9 Octobre 2009
Voici la tribune qui paraîtra cette semaine dans Le Moniteur mensuel dédié au secteur de la construction et du btp, de l'immobilier et du cadre de vie.
"Comme de nombreux élus territoriaux, je veux souligner les dangers du texte de loi sur le Grand Paris qui voit l’Etat mettre à mal la décentralisation et faire fi des élus, des territoires et des populations. Dangereusement simplificateur par son objectif (asseoir le statut de ville-monde de la capitale française), il se limite pour l’essentiel à créer de nouveaux outils destinés à faciliter la mise en œuvre rapide du schéma de transport métropolitain.
Nous avons souvent sollicité l’Etat lorsque le respect du principe d’égalité, la cohésion sociale ou l’ampleur des projets exigeaient des réponses autres que locales. Mais cela ne saurait justifier une gestion autoritaire du dossier. L’efficacité n’est pas synonyme de précipitation, ni de simplification. L’Etat se doit d’être exemplaire en matière de respect démocratique du rôle des collectivités. En ce sens la nouvelle «Société du Grand Paris» ne saurait dessaisir les collectivités des nouveaux projets stratégiques territoriaux (définis unilatéralement par décret du Conseil d’Etat dans leur périmètre comme dans leurs orientations d’aménagement).
Ce qui a été rendu public des pistes de recherche de financement travaillées par la mission Carrez renforce notre inquiétude. Si on rassemblait, comme c’est proposé, tous les financements de transports jusqu’en 2025 sur un seul projet d’infrastructure, on invaliderait toute possibilité de projets complémentaires au service des populations. Or, le schéma de grand métro en rocade est intéressant parce qu’il peut constituer l’architecture rapide d’un maillage complexe et inter-centres. Mais il serait facteur d’aggravation de l’éviction des plus modestes, s’il devait être le seul nouvel équipement de déplacements. Quant aux augmentations tarifaires prévues, au lieu de rééquilibrer, elles ne feraient qu’accentuer la pression financière sur les couches sociales les plus modestes, qui sont aussi les moins bien desservies, et qui, habitant loin du centre, ont la plus lourde charge en coût de transport.
Aucun projet sérieux ne peut être envisagé en dehors d’un ancrage territorial. Les études et travaux, en particulier ceux des dix équipes d’architectes de la consultation internationale, ont mis en évidence la complexité de toute métropole, faite de pôles et de réseaux. Ils ont souligné aussi l’urgence, pour la métropole francilienne, de rompre par des projets novateurs, avec des inégalités territoriales aiguës. Il est urgent de trouver des modalités de partenariat innovantes associant Etat et collectivités pour un projet métropolitain partagé qui n’oppose pas développement économique et développement social, et ne sépare pas les territoires entre exclusion et cumul des richesses. A défaut, la survalorisation d’un hyper centre élargi à la petite couronne, accélérée par les mesures de la loi, rejetterait toujours plus loin les populations modestes et même moyennes.
Changer de logique est indispensable et urgent, en premier lieu pour répondre aux exigences environnementales et sociales. Cela passe par plus de citoyenneté, un plus grand respect de l’humain. La solidarité et la démocratie ne sont pas seulement des principes moraux : l’attractivité économique ne fait pas longtemps bon ménage avec l’exclusion, et l’exigence environnementale ne se conjugue bien qu’avec l’attention aux besoins humains et l’objectif de qualité de vie. Il est possible de fixer des objectifs ambitieux pour la ville de l’après Kyoto, autrement que par la taxation ou des zones à péage, dès lors que l’on partage l’élaboration des projets avec les territoires et les citoyens et citoyennes des villes, en partant de leurs besoins.
Le périmètre de la métropole francilienne ne saurait se limiter à la petite couronne. La notion de couronnes est d’ailleurs inappropriée : elle renvoie à une seule centralité et s’inscrit dans la poursuite de processus d’exclusion. Le développement durable et solidaire de l’Ile de France ne peut s’articuler que sur un réseau de pôles de centralités urbaines. Le moment serait venu d’en déterminer le nombre, répartis sur toute l’Ile de France.
Ce projet doit être avant tout un processus. Nous tenons, en tant que collectivités territoriales, à y participer en partenaires de l’Etat, égaux de bout en bout y compris pour la définition des orientations. Ce processus doit être global et non cloisonné : il ne doit pas y avoir d’accords seulement bilatéraux hors des cohérences d’un développement multipolaire. Il faudra donc tomber d’accord sur des méthodes de travail ensemble et définir un co-pilotage avec un véritable partage du pouvoir de décision. C’est la meilleure façon de nous mettre sur la voie d’une gouvernance complexe respectueuse des échelles de territoires et de la diversité.
Patrick Braouezec