11 Février 2008
Chronique d’Annie Fourcaut, historienne Histoire Paris /Banlieue (1)
A contretemps, la construction des Fortifications
La construction des Fortifications entre 1841 et 1845, à l’initiative d’Adolphe Thiers, enferme Paris dans une muraille militaire, alors que les autres métropoles occidentales arasent leurs enceintes, remplacées par des boulevards, et que les élites urbaines prônent l’ouverture des villes. La crise d’Orient entre la France et l’Angleterre et la crainte d’une nouvelle invasion liée au souvenir de celles de 1814 et 1815 réactivent ce projet qui datait des années 1830 ; la tension internationale justifie la logique militaire, alors que l’opposition républicaine et libérale refuse “ l’embastillement ” de Paris, qu’elle juge guidé par des préoccupations policières. Les conséquences sur le développement urbain sont occultées : si cette construction suscite un vaste débat politique, les plaintes des communes périphériques dont le territoire est soit amputé, soit enfermé par le mur d’enceinte sont ignorées, comme celles des communes dont le territoire se trouve réduit d’une portion de leur espace classé en zone non aedificandi. Le souvenir de la violence de ce découpage reste aujourd’hui encore extrêmement vif dans les communes qui en ont été victimes. L’enceinte militaire crée une nouvelle configuration spatiale autour de la capitale : un entre-deux, appelée “ la petite banlieue ”, qui comprend les communes, ou morceaux de communes (Gentilly ou Ivry) enserrés entre le mur d’octroi des Fermiers généraux et l’enceinte militaire ; celle ci, d’une largeur moyenne de 128 mètres, est formée d’une route de desserte, d’un mur avec courtines et bastions, percé de 52 portes, et précédé par un fossé et un glacis, sans parler de la couronne des 16 forts extérieurs. Enfin, à l’extérieur, une bande de 250 mètres grevée de servitudes, la zone. Cette construction militaire, jugée anachronique au moment de son édification, marque encore le partage des territoires entre Paris et sa banlieue et pose la question de l’annexion des communes suburbaines, résolue sous le Second Empire.
1860, la dernière annexion ?
L’annexion de 1859-1860 a été longtemps considérée comme une fatalité naturelle et inéluctable ; elle est réévaluée aujourd’hui, alors qu’on s’interroge sur la trop petite taille de la capitale. L’annexion est envisagée dès la monarchie de Juillet (1830-1848), mais la question du report de l’octroi à l’enceinte de Thiers et la nécessité de garder autour de Paris une banlieue non soumise à l’octroi, sorte de zone franche où vivent les plus pauvres, retardent la décision; sans doute le régime est-il alors trop faible pour l’imposer. Haussmann envisage plusieurs solutions, dont une annexion limitée à la banlieue nord-ouest, puis tranche, après un semblant de consultation des experts, en faveur d’une annexion uniforme de toutes les communes situées entre le mur des Fermiers généraux et les Fortifications. Précédée par une bataille d’images où la banlieue limitrophe est montrée comme une zone uniforme, dangereuse et dépendante de la capitale, la loi sur l’extension des limites de Paris du 16 juin 1859 s’appuie sur de nouvelles nécessités : accroître les revenus de la ville, lutter contre le dépeuplement de Paris au profit de la banlieue, réunir dans une même entité administrative la ville du pouvoir et des plaisirs et la ville du travail. D’ailleurs, annexion n’est pas assimilation et seule l’unification fiscale est rapidement mise en œuvre par l’administration, avec refonte du cadastre et uniformisation des prélèvements fonciers, dans le but d’homogénéiser le marché foncier de la capitale agrandie. A court terme, il s’agit bien d’une décision autoritaire qui vise d’abord à faciliter la vie des habitants de l’ancien Paris ; à moyen et à long ( ?) terme, elle fixe les limites de toute nature qui séparent Paris de ses banlieues et donne à Paris sa taille quasi-définitive. En 1860, l’intégration des communes du premier cercle suburbain dans de nouveaux arrondissements parisiens est assimilée à la domination tutélaire, voire féodale, de la capitale sur ses marges. L’annexion a également pour conséquence, plus heureuse, d’étendre les réseaux de commodités de la ville moderne, Paris, aux communes suburbaines de la première couronne : diffusion du gaz, distribution de l’eau, ou encore extension progressive des trottoirs et de l’éclairage public. Le temps des enceintes fortifiées, qui isolent Paris de son environnement, a laissé place à un temps prospère de diffusion des expériences municipales et des réalisations édilitaires.
Que faire des marges ?
La mise en place des limites entre Paris et la banlieue s’achève avec la décision de déclassement des Fortifications, dont l’inutilité militaire est avérée après les combats de 1870-1871. Discuté à partir des années 1880, ce projet mobilise de nombreux acteurs, élus, fonctionnaires, hygiénistes et réformateurs sociaux. La loi du 19 avril 1919 prévoit le déclassement et la démolition des Fortifications et l’annexion à Paris de la zone. Sont prévus alors le lotissement des terrains de l’enceinte et la création d’une ceinture de parcs sur la zone, après un long débat autour de projets antagonistes privilégiant la création d’une ceinture verte ou celle de logements sociaux. Après la Première guerre mondiale, sur les terrains libérés par l’arasement des bastions, la ville de Paris édifie par le biais d’un office public et de sociétés d’économie mixte environ 40 000 logements HBM, notamment grâce à la loi Loucheur ; ces immeubles de brique rose ou ocre, construits en îlots ouverts, représentent une ville annulaire de 120 000 personnes et forment une muraille discontinue autour de la ville. La cité internationale universitaire, le parc des expositions, le terrain d’aviation d’Issy-les- Moulineaux interrompent le linéaire des HBM. La libération de terrains autorise l’ouverture de négociations entre la Préfecture de la Seine et l’Archevêché de Paris pour la construction de lieux de culte entre 1930 et 1931, qui aboutissent à l’octroi de six terrains, dont trois sur les anciens bastions. Vichy vient à bout de l’expropriation des zoniers, occupants illégaux qui avaient colonisé la ceinture noire, et remet en chantier la question de l’aménagement des limites. Les plans d’aménagement de la région parisienne des années 1950 reprennent l’idée d’une rocade autoroutière doublant les boulevards des Maréchaux coté banlieue : la décision de construire le boulevard périphérique est prise en 1953 ; il est achevé en 1973. Le plan Lafay (1953) achève la construction de logements sociaux aux limites de Paris et sur les terrains de l’ancienne zone. Des logiques successives et souvent contradictoires ont produit le singulier fatras urbanistique qui borde aujourd’hui la capitale.
Annie Fourcaut, historienne