre, le précédent gouvernement s'inscrivait certes dans les pas de Louis-XIV et de Napoléon, mais jouait en réalité perdant : le port de Paris est et sera durablement la "range" Nord, d'Anvers à Rotterdam. En revanche, pour affirmer la place de Paris dans le monde, un autre enjeu est décisif : comment renouveler les interdépendances historiques entre Paris et les grandes villes françaises, structurer une "métropole France" intégrée à même d'assurer un leadership en Europe ?
L'hypothèse d'une métropole dense organisée autour du métro en rocade est tout aussi irréaliste. D'une part, toutes les études et expériences étrangères montrent que le report modal sera modeste et que les déplacements en voiture resteront dominants. Et surtout comment imaginer construire, tel que prévu la moitié du 1,4 millions de logements programmés en vingt ans sur Paris et la petite couronne ? Il faudrait y accroître la densité de 25 % ! La qualité de vie dans le Grand Paris nécessite en fait de s'intéresser simultanément au fonctionnement du nouveau métro, des RER et des axes routiers et de penser la métropole dans sa globalité, y compris la grande couronne et la diversité d'offres résidentielles qu'elle autorise.
Enfin, on peut comprendre le caractère rassurant du polycentrisme affiché. En divisant le Grand Paris en une vingtaine de "villes" de 500 000 habitants organisées autour d'un pôle central spécialisé, là dans le cinéma ailleurs dans la logistique ou les biotechnologiques, chacun pourrait retrouver les repères de la ville du XXe siècle. Mais la nostalgie ne fait pas projet. Si Evry n'est en rien comparable à Grenoble en dépit des ressemblances économiques ou sociales, c'est que l'une reste une agglomération relativement autonome tandis que l'autre est intégrée dans un système complexe, la métropole. Le développement métropolitain ne peut se réduire à l'addition de territoires spécialisés. Il faut avant tout développer les synergies fonctionnelles entre des territoires de plus en plus interdépendants. C'est sur le métabolisme métropolitain dans sa globalité, avec tous ses réseaux et ses "hubs" techniques, économiques ou sociaux qu'il faut agir.
Structurer la métropole France, aménager la ville cohérente, optimiser le métabolisme métropolitain : ce n'est pas seulement de moyens financiers dont le Grand Paris a besoin. Pour passer de l'acte I de la mobilisation réussie à l'acte II de l'action efficace, c'est une véritable stratégie métropolitaine qu'il faut maintenant produire. Un chantier que le gouvernement ne peut laisser en friche.