23 Novembre 2009
La discussion autour du projet de loi relatif au Grand Paris tend à mettre en cause son rabattement sur un schéma de transports, pour peser les vertus respectives d’un parcours aérien ou souterrain ou à incriminer son manque de vision globale pour l’Ile de France. Là n’est pas la question : au sein d’une « République décentralisée », il n’est pas de la légitimité de l’Etat de définir cette vision. En revanche, il lui revient bien d’énoncer une stratégie de développement de la région-capitale, c’est-à-dire définir les conditions de sa contribution optimale à la performance de la France dans le contexte de la mondialisation.
Sur ce plan, ce projet propose comme préalable implicite une rupture doctrinale tout à fait justifiée avec un des dogmes fondateurs de « l’aménagement du territoire à la française », celui du rééquilibrage entre Paris et la province. Avec l’attractivité renouvelée des grandes villes et du tissu rural, cette posture n’était plus de mise. Mais comment alors affirmer la place de la première métropole française dans le monde ? Pour relever ce défi, le projet de loi formule une hypothèse stratégique : la globalisation constitue une échelle inédite dans la concurrence internationale, à laquelle il faut répondre en « ajoutant » des facteurs de compétitivité à la métropole, soit « à côté » (c’est la proposition séduisante de l’extension de Paris jusqu’au Havre), soit « au-dessus », et c’est la couche supplémentaire des « clusters », de la recherche et de l’innovation, de La Défense à Saclay en passant par Le Bourget, desservis par le fameux « grand huit ». Or cette hypothèse est tout à fait discutable.
Il n’est d’abord pas certain que la question de l’ouverture au monde au XXIè siècle se joue sur le plan des échanges marchands maritimes. Et peut-on décréter ainsi la rupture avec la permanence d’une histoire longue davantage continentale que maritime ? Mais surtout la mondialisation ne constitue pas un niveau en plus, à l’extérieur, mais un processus qui produit une nouvelle figure de la ville – la métropole après l’agglomération - où les liens en réseau désorganisent la continuité des lieux.et génèrent de multiples contradictions entre le global et le local. Autrement dit, la mondialisation n’est pas un défi du dehors, mais du dedans de la métropole.
Sur le plan économique, se mettre à sa hauteur ne consiste pas à ajouter quelques « clusters », en espérant un effet –locomotive qui n’est nullement garanti. C’est plutôt sur l’ensemble du territoire métropolitain qu’il faudrait miser. Les affaires et la finance ne sont pas l’exclusivité du pôle de La Défense mais l’attribut de tout l’ouest parisien. L’excellence scientifique ne se joue pas sur Saclay mais à l’échelle d’un cône Sud de l’innovation, entre la Montagne Ste Geneviève, Evry et Saclay. Le tourisme et la culture – au-delà de la puissance de Paris intra-muros – s’étendent aujourd’hui vers le Nord et l’Est, sur des registres davantage contemporains que patrimoniaux. Enfin et surtout, la performance de ces activités d’excellence dépendra de l’étroitesse de leurs relations à la métropole ordinaire, celle de la logistique, du BTP ou des services.
Sur le plan social, l’enjeu n’est pas de minimiser le risque d’émeutes sociales et d’atteinte à l’image internationale de Paris, au travers d’un « détour » du grand huit par Clichy-Montfermeil mais de développer résolument un cosmopolitisme métropolitain. A Paris, comme dans les autres métropoles du monde, la métropolisation s’accompagne d’un développement des migrations internationales. Ailleurs considéré comme une ressource essentielle de l’attractivité métropolitaine, cet enjeu est totalement passé sous silence dans le projet du Grand Paris. Sont tout autant occultés le potentiel créatif induit par ce nouveau cosmopolitisme que les nouvelles figures de la pauvreté qu’il engendre.
En initiant le projet du Grand Paris, l’Etat a bien perçu le défi pour la France que constitue la question métropolitaine. Mais en décalquant les recettes des années soixante à l’époque de l’agglomération parisienne, mises au goût du jour, selon une géographie dilatée (un métro automatique succédant au RER, et des clusters aux villes nouvelles), sa réponse n’est pas à la hauteur. C’est à « faire métropole » qui faudrait collectivement s’attacher.
Daniel BEHAR, est professeur associé à l’Institut d’Urbanisme de Paris, Philippe ESTEBE à Sciences Po Paris.
Tous les deux sont consultants à la coopérative Acadie.