15 Mai 2009
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Aujourd'hui immobilisé par la maladie, cette grande figure de la recherche urbaine, passée par l'économie et la sociologie, a élaboré une réflexion prospective sur les villes. Il a été l'un des premiers, en 1995, à décrire et analyser leur évolution vers un nouvel âge, celui des métropoles, ou "métapoles", qui mettent les décideurs au défi d'inventer les "compromis urbains" capables d'articuler ville dense et monde rural, banlieues et petits bourgs. Ses concepts irriguent les réflexions sur le Grand Paris, où il s'agit ni plus ni moins d'imaginer les compromis qui dessineront le visage de la métropole capitale.
Que pensez-vous des débats sur le Grand Paris ?
L'initiative du gouvernement a eu le mérite de réinjecter les enjeux métropolitains et les grands intérêts économiques dans le débat, alors que le schéma directeur de la région se contentait d'additionner des demandes locales. Malheureusement, il n'aurait pas fallu confier ce travail à des architectes : ça reste assez pauvre, même si le côté stars a servi la communication. Une vraie recherche sur les métropoles et les conurbations aurait permis de mieux cadrer le débat. Si mon prix peut servir à dire une seule chose, c'est qu'il faut absolument relancer la recherche en urbanisme.
Qu'est-ce qui caractérise le phénomène des métapoles ?
Parler de métapole, c'est prendre en compte le changement d'échelle et de forme des villes, lié à la révolution des transports et des télécommunications. La ville industrielle était monocentrée et radioconcentrique, caractérisée par une continuité urbaine. Aujourd'hui, on ne vit plus à l'échelle du quartier ni même de la ville, mais d'une vaste conurbation polycentrique et discontinue.
De quoi est-elle composée ?
C'est une ville hétérogène, qui réunit en un même système cinq types urbains très différents : la ville centre, très dense, riche en transports publics et en équipements, où vivent les populations les plus privilégiées ; la banlieue périurbaine, où l'on trouve essentiellement des petits bâtiments collectifs et des classes moyennes attachées au lien avec la centralité principale ; l'aire suburbaine, dominée par les zones pavillonnaires, qui a très peu de liens avec la ville centre et restera "condamnée" aux déplacements automobiles ; la ville des exclus et des assignés à résidence, c'est-à-dire les grands ensembles, enclavés et mal desservis ; enfin, des zones de campagne, refuge des "rurbains".
Quelle difficulté cette évolution pose-t-elle aux acteurs de l'urbanisme ?
Les métropoles d'aujourd'hui doivent se construire sur des compromis. L'enjeu, pour les urbanistes et les politiques, c'est d'élaborer les compromis qui permettront de faire vivre ensemble ces cinq catégories, de fabriquer une ville qui puisse satisfaire leurs besoins de manière équitable. Comment introduire partout de l'urbanité, des espaces publics, des services, des transports collectifs ?
Ces dernières années, les urbanistes ont réappris à concevoir des centres-villes. Or le vrai défi serait de réussir la ville peu dense, d'introduire de l'urbanité dans les zones pavillonnaires de deuxième couronne. Les urbanistes ne se saisissent pas de ce thème, car ils n'acceptent pas que la ville du XXIe siècle soit aussi faite d'espaces distendus, qu'une majorité des Français souhaite une maison et un jardin.
La mondialisation est-elle responsable de cette croissance métropolitaine ?
La taille est un élément de la compétitivité des villes. Pour attirer des entreprises de haut niveau, globalisées, compétitives, il faut offrir à leurs salariés les services urbains qu'ils attendent : un aéroport, un opéra... Seules les grandes villes peuvent se payer cela. La globalisation a pour effet d'accroître l'échelle pertinente des villes en termes économiques, sociaux, culturels. C'est pourquoi les métapoles croissent, en absorbant des villes petites et moyennes, qui entrent ainsi à leur tour dans le système de la globalisation.
Une "métapolisation" réussie est-elle le gage d'une meilleure résistance face à la crise ?
Les villes qui ont su développer un compromis urbain créatif ont des avantages pour s'en sortir. Mais l'élément stratégique sera le positionnement dans les technologies vertes. Nous sommes seulement à l'orée d'un cycle économique long, dans lequel la croissance sera fondée sur les marchandises écologiques. Les villes doivent à la fois réussir à attirer les entreprises spécialisées dans ces nouvelles technologies et devenir des lieux d'expérimentation d'un urbanisme vert.
On voit se dessiner une différence d'approche entre l'Europe et les Etats-Unis. La première cherche à réformer les modes de vie, à réinventer les formes urbaines, de manière peut-être un peu illusoire. Les seconds misent davantage sur les clean tech : on continue l'étalement urbain, mais avec des maisons écolo et des 4 × 4 électriques.
Vous avez émis des réserves sur la "ville durable". Pourquoi ?
Il faut faire attention à l'usage parfois passéiste et antisocial du terme de "ville durable". La ville n'est par définition pas "durable", elle ne doit pas être figée, elle se transforme en permanence. Trop souvent, le souci de l'environnement prend la place du social. C'est très bien de faire des quartiers économes en énergie, mais la durabilité ne doit pas être un surcoût pour les plus pauvres.
Enfin, l'urbanisme du développement durable n'est pas une recette unique, il doit pouvoir s'appliquer à la ville dense comme aux lotissements, aux tours comme aux maisons individuelles, aux autoroutes comme aux transports collectifs. La ville durable doit être un compromis entre les exigences économiques, sociales et environnementales.