Ile-de-France:la nouvelle donne intercommunale.
L’Ile-de-France entre-t-elle dans la norme ? Il est vrai qu’après les balbutiements des premières années d’application de la loi Chevènement, les chiffres mettent désormais la région capitale au même rang que d’autres. La loi d’août 2004 sur la décentralisation est également passée par là. Autant de raisons de faire le point sur l’intercommunalité francilienne. Les premiers observateurs titraient naguère sur le “réveil” de la région capitale en matière de regroupements en communautés1. La carte de France 2005 de l’intercommunalité ne trahit guère plus de vide autour de la capitale que dans le reste de l’Hexagone et du Bassin parisien. De 47 à 94 le nombre d’établissements a doublé entre 1999 et 2005. Et le mouvement n’est pas en voie d’essoufflement : de 2004 à 2005, la population concernée a cru de 700 000 habitants, soit de 43 % à 54 % hors Paris pour une moyenne nationale de 82 %. À l’application de la loi Chevènement en 1999, l’Ile-de-France figurait bonne dernière avec 13 % de la population regroupée contre 55 % pour la moyenne nationale. Preuve s’il en est que, à l’exception peut-être du Val-de-Marne et de la Seine-Saint-Denis qui ont depuis marqué le pas, la loi Chevènement, n’aura pas été pour l’Ile-de-France un feu de paille. Au palmarès régional, la région capitale se situe certes en avant-dernière position avec 61 % des communes regroupées, (loin) devant la Corse qui n’en regroupe que 38 % mais d’un ordre de grandeur comparable à plusieurs de ses homologues : Centre (63 %) ou Champagne-Ardenne (68 %). Une région entrée dans le rang. Le développement des communautés va de pair avec un double mouvement de rééquilibrage de l’Est vers l’Ouest et de grande vers la petite couronne. En quelques années, la carte de l’Ile-de-France 2005 de l’intercommunalité. (voir l’article “7 départements à la loupe”) s’est non seulement étoffée, mais a acquis de l’homogénéité. Effet de rattrapage oblige, l’intercommunalité francilienne s’affirme même comme une pièce maîtresse de l’évolution nationale. De 1999 à 2005, la part de l’Ile-de-France dans la population intercommunalisée est passée de 4,1 à 9,1 %. Quant à celle de communautés d’agglomération, à hauteur de 15 %, elle se rapproche de la proportion absolue de la population de l’Ile-de-France. En 2005, sur les 7 communautés d’agglomération créées, les résultats nationaux en doivent 3 à la seule région capitale (CA Sud de Seine, Cœur de Seine et Marne et Gondoire) et 12 sur les 57 communautés de communes (une sur cinq). Des différences... capitales Un défi pour l’intercommunalité. Un rattrapage quantitatif tout à fait significatif s’est opéré. Mais les éléments d’originalité et discriminants de l’intercommunalité francilienne demeurent (voir interview d’Agnès Parnaix, ci-dessous). Une vaste métropole de 10,5 millions d’habitants qui ne peut décidément pas se satisfaire des mêmes outils de coopération qu’ailleurs reste la question majeure. À défaut de la constitution d’une communauté du “Grand Paris”, un tissu urbain dense et continu, en particulier en petite couronne, rend problématique la définition de périmètres. Plus qu’une logique de territoire prévaut ici la capacité à travailler ensemble, la convergence politique entre élus et des facteurs d’homogénéités : historiques, géographiques. La constitution de communautés qui démembrent l’agglomération parisienne ne correspond pas non plus forcément à un bassin de vie ou d’emploi et n’aboutit pas à la constitution d’agglomérations au sens traditionnel du terme dotées d’une ville centre. D’autres éléments discriminants persistent. L’Etat exerce ici des compétences que tiennent ailleurs les communes et leurs groupements : transports, eau, assainissement, déchets, ce qui n’encourage guère l’exercice des compétences dans un cadre intercommunal. Parallèlement, préexistent de nombreux syndicats intercommunaux qui assurent déjà les mêmes fonctions de gestion ou de développement que les agglomérations. La masse critique des communes, enfin, à 5 000 habitants au lieu de 1 600 au niveau national a longtemps rendu moins évidente la problématique intercommunale. Des solutions alternatives. En cinq ans d’application de la loi Chevènement, la pratique a certes largement confirmé l’adaptation à l’Ile-de-France d’un texte qui en laissait sceptique plus d’un. Mais les éléments d’originalité très forts sont de nature à encourager des expérimentations en matière de recherche de périmètres et de modes d’action de l’action publique locale. Parmi elles, se distingue l’Association des collectivités territoriales de l’Est parisien (ACTEP). Un statut associatif rare dans ce domaine créé en 2000 et qui regroupe aujourd’hui 22 collectivités (20 communes et 2 départements). La volonté d’un fonctionnement simplifié : le Conseil d’administration est réduit à sa plus simple expression avec 22 élus et l’association n’emploie que 5 salariés. Pas de ponction fiscale, donc. Et même si l’association n’est pas maître d’œuvre, son fonctionnement en réseau permet de coordonner l’action des collectivités adhérentes. Un projet d’implantation économique est mutualisé à l’échelle de l’association. Inversement, une demande reçue par une commune qu’elle ne peut traiter est transmise au groupement. Ni concurrence stérile, ni doublon, donc au sein de ce périmètre qui compte à son actif l’implantation d’un lycée international. Divers conseils de développements proposent ailleurs, sous forme de syndicats, une alternative aux formes institutionnelles issues de la loi Chevènement : Vallées Scientifique et technologique de la Bièvre, Seine Amont développement dans le Val-de-Marne, l’établissement public d’aménagement Plaine de France en Seine-Saint-Denis. Un profil particulier. La communauté d’Ile-de-France demeure aussi très typée et bien différente de ses homologues de province (voir encadré). Moins étendue, plus peuplée et donc plus dense, elle exerce également davantage de compétences, en particulier orientées vers la réalisation d’équipements et d’infrastructures. “La logique de projet qui domine dans l’intercommunalité francilienne correspond à la mise en cohérence de services existants par transfert de compétences : politique de la ville, réseaux, travail prospectif”, souligne à l’IAURIF Agnès Parnaix. Là encore, la présence de la capitale introduit un élément discriminant dans la répartition des types de communautés. On ne sera pas surpris de trouver 24 des 27 communautés d’agglomération dans un rayon de 30 km autour de Paris, 24 % seulement de la superficie régionale : elle correspond au noyau d’urbanisation dense de la région. Plus significatif, en revanche, est l’augmentation notoire de la superficie des groupements avec l’éloignement de la capitale : la communauté moyenne possède en moyenne entre 4 et 5 communes dans les départements de petite couronne, de 7 à 9,8 (maximum atteint par la Seine-et-Marne) en grande couronne. Le nombre de compétences baisse également en grande banlieue. “De même la nature des compétences exercées se rapproche, avec l’éloignement en banlieue, de celle que l’on trouve en région”, poursuit la chargée d’études de l’IAURIF. Heurs et malheurs de l’intercommunalité francilienne: Bien des progrès restent donc à accomplir pour une intercommunalité francilienne plus efficace. La structuration actuelle du territoire francilien en communautés, outre les spécificités évoquées, souffre de nombreux défauts qu’elle ne partage guère avec la province. Au diable les idéaux de solidarité et de complémentarité territoriale introduits par la loi sur l’intercommunalité : on se marie entre copains ! Et tant pis pour les économies d’échelle tant attendues. Cas exceptionnels en France, les communautés jumelles unissant deux villes entre elles sont ici légion. Même unies par des intérêts et un passé communs, on peut douter de la réelle pertinence d’un périmètre aussi étroit. Clichy-Montfermeil, Nogent-le Perreux (“Vallée de la Marne”), Boulogne-Billancourt et Sèvres (“Val de Seine”), plus récemment communautés de communes de Charenton-le-Pont-Saint-Maurice, et Châtillon-Montrouge. Le Sud des Hauts-de-Seine qui a connu en trois ans une petite révolution est également éloquent à cet égard. Alors que “l’idéal serait de structurer une communauté d’agglomération sur tout le Sud du département ce qui représente onze communes”, selon Philippe Laurent à son arrivée à la mairie de Sceaux en 2012, le secteur s’est depuis constitué en communautés reflétant étroitement les clivages sociaux et politiques de son territoire : la communauté d’agglomération des Hauts-de-Bièvre a initié la démarche en 2003 en regroupant des municipalités UMP comprenant des populations de classes moyennes et aisées. À leur tour se sont constituées séparément les communautés Val de Seine puis Arc de Seine autour d’Issy-les-Moulineaux et Boulogne-Billancourt, reflétant étroitement la présence de deux poids lourds de la politique, André Santini et Jean-Pierre Fourcade. La communauté Cœur de Seine a ensuite forgé un destin commun à Saint-Cloud, Garches et Vaucresson. Dernières en date, la communauté d’agglomération Sud de Seine fait converger entre elles deux municipalités socialistes Fontenay-aux-Roses, Clamart et deux communistes Bagneux et Malakoff et la communauté de communes Châtillon-Montrouge deux communes populaires de tradition ouvrière... En Seine-Saint-Denis, la communauté d’agglomération Plaine Commune, de son côté, compte 6 municipalités communistes sur 8. La constitution du périmètre de la communauté d’agglomération du Haut-Val-de-Marne l’a montré. Il n’existe pas en Ile-de-France de travail avec les communes en difficulté en matière d’intercommunalité. Le risque est fort de ne voir que reproduire les inégalités communales dans un cadre élargi aux communautés. Le maillage territorial en Ile-de-France horizon 2008: Ainsi, peut-on attendre un rattrapage dans les années qui viennent. L’étroitesse des périmètres intercommunaux a d’ores et déjà été prise en compte par les représentants de l’Etat. Le projet pour 2006 de communauté de communes unissant Saint-Maur à Joinville (voir encadré “10 projets pour 2006”) a été rejeté par le Préfet au profit d’une union avec un groupement existant, a priori l’agglomération du Haut-Val de Marne. Ailleurs, les extensions de périmètres demeurent rares. On ne relève guère que l’entrée de La Courneuve dans Plaine Commune. La loi d’août 2004 sur l’Acte 2 de la décentralisation, en favorisant les fusions d’établissements, laisse espérer une taille critique plus importante des communautés. On peut en attendre aussi de remédier aux discontinuités territoriales qui persistent en Ile-de-France malgré l’obligation fait par la loi de 1999. Des communes de Seine-et-Marne qui avaient quitté la communauté de communes de la GERBE pour celle du Provinois ont dû à nouveau rejoindre leur groupement initial. Et une commune de l’agglomération de Mantes-en-Yvelines demeure isolée. Vers quoi s’acheminent la coopération intercommunale et le paysage administratif local en Ile-de-France ? L’évolution la plus spectaculaire serait la création d’un conseil du “Grand Paris” qui irait jusqu’aux villes nouvelles ou la Francilienne et verrait la disparition des départements de petite couronne. En l’absence de ce scénario peu envisageable, la tendance actuelle semble devoir se poursuivre, confirmée par le maintien d’un rythme de création soutenu pour l’année 2006 (voir encadré) : une dizaine de structures nouvelles au total. Point de fusion ni d’extension de périmètres signalées en revanche ... Et, comme dans le reste de l’Hexagone et en dépit des spécificités de la région capitale - comme les déclarations du Préfet de l’Essonne l’ont montrée - une couverture complète du territoire en EPCI est même envisageable, l’ensemble des communes franciliennes étant potentiellement concerné à l’exception de la première d’entre elles... Paris. Olivier Sourd