28 Juin 2010
Ses successeurs, en revanche, ont tous voulu laisser une trace pérenne de la grandeur de leur règne. Amoureux de l'art moderne, Pompidou imposa Beaubourg au coeur de la capitale. Plus classique, Giscard d'Estaing fit de l'ancienne gare d'Orsay un écrin digne des peintres du XIXe siècle. Royal, Mitterrand légua à Paris le Grand Louvre, l'Opéra Bastille et l'Arche de la Défense. Chirac enfin mit en scène brillamment, quai Branly, sa passion des arts premiers.
Là, comme ailleurs, Nicolas Sarkozy s'est voulu en rupture. Et en un sens plus ambitieux, puisque c'est la France du XXIe siècle qu'il entendait redessiner. Deux vastes chantiers ont donc été ouverts, celui du Grand Paris et celui de la réforme des collectivités locales.
Dans les deux cas, le dessein initial ne manquait ni de cohérence ni d'allure. Qui pourrait nier que, sur l'ensemble du territoire, l'empilement des structures, la sédimentation des pouvoirs, l'enchevêtrement courtelinesque des responsabilités entravent plus qu'ils ne dynamisent l'action des acteurs locaux ? Et qu'il est nécessaire de simplifier cette marqueterie confuse ? De même, chacun admet que Paris étouffe dans des frontières inchangées depuis un siècle et demi et que, faute d'une vision suffisamment collective et globale, la région-capitale ne parvient pas à traiter à bonne échelle des problèmes aussi cruciaux que le logement, les transports et la crise des banlieues.
On allait donc voir ce qu'on allait voir ! Or que voit-on à ce jour ? Des chantiers mal engagés, confiés à des contremaîtres peu inspirés, paralysés par mille querelles et menacés, au bout du compte, de se terminer par des replâtrages à la petite semaine.
Certes, le projet de loi relatif au Grand Paris a été adopté il y a un mois par le Parlement, et la société chargée de le mettre en oeuvre est en cours de création. Mais, en réalité, rien n'est tranché. Les deux projets de métro concurrents - le "Grand Huit" du secrétaire d'Etat Christian Blanc et l'"Arc express" du président de la région Jean-Paul Huchon - seront tous deux soumis au débat public à l'automne, sans que l'on sache qui les financera ni comment. Plus amateur de cigares que de concertation, le secrétaire d'Etat a réussi à braquer bon nombre d'élus locaux et la plupart des architectes de renom initialement invités à la réflexion. Quant à l'indispensable dynamique collective, elle passe désormais par Paris Métropole, le syndicat mixte créé en 2006 par le maire de Paris, Bertrand Delanoë, pour conjuguer les énergies de la capitale et de sa banlieue ; même le président des Hauts-de-Seine, Patrick Devedjian, longtemps réticent, vient de rejoindre cette structure. Le Grand Paris se voulait, aussi, une machine de guerre contre le maire de Paris et le président de région, tous deux socialistes. A ce stade, c'est raté.
La réforme des collectivités locales - dont la discussion reprend en deuxième lecture au Sénat cette semaine - n'est guère mieux emmanchée. Depuis des mois, elle s'est engluée dans des querelles de boutique et des calculs électoralistes peu glorieux. N'ayant pas osé supprimer carrément le département pour simplifier le mille-feuille territorial, le président de la République a suivi les recommandations du comité préparatoire présidé par Edouard Balladur : rapprocher régions et départements en créant des "conseillers territoriaux" communs à ces deux collectivités.
Du coup, ce sont les modalités d'élection de ces nouveaux élus locaux et leur répartition département par département qui polarisent tout le débat. Avec, depuis l'automne, un véritable concours Lépine électoral. Initialement, Nicolas Sarkozy avait tranché, en octobre 2009 : les conseillers territoriaux seraient élus au scrutin uninominal à un seul tour pour 80 % d'entre eux et à la proportionnelle pour les 20 % restants. Le tollé avait été immédiat devant ce pâté d'alouette qui ne satisfaisait pas l'UMP, attachée au scrutin uninominal à deux tours (l'actuel scrutin départemental), et pas davantage les petits partis, du centre en particulier, attachés à la proportionnelle (l'actuel scrutin régional).
Pour sortir de l'impasse, le gouvernement a tranché à l'Assemblée nationale au printemps et rétabli le scrutin uninominal à deux tours. Nouvelle bronca, à la fois des sénateurs centristes, qui se voient les dindons de cette farce et réclament le rétablissement d'une dose de proportionnelle, mais aussi des défenseurs de la parité hommes-femmes, sévèrement mise à mal par ce mode de scrutin. On en est là de cette mêlée confuse. Quant à la répartition des 3 500 futurs conseillers territoriaux (contre 5 660 conseillers généraux et régionaux actuellement), elle fait toujours l'objet de comptes d'apothicaire, chaque département défendant âprement son bout de gras.
Et, pour couronner le tout, la révolte gronde dans les départements, majoritairement dirigés par la gauche, devant la dégradation de leurs finances. Non seulement la suppression de la taxe professionnelle a rendu un peu plus théorique encore l'autonomie fiscale des collectivités locales. Mais le transfert par l'Etat de charges sociales de plus en plus lourdes, sans compensation financière adéquate, plombe chaque année un peu plus les budgets départementaux.
Lancés en fanfare au printemps 2009, le projet du Grand Paris et la réforme des collectivités locales devaient compter parmi le grand oeuvre du quinquennat. Ils sont en train de tourner au grand gâchis : leur ambition initiale s'est engluée dans les méandres technocratiques ou les bricolages politiciens. On peut douter que les citoyens y trouvent leur compte.
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