Rédigé par Pierre MANSAT et publié depuis
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Ce que cache la nomination de Jean Sarkozy à La Défense Par Julien Martin | Rue89 | 16/10/2009 | 16H51 Son installation à la tête de l'Epad se déroule sur fond de simulacre d'élection, de fusion contrariée et de finances délabrées.51% des sympathisants de droite estiment que la probable arrivée de Jean Sarkozy à la présidence du conseil d'administration de l'Epad (Etablissement public d'aménagement de La Défense) constitue « plutôt une mauvaise chose », selon un sondage CSA pour Le Parisien. Pourquoi le « clan du 92 », toujours emmené par Nicolas Sarkozy, prend-il un tel risque à cinq mois des élections régionales ? Les dessous d'une nomination qui agite le plus grand quartier d'affaires d'Europe.Une nomination et non une élection Peut-on parler de nomination ? Selon les textes, non. Le décret qui régit l'Epad est limpide : « Le président est élu pour la durée de son mandat d'administrateur. » Et d'ailleurs la quasi totalité de la majorité UMP, qui a fait bloc -face caméras au moins- derrière Jean Sarkozy, n'a pas manqué de le rappeler, François Fillon en tête, mardi sur RTL : « Ce président du conseil d'administration est élu. Il n'est pas nommé, il est élu. J'entends toute la journée sur les ondes depuis hier [lundi] soir, dire que le président est nommé. Le président n'est pas nommé. Il est élu et il est choisi, c'est la loi qui le dit, parmi les élus du conseil général des Hauts-de-Seine. »D'une part, comme nous l'avions écrit, le Premier ministre se trompe car le président de l'Epad peut être élu parmi les 18 administrateurs. D'autre part, en regardant ledit décret de plus près, on s'aperçoit qu'il est usurpé de parler d'élection au sujet de Jean Sarkozy vu les électeurs en question.Il a d'abord été désigné pour devenir administrateur par les membres du groupe UMP-Nouveau Centre-Associés du conseil général des Hauts-de-Seine, dont le président de groupe est… lui-même. Autant dire que cela a commencé par une formalité. Huit fonctionnaires « estimés plus dociles » Le 4 décembre, lors du conseil d'administration de l'Epad qui devra élire le prochain président de l'établissement public, Jean Sarkozy n'aura qu'à réunir sur son nom « la majorité absolue des membres présents » pour être élu, soit au moins 10 administrateurs si les 18 sont présents. Là encore c'est gagné d'avance : neuf représentent les ministères compétents et sont nommés par le gouvernement, et deux -lui-même et Patrick Devedjian- représentent le conseil général des Hauts-de-Seine.Et pour ne laisser vraiment aucune place au hasard, entre février 2008 et septembre 2009, huit de ces neufs fonctionnaires ont été, à l'instigation de l'Elysée, « remplacés par d'autres, estimés plus dociles », selon Le Canard enchaîné de cette semaine.Sans compter que c'est loin d'être la seule intervention du chef de l'Etat pour cette « élection ». « Un projet de décret levant la limite des 65 ans pour présider à l'aménagement de La Défense a été retoqué à l'Elysée », a affirmé l'AFP. Matignon avait pourtant donné son feu vert, mais cela aurait permis à Patrick Devedjian de pouvoir conserver la présidence de l'Epad, et il n'en était évidemment plus question dès lors que les ambitions du fils Sarkozy étaient connues.Quant à la nécessaire place vacante de représentant du conseil général des Hauts-de-Seine au conseil d'administration de l'Epad, cela a été réglé plus vite encore. Hervé Marseille a été très opportunément nommé au Conseil économique et social. On a décidément connu élection plus naturelle.Un projet de fusion contrariéSi avec cette nomination, donc, Nicolas Sarkozy espérait créer un écran de fumée sur les problèmes à La Défense, c'est raté. Pire, en s'intéressant plus précisément à l'actualité de l'Epad, on découvre que son avenir n'est pas rose. A vouloir une nouvelle fois imposer ses volontés au pas de charge, le président de la République prend le risque d'aller dans le mur.Déjà premier quartier d'affaires en Europe, le chef de l'Etat entend quintupler sa superficie. Au cœur de l'été, deux projets de décret ont vu le jour. Ils organisent la fusion de l'Epad (160 hectares sur les communes de Puteaux et Courbevoie) et de l'Epasa (Etablissement public d'aménagement Seine-Arche, 320 hectares sur la commune de Nanterre), ainsi que l'ajout de 300 hectares sur les communes de Nanterre et de La Garenne-Colombes. S'il voit le jour, le nouvel ensemble de 770 hectares devrait être baptisé Epadsa (Etablissement public d'aménagement de La Défense Seine-Arche).Les quatre municipalités concernées, le conseil général des Hauts-de-Seine et le conseil régional d'Ile-de-France ont jusqu'au 4 novembre pour rendre un avis. Et les choses sont très mal engagées. La région a déjà dit non et Nanterre s'apprête à faire de même. Contacté par Rue89, le maire communiste Patrick Jarry ne prend pas de gants pour exprimer le fond de sa pensée : « Si le président de la République, qui est à la manœuvre, a choisi de présenter son fils avec une telle précipitation, il faut se demander pourquoi, car il a pris un vrai risque politique, y compris à l'international.S'il l'a fait, c'est qu'à côté de cette candidature, il y a ces deux décrets qui ont pour but de permettre à l'hypothétique Epadsa de prendre le contrôle de tout l'ouest parisien, et surtout de Nanterre qui verrait son pouvoir s'échapper sur 46% de son territoire ! Ce projet n'est motivé que par des raisons économiques, alors que nous prônons un développement raisonnable, plus conciliant avec l'humain et l'habitat. »Pour s'opposer -au moins symboliquement- à cette stratégie, Patrick Jarry s'est aussi porté candidat à la présidence de l'Epad, ne voyant pas en quoi il serait « moins légitime que Jean Sarkozy », d'autant que 70% de l'Epadsa seraient sur sa commune. « Arrêtons de nous imposer n'importe quoi » Qu'une région socialiste ou une mairie communiste se prononce contre ces projets de décret gouvernemental peut sembler logique. Là où l'affaire se complique, c'est que le conseil municipal de Courbevoie, dirigé par le député-maire UMP Jacques Kossowski, a également voté non, et à l'unanimité, même s'il est davantage opposé aux décrets eux-mêmes qu'au principe de la fusion : « Ce n'est pas parce que je suis UMP qu'il faut dire oui à tout, surtout si ce n'est bon ni pour ma ville ni pour la démocratie. Ces décrets ont été élaborés trop rapidement. On ne m'a pas consulté, c'est moi qui ai consulté. J'ai posé des questions et personne ne m'a répondu.On est une ville quand même, on représente quelque chose ! On a été élu par des administrés ! Arrêtons de nous imposer n'importe quoi, ou alors qu'on le dise clairement et que l'on ne fasse pas semblant de nous demander notre avis. »Puteaux (UMP) ne s'est pas encore prononcée, et La Garenne-Colombes (UMP) ainsi que le conseil général des Hauts-de-Seine (UMP) devraient en revanche rendre un avis favorable. Reste que ces avis ne sont que consultatifs, comme celui que devra rendre ensuite le Conseil d'Etat.Au cas où le gouvernement déciderait de passer outre les avis négatifs et de signer les décrets, Nanterre a déjà préparé la riposte : plaider l'inconstitutionnalité. Comme l'a rappelé une jurisprudence du Conseil constitutionnel en 2007, les articles 34 et 72 de la Constitution disposent que c'est la loi qui organise la libre administration des collectivités territoriales. Or, il s'agit en l'espèce, non d'une loi, mais de décrets. Des finances délabrées Si cette fusion ne se réalisait pas, le revers pourrait être très douloureux pour l'Epad. L'établissement public de La Défense présente de « sérieuses difficultés financières », selon les termes du député-maire de Courbevoie. Les capacités d'autofinancement s'amenuisent et le plan financier 2009-2016 prévoit un solde fonctionnel déficitaire de 164,2 millions d'euros à l'horizon 2017.« La fusion est faite en partie pour éponger le trou de l'Epad », décrypte Pierre Mansat, l'Epasa étant, elle, bénéficiaire. L'adjoint communiste au maire de Paris et administrateur de l'Epad explique également que « la particularité du 4 décembre, c'est que ce n'est pas que la désignation du président du conseil administration de l'Epad, c'est aussi le jour d'examen du plan financier »…Les finances apparaissent au cœur de la nomination de Jean Sarkozy. S'il atteint son but, la machine à cash que constitue l'Epad reviendra dans le giron du « clan du 92 ». Fini le temps où Patrick Devedjian annonçait vouloir « nettoyer les écuries d'Augias », retour de la lignée des Charles Ceccaldi-Raynaud, Charles Pasqua, Nicolas Sarkozy et consorts. « Nous sommes face à des comptes en infraction » Président de la commission des Finances au Sénat, Jean Arthuis, interrogé par Rue89, ne dit pas autre chose et semble craindre le pire avec l'arrivée aux commandes de l'Epad du fils du président de la République : « Ce qui était fait avant 2007 n'avait aucun sens. Il y avait manifestement une espèce d'inertie pour cultiver l'opacité, chaque commune finançant des opérations locales à partir de l'Epad. Nous avons fait une visite le 22 septembre dernier sur le site, avec le président de la 7e chambre de la Cour des comptes, qui nous a rassuré. Depuis deux ans, M. Devedjian a fait preuve de volonté et de clarification des comptes.Le gouvernement a énoncé des principes de bonne gouvernance. Je souhaite maintenant que l'Etat soit garant du respect de ces principes. Je ne veux pas entrer dans le débat de sa légitimité, mais disons qu'un président du conseil d'administration de l'Epad est une personne qui est en charge de responsabilités éminentes.Il s'agit de définir la stratégie de l'établissement et de la mettre en oeuvre avec le directeur général, d'arrêter les comptes et de les soumettre au conseil d'administration. Et puis, il faut une personnalité ayant suffisamment de caractère pour renvoyer chacun à ses responsabilités. Les élus de Puteaux et de Courbevoie sont assis sur un tas d'or… »En 2007, devant la commission des Finances au Sénat, le président de la 7e chambre de la Cour des comptes, Christian Descheemaeker, n'hésitait pas à affirmer : « Les comptes ne sont pas sincères et fidèles. » Et le sénateur centriste Jean Arthuis ajoutait même : « Nous sommes face à des comptes en infraction. »