9 Octobre 2009
Article publié le lun, 12/10/2009 - 13:06, par Gérard Desportes - Mediapart.fr
Du siège de La Défense, c'est un cadre supérieur de l'Epad qui le dit : « Pour nous cette histoire de Jean Sarkozy est une catastrophe. Tout le monde sait que le président n'a aucun pouvoir, il ne signe aucun contrat, n'este pas en justice, il ne fait qu'approuver les délibérations du conseil d'administration. De ce point de vue, Devedjian ou Jean Sarkozy, c'est pareil. Le vrai patron, c'est le directeur et, au-dessus de lui, le contrôleur général des finances qui dit s'il est possible ou pas d'engager les dépenses. »
Car comme l'a annoncé Le Point, jeudi 8 octobre, le fils du président de la République, Jean Sarkozy, devrait être élu à la tête de l'établissement public qui gère La Défense (1 milliard d'euros de chiffre d'affaires en 2008) à la place de Patrick Devedjian, atteint par la limite d'âge. Pendant le week-end, la vague de protestation et d'indignation n'a cessé de monter. La droite a de plus en plus de mal à justifier la nomination. L'affaire dérange jusqu'au sommet de l'Epad, qui se passerait bien d'un tel scandale, pour une fonction qui, plus est, assez largement honorifique.
Raison de plus pour mesurer ce lundi matin l'étendue des dégâts. La propulsion de Jean Sarkozy à la tête du mieux doté des établissements publics ne passe pas. La pétition lancée par Christophe Grébert (élu MoDem de Puteaux) pour réclamer de Jean Sarkozy qu'il se retire de la course aux honneurs ne cesse de gagner de l'ampleur. Difficile de suivre maintenant la progression du nombre de signataires puisque le texte est repris ici ou là sur plusieurs sites, mais le nombre global dépasse largement les 40.000 paraphes. Les radios qui donnaient ce matin la parole à leurs auditeurs ont également été submergées par les appels de protestation.
D'ailleurs, la gauche l'a bien compris qui n'essaye même plus de déclencher l'émotion mais se contente d'accompagner, en maniant l'ironie. Tel Laurent Fabius sur France Inter ce matin : « De qui a-t-on besoin pour diriger le quartier d'affaires francilien ? On a besoin de quelqu'un qui soit un très bon juriste. Or M. Sarkozy est en deuxième année de droit, c'est déjà un élément très, très fort.» Et il a poursuivi, sur un ton toujours très sérieux : « On a besoin de quelqu'un qui connaisse bien les affaires, c'est (...) un grand quartier d'affaires, je pense qu'il peut y avoir quelques prédispositions.» Ravageur.
Mais la gêne est surtout palpable à droite. Comme Jean Sarkozy n'a pas de diplôme, Xavier Bertrand dans Le Parisien du jour a cherché secours auprès du suffrage universel (et de l'élection du fils du chef de l'Etat en mars 2008 comme conseiller général): «Le début du parcours de Jean Sarkozy est dû à une seule chose : l'élection. Il n'y a rien de plus noble que la confiance des électeurs», explique le secrétaire général de l'UMP, « voilà sa légitimité et, aujourd'hui, il veut se consacrer à fond à son département.» Hervé Novelli, le secrétaire d'Etat au commerce, a tenté de se placer sur ce même registre. C'était sur RTL : « Jean Sarkozy a le droit de tenter et de réussir sa carrière», a-t-il plaidé. « Je n'aime pas qu'on attaque à cause des noms.»
En réalité, et devant la multiplication des actes d'autorité de Nicolas Sarkozy ces derniers jours, cette affaire a tout de l'affaire de trop.
Une sortie honorable
On peut même se poser la question de savoir si Jean Sarkozy va pouvoir maintenir intacte son ambition. Le parcours imaginé par les soutiens du rejeton est connu. Le 23 octobre, le conseil général des Hauts-de-Seine se réunit. Hervé Marseille, qui est membre du conseil d'administration de l'Epad au nom du département, démissionnera de son poste. Les élus UMP et Nouveau Centre devraient proposer que le fils du chef de l'Etat entre donc au conseil.
Pour juger des mérites comparés de l'un et de l'autre, nous sommes allés consulter les CV des deux protagonistes sur le site du conseil général des Hauts-de-Seine et les livrons sans malice et en toute exhaustivité à la sagacité des lecteurs.
Comme tout établissement public, le CA de l'Epad est constitué paritairement de hauts fonctionnaires qui représentent l'Etat (les ministères du développement durable, de l'intérieur, de l'économie, de la culture), en tout, huit personnes, et de représentants des collectivités locales. Or parmi elles, Patrick Jarry pour Nanterre, Pierre Mansat pour Paris, sont membres du PCF, Serge Méry pour le Syndicat des transports d'Ile-de-France et Marie-Laure Meyer pour le conseil régional sont socialistes (cette dernière habite par ailleurs la ville de Nanterre). Donc, rien ne dit que Jean Sarkozy soit élu. Pour l'instant, les positions des uns et des autres n'ont pas réussi à se retrouver, par exemple Pierre Mansat a fait savoir qu'il ne prendrait pas part au vote. Mais c'était avant la mobilisation populaire...
La gauche pourrait proposer un candidat et laisser l'Etat arbitrer. Habilement, Patrick Jarry propose même à la droite une solution de repli avant que le scandale ne se transforme en désastre. Le maire communiste propose aux deux autres communes de Puteaux et de Courbevoie, c'est-à-dire à Joëlle Ceccaldi-Raynaud et Jacques Kossowski qui participent avec lui au Conseil et sont élus UMP, d'en assurer la présidence tournante. Dans cette hypothèse, le conseil général des Hauts-de-Seine ne serait pas humilié (et pourrait désigner Jean Sarkozy le 28 octobre si bon lui semble) et la polémique se dégonflerait puisque Jean serait privé de la présidence. Nous n'avons pas pu joindre les élus PS.
Officiellement, la direction de l'Epad ne dit rien. « En tant qu'élu au conseil général des Hauts-de-Seine, Jean Sarkozy a toute légitimité pour être désigné comme administrateur puis pour se présenter à la présidence », estime la directrice de la communication de l'établissement, Dominique Boré. Ni Philippe Chaix, le directeur général de l'Epad (ancien préfet, ancien membre du cabinet du maire de Paris en 1986, ancien conseiller de Paris RPR), et encore moins Jacques Bachelin (le contrôleur des finances), ne se sont exprimés et ils ne diront rien.
Mais pour eux, cette affaire tombe au plus mal. Le népotisme sarkozyen contrecarre le véritable enjeu voulu par l'Etat et qui est de rapprocher les établissements de La Défense et de Seine-Arche. Le 14 octobre 2008, il a été décidé que les deux ensembles ne feraient plus qu'un en 2010. Or ce genre de fusion, en termes d'équipes comme du point de vue des projets en cours, ne se fait pas dans la tourmente, tout simplement parce que la fusion va créer d'énormes tensions en interne avec un DG, un DRH... Dans un contexte où, avec l'hypothèse du parachutage du fils Jean, les critiques en République bananière ne manqueront pas, l'exercice risque tout simplement de tourner à l'impossible.
Bref, si l'on ajoute tous les inconvénients de cette méchante mayonnaise, il serait peut-être temps pour la Sarkozie de revenir en arrière.