12 Mai 2010
Par Jacques Trentesaux,
A quelques jours du vote du projet de loi sur le Grand Paris, de nombreuses voix s'élèvent pour défendre l'intérêt stratégique du fleuve pour la compétitivité de la métropole.
"Il en va de l'avenir de notre pays. Soit nous acceptons l'évidence maritime pour notre économie, soit nous sommes condamnés au déclin." Antoine Rufenacht, maire (UMP) du Havre, a pris des accents gaulliens en clôturant le grand colloque qu'il a organisé le 4 mai dernier dans sa ville. La France, pays rural par excellence, doit en finir avec la seule logique continentale imposée par les Rois de France. Et comprendre, enfin, qu'il lui faut se tourner vers la mer par où transitent près de 85 % des marchandises mondiales.
A ses côtés, le président (PS) de l'agglomération rouennaiseLaurent Fabius et le maire (PS) de Paris, Bertrand Delanoë, lui emboîtent le pas. Fait notable: ces trois ténors politiques sont parvenus à surmonter leurs vieux conflits pour parler d'une même voix (voir leur déclaration finale dans l'encadré ci-contre).
"Le moment que nous vivons est sans précédent, entonne Bertrand Delanoë devant une salle acquise de plus de 1 000 personnes. Il s'agit de la première tentative de diagnostic commun et de projet d'action autour de la Seine par delà des clivages politiques." "Il faut passer à l'action, insiste Laurent Fabius, en évoquant la ligne à grande vitesse normande promise il y a plus d'un an par le président de la République. L'Etat doit apporter des "moyens massifs" et adopter une "procédure d'urgence".
Paris doit s'ouvrir à la mer
Le dernier livre de Jacques Attali, qui sort ce mercredi 12 mai, vient comme en écho à cette manifestation (1). "Paris ne pourra pas devenir une capitale mondiale sans un accès intégré à la mer", martèle l'écrivain (et chroniqueur à L'Express, ndlr). L'ouvrage, rédigé avec le concours d'une dizaine d'experts (Philippe Aghion,Antoine Grumbach, Hervé Le Bras, Erik Orsenna...) avance cinquante propositions pour y parvenir.
Les deux premières en constituent le socle: il convient de créer, d'ici fin 2010, une structure de commandement forte - un Etablissement public d'aménagement de la Seine dotée de compétences foncières - mais aussi un syndicat des régions normandes afin de "disposer d'un commandement territorial unifié". Ensuite, et seulement ensuite, il sera possible de bâtir une politique efficace.
Au passage, Jacques Attali égratine le projet de loi défendu parChristian Blanc, secrétaire d'Etat à la Région Capitale, dont l'adoption définitive est prévue d'ici la fin du mois de mai. Celui-ci prévoit pour l'essentiel la réalisation d'une double boucle de métro rapide autour de Paris.
"Dans les faits, le Grand Paris n'est qu'un Grand métro, assène l'ancien sherpa de François Mitterrand - aujourd'hui proche de Nicolas Sarkozy. Si l'ambition du projet en restait là, ce serait une erreur. Un Grand Paris autocentré conduirait au déclin de la capitale à l'échelle du demi-siècle."
L'enjeu logistique
Si Christian Blanc semble convaincu par l'analyse, il ne consacre cependant qu'un seul chapitre à la Seine à la fin de son livre sur le Grand Paris qui paraît également le 12 mai (2). "Une ville-monde qui attire et rayonne se conçoit mal sans un grand port", écrit-il.
Pour le secrétaire d'Etat, l'enjeu principal est logistique: il faut assurer la régularité et la sécurité d'acheminement des marchandises le long de l'axe-Seine avant de songer à la rapidité du transport. D'où son souci de mieux contrôler les "robinets" du fleuve (Le Port 2 000 du Havre en aval; le futur port de d'Achèresen amont) afin d'améliorer le débit du "tuyau" aujourd'hui très faible puisque le trafic fluvial annuel se limite à 150 000 conteneurs.
Au delà de la Seine, c'est bien entendu le fret ferroviaire qu'il importe de doper. Fait incroyable, un seul train opère chaque jour la liaison Le Havre-Paris! La faute, notamment, à l'engorgement de la ligne de chemin de fer qui sert également au transport des voyageurs.
L'intérêt de la nouvelle ligne à grande vitesse (LGV) de Normandie tient donc aussi à la libéralisation des voies qu'elle entraîne. Là réside en grande partie la pertinence économique du projet de LGV. Les élus sont aussi convaincus de la nécessité de multiplier les zones logistiques tout au long du fleuve et de les mettre en relation les unes avec les autres.
Ces différentes prises de position seront-elles en mesure de changer la donne? Pas sûr. Car l'Etat est sans le sou... et, à la grande surprise de Jacques Attali, n'a pas jugé bon d'intégrer les grands projets d'infrastructures dans le grand emprunt. Reste aussi à lever la contrainte environnementale. "Il ne faudrait pas figer la vallée de la Seine dans une image bucolique", alerte l'architecte Antoine Grumbach, alors que le dossier de classement de la boucle de la Roumare est en attente depuis plusieurs mois au ministère de l'Ecologie.
Un beau casse-tête à résoudre pour le gouvernement. "Si aucune décision n'est prise cette année sur une structure claire de gouvernance, sur le tracé de la LGV et sur les limites à apporter à la protection de l'environnement, alors rien ne se fera", assure Jacques Attali. Sombre présage.