20 Février 2014
Comment peut-on définir un contour sans contenus ni moyens ?
Pour une métropole parisienne durable, belle, vivante et populaire
Une tribune de Paul Chemetov, architecte et urbaniste.
L’Assemblée nationale a décidé que la métropole parisienne aurait comme limites les quatre départements centraux, Paris, les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne, provoquant les protestations des élus départementaux, pourtant politiquement opposés, du 92 et du 94. Pourtant cette métropole parisienne fut soutenue par la gauche contre la droite à l’époque du département de la Seine, avant que la nouvelle découpe – voulue par le général de Gaulle et Paul Delouvrier - ne le supprime en 1965. Dans le même temps, le président de région approuvait ce projet. On comprend son point de vue car il défendait l’idée que la région était la métropole bien avant que Nicolas Sarkozy ne s’empare de la thématique du Grand Paris.
Or, le fait métropolitain pour tous ceux qui l’ont étudié et quels que soient les facteurs pris en compte (densité de la population, temps de transport au centre ou entre les centres périphériques, densité des emplois anciens ou nouveaux et surtout, le plus pertinent, la consommation d’énergie électrique à l’hectare, qui est la signature de la cité contemporaine) ne peut se définir de l’extérieur selon des contours administratifs hérités du passé, mais de l’intérieur par agglomération des territoires qui se sentent et se veulent métropolitains. La limite de la métropole parisienne pourrait donc à terme fluctuer entre l’A86 et la francilienne. Cette possibilité d’adhésion est offerte par la loi aux communes contiguës, mais seulement jusqu’au 1er septembre de cette année…
Pour que s’impose l’évidence de la métropole, il faut qu’elle assure la péréquation des ressources d’un même bassin de vie et d’emploi aujourd’hui partagé entre un Est pauvre et un Ouest riche. Sans cela, la métropole ne pourra pas investir, pour être crédible et durable, ce qui lui manque aujourd’hui en transports collectifs, équipements, espaces publics et naturels et logements, toutes conditions publiques nécessaires et préalables à l’investissement privé.
La métropole devrait en outre être gouvernée démocratiquement par une assemblée élue au suffrage universel et proportionnel : un homme (une femme donc… depuis 1945 !), une voix.
La métropole devra aussi régler les proximités de la vie quotidienne, faudra-t-il aller rue Barbet-de-Jouy au siège parisien de la région pour obtenir des papiers administratifs ou d’état civil comme aujourd’hui dans les préfectures ou les mairies ?
On comprend bien que les questions des contenus l’emportent sur celles des contours, car peut-on donner une frontière à un organisme vivant, qui demain questionnera non seulement les limites départementales, mais aussi régionales. Si l’on retirait de la région Île-de-France son noyau dense, elle ne gérerait plus, pour l’essentiel, que les plaines agricoles ou les lotissements pavillonnaires de l’Essonne et de la Seine-et-Marne. Est-ce là son destin ? Le poids croissant des métropoles va entraîner une nouvelle découpe régionale.
Dans le temps même où se croisaient ces contradictions, dans la presse, dans les pages du Monde comme dans celles de l’Humanité, s’exprimaient ceux qui déplorent que Paris ne soit plus populaire et ceux qui constatent que la pauvreté est cachée au cœur des villes de la périphérie et même à Paris dans les trois arrondissements du Nord-Est, avec des quartiers où encore près de la moitié des habitants vivent avec moins de 1 000 euros par mois !
Quels que soient les attraits de Paris – le monde entier s’y précipite pour les admirer et nous les envier –, on ne peut accepter la perspective d’une issue vénitienne : au centre le patrimoine, les musées, la beauté et les touristes et à la périphérie le peuple confronté aux difficultés de sa vie quotidienne.
Paris, en un siècle, a perdu le tiers de sa population. Elle vit aujourd’hui en banlieue, et vient aussi travailler tous les jours à Paris. Si l’on veut faire la métropole, il faut construire des logements populaires à Paris et dans le même temps doter les Parisiens de la périphérie des transports, des équipements et des logements qui aujourd’hui manquent. Si la métropole n’a pas de limites administratives, elle a un anneau central : le périphérique qui de part et d’autre doit affirmer l’égalité des territoires qui le bordent. Rétablir ces conditions de la vie commune suppose d’investir cent milliards en dix ans pour les transports, les équipements, les espaces et les logements. On en est loin, telle est pourtant la condition économique de toute solution politique et de sa transcription administrative.
Mais la difficulté n’est pas seulement dans l’investissement nécessaire. La question du logement ne peut être réglée pour tous, à cause du prix élevé des bâtiments eux-mêmes, mais surtout en raison du poids de la rente foncière. Comment admettre que le taux d’effort des locataires pour se loger soit aujourd’hui de 29 % en moyenne de leur revenu, loin des 9 % du début des Trente Glorieuses et des 13 % des ménages allemands. Dans les critères de compétitivité, voilà une différence et de taille !
Dans le périmètre métropolitain, il est temps pour construire des logements, comme des équipements ou espaces publics, d’imposer la location des terrains et non leur achat, car leur valeur ne dépend que des investissements collectifs. Sans les services de la ville et les droits à construire qu’elle accorde, tous les terrains ne vaudraient pas plus que ceux qui restent en culture, protégés de l’urbanisation et qui doivent le rester car il nous faut aussi dans la métropole assurer la nourriture quotidienne des multitudes qui y vivent, sans que les autoroutes soient encombrées par des norias de diesels frigorifiques. Le maraîchage de proximité est aussi une condition de la vie métropolitaine, de la fraîcheur biologique des aliments quotidiens, de l’écologie et de l’économie domestique.
Pour être durable, pour être vivante, pour être belle, pour être aussi populaire, la métropole ne peut être une caricature des villes tentaculaires, ni de Gotham City. Il est donc important que le temps de la préfiguration, que la loi a fixé à deux ans, soit utilisé par tous ceux qui aiment Paname tout autant que Pantin, et leurs villes tout autant que Paris, capitale de la France et ville monde, pour nourrir et infléchir le débat. Les récentes rencontres Niemeyer ont montré le chemin. Il faut espérer que, de toutes parts, cet exemple sera suivi. C’est dans la poursuite de cet échange d’idées que les contenus et les contours futurs de la métropole parisienne seront durablement définis et feront loi.