24 Février 2014
Paris 2013, Manifeste rétroactif pour la construction métropolitaine
En novembre 2011, 2012, et 2013, Paris a accueilli dans la salle du Conseil un séminaire international consacré à la gouvernance des métropoles. En lieu et place des Conseillers de Paris, une centaine de chercheurs, des élus de la métropole parisienne[1], des acteurs économiques, réunis sous la présidence d’un conseil scientifique international.
En 2011, le pari est fait que la construction métropolitaine parisienne est à un tournant, que les conditions sont enfin réunies, pour enclencher une nouvelle étape. Cette étape devait permettre l’émergence politique de la métropole parisienne, et partant, devait interroger la place et le rôle de l’ensemble des acteurs métropolitains.
Ainsi, le lieu de la vie démocratique parisienne s’est ouvert aux chercheurs du monde entier. Pas pour un événement sans lendemain, mais pour un cycle de réflexions conçu d’emblée pour durer, accompagner les méandres du débat politique, permettre le va-et-vient entre la pratique et la théorie. La nouvelle phase qui s’ouvrait serait nécessairement longue et impliquerait un véritable aggiornamento intellectuel ; il fallait se donner les moyens d’une démarche innovante, à la mesure des enjeux, et qui situe l’agglomération parisienne face aux problématiques des grandes métropoles mondiales. Le choix de la réflexion comparatiste s’est ainsi imposé pour infuser au cœur du personnel politique métropolitain.
Il est trop tôt pour tirer un bilan complet de l’ensemble de cette démarche, et pour mesurer la part qu’ont prise les réflexions académiques dans la consolidation politique du fait métropolitain. Une partie de la réponse appartient évidemment aux chercheurs, qui ont aujourd’hui en main les travaux issus du premier séminaire et qui auront demain à faire porter leurs analyses sur le résultat de cette séquence politique. Un cadre nouveau, préparé par la loi d’affirmation des métropoles entre dans la phase des débats parlementaires.
L’objet de cet avant-propos est plus simple : faire le témoignage d’une expérience politique assez unique, à un moment où son issue n’est pas encore scellée. En restituant tout d’abord la manière dont les élus se sont approprié les conclusions de la comparaison internationale. Donner à voir, de manière dynamique, à la fois le cheminement du questionnement politique et les éléments de réponses scientifiques. Montrer, en quelque sorte, que les mots des chercheurs, ne sont pas tombés dans un vide politique. Il y avait bien sûr, une part d’utilitarisme dans la volonté de confrontation : à toutes les étapes les grandes métropoles ont été interrogées à partir des questions qui se posaient dans la situation singulière de la métropole parisienne. La mobilisation d’un collectif de chercheurs visait d’abord à tirer les leçons d’expériences conduites à l’étranger, à s’interroger sur celles qui étaient susceptibles d’être transposées et à quelles conditions, à susciter aussi de nouvelles recherches sur le cas parisien. La lecture que les politiques en ont fait est une appropriation qui transforme, reformule, excède..
Parallèlement, et à mesure sans doute que cette inspiration venait à nourrir, à influencer la démarche politique, elle a également permis une prise de conscience. Le miroitement avec les expériences étrangères met en lumière la singularité du mouvement accompli. Elle permet d’en révéler la « théorie informulée », et pour paraphraser Rem Koolhaas, dans sa préface de New York délire, d’en faire une sorte de manifeste rétroactif, qui peut continuer à servir de guide pour l’action qui reste à entreprendre.
Entre 2011 et 2013, le cycle de séminaires a étroitement épousé la séquence politique. A chacun des trois temps scientifiques correspond une nouvelle étape politique. Cette concordance des temps n’est pas seulement une reconstitution a posteriori ; elle a été délibérément construite. Les call for papers en portent les stigmates, car chaque appel à contribution a été le fruit de la confrontation entre l’état des lieux politique, et l’état de l’art scientifique. Ils constituent un subtil dosage entre l’interrogation internationale – l’état de la recherche et des problématiques – et la volonté d’organiser des échos avec la situation parisienne. Au-delà, le dispositif même des séminaires – du discours d’ouverture au discours de clôture, en passant par les études de cas, les visites de terrain, et les temps de dialogue entre élus et chercheurs – avait pour but tout à la fois de respecter la liberté nécessaire à l’élaboration scientifique et de créer les conditions pour que ces réflexions « percolent » sur l’action politique. Cependant le dialogue critique n’a jamais instrumentalisé la réflexion.
Cette concordance des temps a fait bouger les lignes. En conclusion du premier séminaire, le constat était fait qu’« aujourd’hui, Paris fait face aux défis d’une métropole du 21ème siècle. Mais elle compose encore, comme la plupart des métropoles mondiales, avec des outils de gouvernement du 20ème siècle et des limites administratives du 19ème siècle ». Cette analyse est en passe d’être démentie. Pour la première fois depuis 40 ans, le régime par défaut de la métropole parisienne va être ébranlé. Quelle que soit l’issue réservée au projet de loi organisant la création d’une « métropole de Paris », ce mouvement est maintenant irréversible.
Ainsi, le temps long de l’agglomération parisienne – qui n’avait plus connu de transformation substantielle de son système institutionnel depuis le décret de 1964, prévoyant l’éclatement du département de la Seine – et le temps long de la recherche qui fait émerger la question métropolitaine au cours des années 1960, ont fait un bout de chemin ensemble, sous les ors de l’Hôtel de Ville, dans la Salle qui symboliquement avait accueilli les dernières séances du Conseil général de la Seine.
Il n’est pas inutile d’éclairer la lecture de ces temps successifs, en rappelant les conditions dans lesquelles ce projet a germé. Le lancement de ce cycle international remonte à février 2011. Politiquement, une double analyse est faite.
Tout d’abord, un espace politique est en train de s’ouvrir. Des étapes ont été franchies, des actes concrets de coopération se sont accumulés depuis 2001 dans l’agglomération parisienne et la création de la nouvelle scène politique, Paris Métropole, en 2009, permet aux 200 collectivités d’Ile-de-France y participant, de produire collectivement des projets métropolitains. Parallèlement, la question du Grand Paris a acquis une visibilité sans précédent, en partie du fait des déclarations du Président de la République. La question métropolitaine est ainsi devenue centrale. Toutefois, le sentiment domine, que la construction métropolitaine est allée au bout de ce qu’il était possible de faire à cadre institutionnel constant, et que l’urgence d’agir appelle désormais l’ouverture de nouvelles perspectives.
Au regard de cet état de force, Paris prend alors l’initiative d’ouvrir collectivement le débat de la gouvernance métropolitaine, avec le souci de faire avancer ce nécessaire chantier politique tout en évitant d’activer une logique partisane. En effet, pour permettre au législateur de faire naître la métropole, le débat sur la gouvernance devait s’engager en amont et refléter ce qui a fait l’originalité de la construction métropolitaine : la capacité à fédérer, à transcender les jeux partisans, à déminer les effets de posture. C’est dans ces conditions qu’il est décidé d’avancer parallèlement dans deux directions : l’organisation d’un séminaire intellectuel, et l’animation d’un débat politique de longue haleine.
La première année est ainsi dominée par la volonté de poser les termes du débat. Elle se traduit par la constitution d’une équipe de chercheurs, autour de Christian Lefèvre, Frédéric Gilli, Nathalie Roseau et Tommaso Vitale, missionnée pour mettre en perspective le cas parisien par un état des lieux des solutions que les grandes métropoles mondiales ont apportées au défi de la gouvernance. Parallèlement à cette démarche intellectuelle, le choix est fait de réaliser, ce qu’il convient d’appeler un livre vert de la gouvernance, l’objectif étant, à partir d’un éventail d’orientations, de lancer, à l’échelle métropolitaine, une consultation et un débat sur ce sujet.
S’il faut résumer d’une phrase l’enseignement qui émerge à l’issue de cette première étape, c’est la nécessité d’acter la fin d’un cycle. Toutes les coopérations métropolitaines ont dû trancher : garder un caractère informel, c’est prendre le risque de l’essoufflement : approfondir, en remettant en cause le consensus, c’est menacer d’explosion. Ce choix - entre l’institutionnalisation et la mise en place d’une dynamique collective de projets - ce dilemme, toutes les métropoles y sont confrontées.
Mais, de ce point de vue, la comparaison internationale ouvre plus de questions : la solution universelle n’existe pas ; les étapes franchies dépendent des conditions dans lesquelles elles se sont construites. La conviction qui émerge intellectuellement et politiquement est que la gouvernance métropolitaine à imaginer doit être flexible, mais cela ne peut être un prétexte pour rester dans le vague, faute de quoi les porteurs de la dynamique finissent par changer ou par s’user et le processus, même s’il est potentiellement plus robuste, s’épuise de lui-même s’il n’est pas consolidé. L’heure de la consolidation sonne donc au terme de cette première phase, mais avec le risque de l’implosion.
Pour avancer sur ce chemin de crête, l’année 2012 est marquée par l’ambition de choisir. Le séminaire se concentre sur les vecteurs de l’institutionnalisation et sur les acteurs qui animent ces systèmes métropolitains. De manière symptomatique, la problématique s’est déplacée du « défi de la gouvernance » à la volonté de « gouverner les territoires ». Parallèlement, Paris Métropole tente de faire succéder au livre vert – l’exposé des questions – un livre blanc, l’esquisse d’une solution.
Pour construire l’adhésion, pour également consolider les termes du rapport de force politique face aux partisans de l’immobilisme – les élus métropolitains s’accordent sur l’intérêt d’ouvrir le débat publiquement. Pour faire des citoyens des alliés de la transformation. Dans cet esprit, Paris Métropole lance une grande consultation citoyenne pendant deux mois dans toute l’agglomération. Le deuxième colloque se tient donc en parallèle d’un vaste débat public, ouvert dans une vingtaine de lieux de la métropole, associant à toutes les étapes des chercheurs, des élus, devant les citoyens.
Si on fait un arrêt sur image, au terme des deux premières éditions du séminaire international, quel bilan tirer de ce travail d’acculturation, de ces séances de réflexions collectives ? Quels sont les principaux enseignements que l’on en a dégagés pour la démarche de construction métropolitaine parisienne?
Un constat paradoxal émerge. D’un côté, la banalité des questionnements parisiens, et si on les confronte aux chemins accomplis dans les grandes métropoles mondiales, l’extrême proximité entre les difficultés que les acteurs locaux rencontrent pour permettre l’affirmation politique des Métropoles. De l’autre, la lente élaboration, dans l’agglomération parisienne, d’une voie singulière sur laquelle il convient de s’appuyer.
Les débats parisiens présentent beaucoup de similarités avec les problématiques rencontrées ailleurs. De nombreuses questions scientifiques trouvent un écho dans la région parisienne.
C’est vrai tout d’abord pour la place de l’Etat. Dans une ville-région, capitale d’un des Etats-Nations les plus centralisés, la place de l’Etat est à la fois centrale (les acteurs attendent de lui des décisions, des orientations, des arbitrages et des engagements notamment financiers) et contestée (les mêmes acteurs demandent à l’Etat de les laisser avancer par eux-mêmes, à leur rythme et sur leurs propres agendas), traduisant localement les débats qui peuvent exister sur le rôle de l’Etat dans une économie de plus en plus mondialisée.
L’éclatement des pouvoirs caractérise également les métropoles mondiales, mais il prend une forme extrême en Ile-de-France. L’essentiel des pouvoirs opérationnels restent disséminés parmi les 1300 exécutifs locaux et l’empilement des nombreuses strates administratives ajoute à la confusion. Les débats sur le rôle des pouvoirs locaux dans la construction métropolitaine et sur l’intensité et la lisibilité du jeu démocratique dans ces grands territoires sont particulièrement sensibles dans la métropole.
Comme dans toutes les métropoles mondiales, poser la question métropolitaine, c’était interroger le rôle de la ville centre et la place des territoires périphériques. En Ile-de-France, ce questionnement était particulièrement fort, compte tenu de la relation hégémonique que Paris a historiquement entretenue avec « sa » banlieue. Ainsi, pour déminer le poids des représentations, les lourdeurs historiques, le leadership parisien dans la construction métropolitaine a fait le choix d’une certaine méthode, reposant sur un esprit résolu, mais discret. Cet héritage a également justifié la nécessité de construire des lieux de sociabilité, des espaces de débat, hors de la sphère publique ou du moins médiatique, permettant de dépasser ensemble ce passé et de se projeter dans un possible destin commun.
Face à l’imbrication des pouvoirs publics et l’émergence de nouveaux territoires, en particulier des intercommunalités, la métropole parisienne se trouve confrontée à la déconnexion de plus en plus poussée entre les logiques territoriales, les logiques fonctionnelles et les logiques administratives. Ainsi le débat sur la gouvernance est indissociable de l’ambition de faire émerger un gouvernement à la mesure de ces enjeux, et si la comparaison internationale n’est pas à même de trancher le débat institutionnel francilien sur les différents périmètres, il a le mérite de la déplacer. D’un débat sur le périmètre optimal, et toujours introuvable, vers un débat sur le processus de construction à l’œuvre.
La question n’est alors plus de dessiner les contours du fait métropolitain, mais de construire une instance capable de porter des projets métropolitains partagés. L’agglomération, autrement dit l’espace continûment urbanisé autour de Paris, constitue à la fois une réalité vécue et l’espace de nos enjeux. Elle forme également un espace public « politique » en cours de constitution.
Au-delà de ces questions ponctuelles (place de l’Etat, rôle de la Ville-centre, périmètre métropolitain, mais on aurait pu ajouter, en suivant les thèmes de premiers appels à contributions, le rôle des acteurs privés, les dynamiques des inégalités métropolitaines), les deux premiers séminaires ont mis en perspective les cheminements accomplis par chacune des métropoles. Ils mettent en évidence les conditions dans lesquelles le processus parisien pouvait engager une nouvelle étape.
D’abord le rôle du temps, et la nécessité de respecter la temporalité longue du processus de construction métropolitaine. Ainsi, il est frappant de voir à quel point, au moment où le projet de loi de décentralisation définit le cadre institutionnel des métropoles françaises, l’ambition et l’acceptabilité des projets sont finalement cohérentes avec l’antériorité du processus de construction métropolitaine.
Ainsi, pour ce qui est des trois principales métropoles françaises, il apparaît que le projet lyonnais, qui se construit depuis plus de 40 ans (l’ancêtre du Grand Lyon, la Courly a vu le jour en 1969) est certainement le plus avancé, le plus abouti et celui qui suscite le moins de débat, si on le compare à Paris ou Aix-Marseille-Provence.
L’état du projet de métropole parisienne s’explique largement par la situation originelle, ce que les provinciaux appellent le « retard parisien ». En effet, jusqu’à il y a encore une trentaine d’années, la place prépondérante de l’Etat dans le développement de l’Ile de France empêchait Paris d’engager sa construction métropolitaine. Le projet de loi doit donc être pris pour ce qu’il est : un jalon dans le processus de construction ; il n’arrête pas un projet finalisé, mais il valide une étape importante, 10 ans après les premières réflexions sur la métropole parisienne.
Certes, certains souligneront les limites de cette étape – le besoin de simplifier davantage le paysage institutionnel, le temps long encore prévu pour l’émergence de la métropole[2] – mais la construction métropolitaine ne peut avancer que pas à pas, en consolidant les pratiques, les exemples internationaux nous le prouvent, et il faut se réjouir du franchissement de cette étape qui va permettre d’ouvrir de nouvelles perspectives. En outre, soyons déterminés et modestes : les défis à relever sont très importants, et l’efficacité de la métropole dépendra aussi, et peut être même surtout, des outils opérationnels que seront mis en œuvre mettrons en œuvre, et là-dessus il reste encore beaucoup de travail.
Le deuxième grand enseignement, qui n’est pas sans lien avec la temporalité du projet, est la nécessité d’un processus « bottom-up », d’un projet élaboré à partir des réalités des territoires. En effet, le projet métropolitain se construit nécessairement à partir d’un diagnostic partagé, dans l’objectif d’apporter des réponses aux défis auxquels les territoires font face. C’est ainsi, en croisant les défis et les dynamiques, et en prenant le temps de faire partager les diagnostics que l’on construit un consensus politique autour d’ambitions métropolitaines.
Or, depuis le début du processus de construction métropolitaine, et malgré ce qui pourront dire certains, plusieurs consensus se sont dégagés. Prenons l’exemple du logement, - problématique qui cristallise les tensions et justifie à elle seule la création d’une instance métropolitaine - aujourd’hui les élus de la métropole s’accordent sur la nécessité de construire davantage de logements, de dépasser les égoïsmes locaux ; et même l’objectif chiffré de 70 000 logements par an est à présent communément repris, or si on revient quelques années en arrière c’était loin d’être acquis. Il en a été de même de la validation du projet de transport du Nouveau Grand Paris, ou encore de l’adhésion autour des grands principes d’aménagement sur lequel le SDRIF s’est construit : « le rééquilibrage de l’agglomération », « l’arrêt de l’étalement urbain », « la nécessité de construire la ville sur la ville», « la densification autour des gares ».
Temps long, nécessité de partir des réalités des territoires et des ambitions dessinées collectivement, volonté de construire progressivement un cadre évolutif.. Ces enseignements peuvent sembler banals, mais on en saisit mieux le sens, en mettant en perspective les conditions dans lesquelles longtemps la construction métropolitaine a été légitimée en Ile-de-France.
Jusqu’à la fin des années 2000, la construction métropolitaine en Ile-de-France s’est construite sur 2 noyaux de discours, volontiers présentés comme concurrents. La première posture a consisté à construire la Métropole pour réconcilier Paris avec la banlieue. Après des décennies d’opposition, de méfiance, des décennies d’une relation asymétrique, le discours métropolitain était d’abord le moyen de redire le destin commun, de dénoncer l’aberration du cœur séparé de ses membres, de lutter aussi contre le risque de dualisation de la société métropolitaine, la Ville d’exception et la métropole ordinaire. Peu importe d’ailleurs que la ligne de fracture entre Métropole mondialisée et métropole du quotidien ne coïncide qu’imparfaitement avec le boulevard périphérique. Le projet métropolitain, pour être audible, s’est d’abord présenté comme une volonté de réparation des erreurs du passé, de reconnaissance d’égale dignité des territoires. Il procède par l’ambition de corriger les dérèglements qui accompagnent les grandes métropoles ; de compenser les inégalités, les effets de domination entre territoires métropolitains. Construire la métropole, c’est envisager une altermétropolisation, ou l’ambition de construire une métropole qui n’hystérise pas les nouvelles formes d’inégalités et de clôture sociale qui semblent caractériser toutes les grandes métropoles mondiales.
A côté de ce premier noyau, un autre registre en est venu à occuper une place prépondérante. Ce discours s’attache à la construction métropolitaine comme moyen de consolider l’attractivité de la France. Avec l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy et la mise en scène du retour de l’Etat, ce registre devient prépondérant. Ce n’est pas une question de politique urbaine que le gouvernement de l’époque entend aborder, mais un enjeu de politique économique et de grandeur du pays. Y compris chez des élus progressistes, le fait que l’État se saisisse politiquement de cette question, le déploiement d’un discours sur le territoire le replaçant dans l’aventure nationale, a pu être perçu comme une chance, un élément valorisant. La légitimation insiste davantage sur l’ère métropolitaine, autrement dit le nouvel âge des Villes, marquée censément par une compétition internationale entre les grandes villes mondiales, l’importance des flux, et l’insertion dans les réseaux mondiaux. L’objectif est d’adapter la métropole aux exigences supposées de ce nouvel âge de la Ville, d’une économie en réseau et en compétition pour l’accueil d’activités à forte valeur ajoutée. Mais ce registre a eu tôt fait de se déployer contre les acteurs locaux, en réactivant les lieux communs politiques sur la banlieue, au service d’une mise en scène de l’intervention de l’État, seul à même de relever le défi de la mondialisation, face à des élus mineurs, engoncés dans leurs jeux de rôle traditionnels.
De ce point de vue, les séminaires ont accompagné l’émergence d’une nouvelle lecture à même de réconcilier ses postures, en apparence contradictoires. La séquence 2011-2013 a permis de renouveler le discours et ainsi a permis de dénouer des oppositions anciennes. Des histoires se réconcilient et une nouvelle perspective se dégage.
Nolens volens, la métropole parisienne a rattrapé son retard, elle s’est construite de manière partagée une culture métropolitaine, à travers la mise à l’agenda de grandes controverses qui n’ont pas toujours été tranchées mais dont l’existence a permis au débat d’avancer. Au fur et à mesure des étapes, un collectif de plus en plus large d’acteurs s’est trouvé emporté dans la construction métropolitaine. C’est une des spécificités de la situation francilienne et un des intérêts de la dynamique actuelle : la métropole se construit comme le fruit d’une intelligence collective, des enjeux autrefois opposés les uns aux autres se sont trouvés progressivement réconciliés.
C’est le cas pour les élus le syndicat mixte Paris Métropole, passé de 87 membres au moment de sa création à 206 collectivités aujourd’hui, est ainsi devenu un lieu d’acculturation du fait métropolitain, où les oppositions ont pu s’exprimer et être transcendées pour dégager des consensus, des lignes de convergence sur le projet métropolitain parisien. Ainsi, Cette scène politique inédite a créé les conditions pour que l’évolution institutionnelle soit possible.
C’est le cas pour les experts : tous les acteurs engagés dans la mutation de la métropole se sont appuyés sur un grand nombre d’experts, qu’ils soient universitaires ou issus du monde économique ou associatif, mais il n’y a pas eu un « brain trust » aux commandes de la métropole parisienne. L’Etat s’est entouré de conseillers spécialistes et pouvant s’appuyer sur une technostructure très puissante, la consultation internationale a permis à dix collectifs pilotés par des urbanistes de renommée internationale de travailler collectivement et librement. Paris Métropole s’est fait accompagner d’universitaires qui ont été étroitement associés à ses réflexions… Certains chercheurs ont pu se trouver mêlés à tous les travaux, d’autres sont intervenus de façon plus épisodique ou plus sélective mais les travaux sur la métropole parisienne se sont multipliés tous azimuts en même temps qu’une forme de convergence s’organisait progressivement sur les grandes lignes devant structurer la réflexion.
C’est enfin le cas des citoyens : longtemps tenus à l’écart, ils sont de plus en plus appelés à s’exprimer, soit de manière sélective (débats du Grand Paris Express) soit de manière très large et ouverte (premières rencontres de Paris Métropole). Écoutés, ils demandent globalement à être beaucoup plus considérés par les dirigeants et à ce que leur aspiration à une vie plus confortable soit entendue. Ils reconnaissent que la métropole peut apporter un souffle et un oxygène à tous les territoires, mais il est important qu’elle ne donne pas en même temps le sentiment d’étouffer la vie démocratique.
Ce que la période récente a mis en évidence c’est que pour être légitime, la métropole a besoin d’être un espace politique identifié en tant que tel par les habitants et les acteurs. En règle générale, les espaces démocratiques de la métropole se situent au niveau des quartiers ou des communes, mais très rarement à l’échelle métropolitaine, qui reste une affaire d’élus et d’experts. Pour que le territoire de la démocratie change d’échelle, il importe que se constituent, sur les questions d’envergure métropolitaine, des espaces de débat, voire de décision, qui impliquent les habitants.
Alors que ce cycle trisannuel s’achève[3] et que sont enfin publiés les fruits du premier séminaire, le pari est en passe d’être gagné. Cette dernière édition doit se tenir au moment de ce qui pourrait être une transformation historique du régime institutionnel de l’Ile-de-France. Le projet de loi de « modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles » est aujourd’hui déposé devant le Parlement. Son examen par le Sénat et l’Assemblée nationale ne sera achevé qu’à l’automne.
Dans ces conditions, il y a une forme de cohérence, à conclure cette aventure intellectuelle et politique de 3 ans en soulevant la question de l’identité métropolitaine. Cette question naît directement de l’interpellation qui avait ouvert le second colloque. Comment construire l’adhésion des citoyens à l’émergence d’une nouvelle structure de gouvernance ? Comment également permettre que le bricolage institutionnel, inhérent aux systèmes des grandes métropoles ne se traduise pas par un affaiblissement démocratique ?
En effet, si le bricolage institutionnel est souvent la règle dans les métropoles mondiales, ce mish-mash d’acteurs – comme le qualifiait l’économiste Michaël Storper en ouverture du colloque 2012 – pour être efficace et garantir la cohésion, doit se fixer des garde-fous :
* d’abord, éviter les dérives technocratiques et assurer une représentation politique suffisante. L’institutionnalisation du gouvernement de la métropole, me semble en cela aujourd’hui nécessaire pour construire une démocratie métropolitaine ;
* deuxièmement, légitimer les politiques publiques métropolitaines, en traitant prioritairement et efficacement les problèmes vécus et remontés par les habitants : les inégalités et injustices qui se posent à l’échelle de la métropole ;
* enfin, développer le sentiment citoyen d’appartenance à un tout, ce qui suppose de faire émerger et d’entretenir une identité métropolitaine partagée et assumée.
C’est seulement à ces conditions que le citoyen pourra adhérer au projet métropolitain, et qu’il sera possible de bâtir la régénération urbaine sur un véritable projet de citoyenneté métropolitaine.
Le cycle de séminaires internationaux n’avait pour objet de réaliser un best of des métropoles mondiales ; il ne cherchait pas à extraire les meilleures expériences prêtes à servir pour la démarche parisienne. Si les politiques ne se sont évidemment pas interdits d’identifier des outils intéressants, l’essentiel n’était pas là. L’intérêt principal de l’exercice réside dans la possibilité de cerner le processus de construction métropolitaine, de comprendre comment chaque métropole a cheminé, est parvenue à inventer son propre projet. Pour la métropole parisienne, une nouvelle étape devait être engagée et il fallait trouver les moyens de la cristalliser, autrement dit, de voir comment, on pouvait passer d’une rhétorique des petits pas, des actes concrets, démultipliés à la nécessité pour avancer d’accomplir collectivement un grand pas.
Deux ans après le premier séminaire et au moment où le projet de loi suit son cours de validation, l’objectif est en grande partie atteint. La confrontation internationale a aidé à identifier le chemin pour concrétiser la volonté politique, et le législateur a, sur cette base pu réaliser sa part du chemin et acter cette avancée importante. Certes, la construction métropolitaine n’est pas finie, loin de là, mais le franchissement de ce premier grand pas, va permettre à la Métropole du Grand Paris de s’attaquer aux étapes à venir, aux prochains défis.
Le lien avec les citoyens sera au cœur de la prochaine étape.
[1] Paris Métropole, syndicat mixte créé en 2009, pour réunir l’ensemble des exécutifs de l’agglomération parisienne a été partenaire, trois années durant de ce colloque. A ce titre, il a contribué à la définition des contenus, mais aussi à assurer la diffusion auprès d’élus métropolitains de tous bords qui ont été présents à chacun des séminaires.
[2] Le projet de loi organise la création d’une métropole parisienne au 1er janvier 2016. Beaucoup d’élus plaident pour l’allongement de ce délai.
[3] Ces lignes sont écrites en mai 2013. Au moment où le Sénat s’apprête à discuter d’un projet de loi d’affirmation des métropoles.